Sloutchaï

Tchekhov à la farce et au tragique
De
Anton Tchekhov et Daniil Harms
Mise en scène
François Podetti
Avec
Sophie Lelarge, Maïna Louboutin, Michelle Sevault, Rémy Breteau, Pascal Millet, François Podetti
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre le Guichet Montparnasse
15 rue du Maine
75014
Paris
01 43 27 88 61
Jusqu’au 25 juin. Jeudis à 20h45, dimanches à 18h

Thème

  • La demande en mariage (Anton Tchekhov): Ivan Vassilievitch, vient en grande tenue chez son voisin Stepan Stepanovitch, pour lui demander la main de sa fille Natalia. Cette demande, qui semble ravir le père, vire rapidement à la querelle la plus absurde au sujet d’un petit pré aux bœufs que les deux familles se disputent. Loin de rétablir le calme, la demande semble échauffer à nouveau les esprits. Jusqu’à ce que la joie du mariage, autant sans doute que ses avantages matériels, ne l’emportent.
  • L’ours (Anton Tchekhov): veuve depuis sept mois, Elena Popova refuse de sortir de sa chambre malgré les supplications de sa domestique Luba. Pourtant l’époux n'a été ni très aimant ni très fidèle, mais elle entend lui manifester une loyauté indéfectible témoignant ainsi de son pardon et de sa supériorité morale. Elle est troublée dans sa retraite par l'arrivée d'un lieutenant, Grigori Stepanovitch, venu réclamer une créance dont elle ne peut s’acquitter. Ils se disputent et s'insultent si bien qu'il la provoque en duel, piétinant sa profession de dédain pour la gent féminine, ces « créatures poétiques » qu'il ne cesse de brocarder. La mâle réaction de la belle bouleverse l'impulsif Smirnov qui s'attendrit devant cette femme que rien n’effraye.
  • Avec Incident (de Daniil Harms), de courtes vignettes poétiques, où il est question d’exterminer les enfants et les bergers allemands ainsi que d’arrestation, encadrent le spectacle.

Points forts

  • Vaudevilles russes si l’on veut, ces deux pièces en un acte souvent données ensemble ne sont pas sans noirceur. Elles témoignent de ce qui habite déjà l’œuvre d’un Tchekhov mélangeant le sublime et le mesquin, l’ironie et la mélancolie et baignant dans un parfum d’inquiétude et de désillusion. Le rapport double qui habite le texte entre satire sociale et conflit intérieur, désir de possession et désir de jouissance est assez bien suggéré par le jeu des acteurs et la mise en scène.
  • L’utilisation du très petit espace du Guichet Montparnasse, de l’utilisation des marches de la salle jusqu’au rythme des entrées et sorties qui créent du ressort comique, est très réussie. 
  • Les inclusions musicales du groupe de rock de Leningrad, formation phare de la fin de l’Union soviétique, Kino (dont Kiril Serebrennikov a fait le sujet de son dernier film, Leto) sont particulièrement bienvenues et émouvantes.
  • Les comédiens sont plein d’énergie, en particulier dans La demande en mariage, mais encore mieux quand ils sont moins clownesques et ne forcent pas la note.

Quelques réserves

  • Le parti pris burlesque et outré, clownesque au fond, n’est pas sans efficacité satirique, mais sans convaincre tout à fait pourtant, surtout dans La demande en mariage
  • On se demande un peu ce que fait ici le très beau texte de Daniil Harms. Certes, on saisit l’intention : sa noirceur comme celle du destin tragique du poète mort de faim en 1942 dans un hôpital psychiatrique, fait écho aux heures sombres que vit la Russie contemporaine. Mais son association à ces deux plaisanteries tchékhoviennes grinçantes et inquiétantes est plus mystérieuse. Et pour finir on n’est pas très sûr de ce qu’il fallait écouter et entendre vraiment dans l’association de ces moments de théâtres, gouvernés par l’absurde sans doute, mais cela ne suffit peut-être pas.

Encore un mot...

  • Sous le titre Sloutchaï (écoute en russe) ces trois textes nous convient à une promenade entre absurdie et mélancolie. Sur fonds de satire sociale, la folie et l'emportement des personnages de Tchékhov, malgré les fins heureuses de ses pièces, laissent augurer une conjugalité à venir difficile et tumultueuse. On est entre Molière, Feydeau et Beckett, ou même Adamov.
  • La poésie de Harms, plus résolument tragique et sombre, renvoie à d’autres atrocités de la Russie du XXe siècle.

Une phrase

  • « Saisir l’instant au vol… J’ai essayé de saisir l’instant au vol et. J’ai rien saisi du tout et j’ai cassé ma montre. » (Incidents)
  • « J’ai englouti la moitié de ma fortune dans les tendres sentiments. » 
  • « Le duel c’est ça l’égalité des droits, l’émancipation ! Là, les deux sexes sont égaux. » (L’ours).

L'auteur

  • Ces deux pièces “laboratoire“, de la jeunesse de Tchékhov, ont en 1888 assuré les premiers succès du grand dramaturge Fréquemment données sur les scènes des théâtres parisiens, L’Ours et La demande en mariage annoncent à leur manière farcesque et enlevée les thèmes qui sont au cœur de son théâtre de La Mouette (1896) et Oncle Vania (1897), aux Trois sœurs (1901) et La Cerisaie (1904). 
  • Daniil Harms est ici, comme Tchekhov, un désespéré qui s’amuse de son propre désespoir.

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