Tableau d’une Exécution

L'Art face au Pouvoir: intéressant mais moins fort que "Michel Ange et les fesses de Dieu"
De
Howard Barker
Texte français de Jean-Michel Desprats
Mise en scène
Claudia Stavisky
Avec
David Ayala, Frédéric Borie, Eric Caruso, Christiane Cohendy, Anne Comte, Antoine Diquéro Philippe Magnan, Julie Recoing, Richard Sammut
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre du Rond Point
2 bis, Avenue Franklin D. Roosevelt
75008
Paris
0144959821
ATTENTION: dernière, le 28 janvier

Thème

Au cœur de la coalition chrétienne, l’état vénitien a écrasé l’Empire Ottoman, lors de la  bataille navale de Lépante-1571-, (où, pour l’anecdote, Cervantès avait perdu un bras), La République de Venise commande à la femme peintre Galactia, un tableau pour célébrer l’événement. Mais Galactia prend son art très à cœur et décide de montrer l’horreur de la bataille en fabriquant un « rouge qui pue ». Une fois de plus, c’est la guerre entre les artistes convaincus et le pouvoir qui veut se servir de l’art à ses fins politiques.

Points forts

1- Un beau et vaste dispositif scénique pour cette fresque brutale, dramatique et colorée. Christiane Cohendy campe une Galactia impétueuse, volontaire, d’une sensualité exacerbée qui ne parvient pas à la détourner de son œuvre. C’est une magnifique comédienne, dommage qu’on ait parfois du mal à l’entendre parfaitement. Son personnage est inspiré par une femme peintre qui affirma son talent en ces temps de misogynie revendiquée.

2- Philippe Magnan joue un Doge prudent, chattemite et politique à souhait. Il souhaite trouver un accord, et tente de gérer, de dompter cette cavale sauvage qui ne peint que ce qu’elle veut. Il finira par la faire emprisonner et trahir par son jeune amant, le pauvre peintre Carpeta (David Ayala, touchant, en homme quasi objet de la belle) qu’il avait écarté du projet. Philippe Magnan apporte sa puissance feutrée, son esprit attentif et sensible à la dérision, avec une grande finesse d’interprétation.  Conscient du vox populi, vox Dei, il libérera adroitement Galactia une fois que le peuple se sera attribué son œuvre en lui apportant la reconnaissance.

3- Très bien mise en scène par Claudia Stavisky, la pièce aurait peut-être été mieux entendue en pratiquant quelques coupures, car le texte est parfois répétitif, en dépit des répliques cinglantes bien conçues par Jean-Michel Desprats.

4- Hormis la présence masculine capitale de Philippe Magnan, cette pièce qui réinvente une héroïne féminine, laquelle est aussi aux prises avec sa fille, plus traditionnelle, très bien jouée par Anne Comte et une critique d’Art jouée par Aurélie Recoing, démontre assez bien que l’auteur semble s’engager du côté des femmes qui combattent par la brutalité de leur vision, la violence physique des hommes. Les autres caractères masculins sont plus falots. Là encore les rapports mystérieux entre le Pouvoir et l’Art et son utilisation à des fins politiques, sont développés de manière intéressante.

Quelques réserves

La pièce aurait certainement gagné en densité, si on avait au moins coupé vingt minutes dans le texte. Mais on connaît tous les auteurs et leur difficulté à accepter cette sentence pourtant ô combien utile...

Encore un mot...

C’est un beau spectacle, intéressant, violent, ardent, brutal, avec par moment des images magnifiques, comme celle de la toile rouge sang qui s’envole telle une voile de navire. Le thème de l’Art face au Pouvoir est passionnant, mais je l’ai trouvé mieux théâtralisé avec le spectacle « Michel-Ange et les fesses de Dieu ». Belle distribution avec une Christiane Cohendy superbement entêtée et violente (attention à la voix) et un magnifique Philippe Magnan.

Une phrase

Un palais à Venise. Le doge examine un croquis.

« Urbino : Je ne vois pas mon frère. (un temps)

Galactia : Vous ne voyez pas votre…

Urbino : Bien sûr que je le vois, ne soyez pas obtuse. Naturellement que je le vois, je veux dire que je ne vois pas assez mon frère. J’aime mon frère et je veux le voir davantage. C’est l’amiral de la Flotte et il n’est pas assez grand sur la toile.

Galactia : Il fait…quatre mètres de haut. (un temps)

Urbino : Ecoutez, j’espère que nous allons devenir amis.

Galactia : Moi aussi.

Urbino : J’aime bien être ami de tout le monde. C’est une de mes faiblesses. Mais si nous sommes appelés à être des amis, il me semble qu’il faut nous comprendre. Je sais que vous êtes une artiste et moi je suis un homme politique, et nous avons tous les deux toutes sortes de petites habitudes, de façons de parler, de croyances et ainsi de suite auxquelles nous ne serions heureux de renoncer ni l’un ni l’autre, mais afin que la communication soit plus facile, puis-je suggérer que nous arrêtions ce petit ballet de l’amour propre pour nous concentrer sur les faits ? Les faits simples et incontournables ? Mon frère est amiral de la Flotte et il n’est pas assez en vue sur ce croquis. Voilà tout ! Vous aimez ma veste ? Elle est en soie de Damas.

Galactia : Elle est très belle.

Urbino : Elle est très belle. Je prends les vêtements très au sérieux.

Galactia : C’est une chose que j’admire chez un homme.

Urbino : Ah bon ? Alors nous allons nous entendre ! Je me flatte de mon bon goût et mon bon goût s’étend même aux artistes. »

L'auteur

Né à Dulwich en Angleterre en 1946, à la fois poète, peintre, auteur d’une cinquantaine de pièces, Howard Baker n’appartient à aucune école. Il conçoit le théâtre contemporain par une suppression de ses codes habituels en utilisant la violence et la brutalité, pour provoquer volontairement le spectateur, non  comme dans une vision antique de catharsis nécessaire, mais dans un amoncellement de violence, de passions et de crimes qu’il dépeint, comme ici, dans un environnement historique cruellement poétisé. Il est un auteur de son temps, fasciné par la catastrophe. Il dépeint le monde d’après Auschwitz, pensant que ce qui compte désormais, c’est la manière de percevoir l’horreur du monde entre éthique et esthétique.

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