GrassKings T1/3

Un album BD sans équivalent
De
Matt Kindt et Tyler Jenkins
traduit de l’américain par Sidonie Van Den Dries Ed. Futuropolis 156 pages 22€
Recommandation

Outre le plaisir de découvrir une galerie de marginaux absolument grandioses, Grasskings, BD américaine,offre une occasion ludique de réfléchir à des thèmes essentiels, tel celui de savoir quel prix on est prêt à payer pour préserver un certain idéal d'existence.

Notre recommandation
4/5

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Thème

Lo vient de se faire surprendre sur le territoire du Grass Kingdom par Bruce, un des trois frères qui règnent sur ce bout d’Amérique coincé entre la ‘Old Range Road 40’ et un ‘lac sombre’. Ce qui signifie que Lo a un problème, voire plusieurs. D’abord, Lo est de Cargill, ville voisine, honnie. Ensuite, il travaille pour le shériff Humbert, ennemi juré des trois frères. Enfin, les habitants de Grass Kingdom, royaume de mobile homes et de bicoques branlantes « où les imbéciles […] viennent se faire botter le cul », sont extrêmement soucieux de préserver leur territoire, formidablement peu accueillants, très lourdement armés, et totalement portés sur la bière…

Robert, « roi » auto-proclamé de ce peuple de paumés et de désespérés, vit en reclus alcoolique depuis la disparition non élucidée de sa fille et le départ de sa femme. Il recueille Maria, énigmatique jeune femme sortie des eaux du lac. Son apparition soudaine n’est probablement pas étrangère au regain d’intérêt du shériff Humbert pour le Grass Kingdom pendant qu’enfle à nouveau la rumeur d’un mystérieux meurtrier qui se terrerait depuis des années au cœur du royaume…

Points forts

Je vois à minima trois excellentes raisons de lire GrassKings:

  • GrassKings est une œuvre américaine qui réalise une intéressante synthèse entre la tradition des comics US et le classicisme de la BD européenne.
  • GrassKings est peuplé d’une galerie de marginaux absolument grandioses. Rencontrez Robert, Arthur et Bruce, potentats plus ou moins éclairés de ce peuple de déclassés ; Shelly, mystérieuse femme à la morale fine et à la gâchette facile ; Archie, paranoïaque alcoolique rivé à son mirador et à sa lunette télescopique ; « Hemingway », pseudo-écrivain travaillant depuis des années à son premier roman…
  • GrassKings est un coup de projecteur donné sur une certaine Amérique, celle du centre, de la ruralité, des petites villes ; une Amérique attachée jusqu’à la caricature à l’idée de la liberté, au droit de porter une arme, à celui à l’autodéfense, mais où demeure également vivace la promesse de la terre promise.

Quelques réserves

  • Le premier contact avec GrassKings est assez déroutant. Le dessin dégage une sensation de flou, de brouillon inachevé. Cette impression est renforcée par des couleurs qui hésitent entre lavis aquarelles jetés sur le papier et à-plats de feutre coloriés à la va vite.
  • La sociologie des habitants du royaume empêche d’établir rapidement un lien avec cette galerie de psychopathes obsédés de la gâchette, résolument hostiles à tout ce qui ne fait pas partie du monde qu’ils se sont choisis, et dont les règles sont les seules qu’ils reconnaissent. Il en exsude un parfum d’étroitesse qui peut amener le lecteur à se demander ce qu’il est venu faire dans ce trou paumé.

          Et pourtant… 

Encore un mot...

Et pourtant… On ne peut tomber que sous le charme de GrassKings. On est aspiré par l’originalité d’un album sans équivalent, happé par l’ambiance créé par un dessin qui réussit le tour de force de restituer pleinement le côté « crasseux » du royaume tout en créant un climat poétique et onirique.

GrassKings est aussi une jolie réflexion sur des notions telles que l’identité, la communauté, l’indépendance, les raisons qui poussent des individus à choisir de vivre ensemble selon un mode de vie qui leur est propre, le refus de l’extérieur et d’une modernité imposée, la recherche d’une certaine liberté, le prix que l’on est prêt à payer pour préserver un certain idéal d’existence. On retrouve ces thèmes traités sous le mode humoristique dans la saga des Asterix Le Gaulois ou de façon plus fantastique dans le très beau et déroutant The Village, porté à l’écran par Night Shyamalan en 2004. GrassKings renvoie également à la superbe série TV True Detective (première saison) qui se déroulait au fin fond de la Louisiane profonde.

Une illustration

L'auteur

Matt Kindt est un scénariste et dessinateur américain né en 1973. Dès les années 1990, il publie ses propres fanzines de BD tout en réalisant des études d'art. Son parcours dans la BD et les comics démarre véritablement en 2001 avec la parution de son premier graphic novel Pistolwhip, chez Top Shelf Productions. Premier album, premier succès et début d’une certaine notioriété soulignée par la réception d’un Harvey Award renforcée en 2015 par le classement de l’ouvrage dans le top 10 des meilleurs romans graphiques du magazine Time. Deux suites seront données cette première œuvre, puis de nombreux comics, un roman graphique, Two Sisters, une série sur le web, un scénario de film pour le super-héros Giant Man...

Difficile de trouver des informations sur Tyler Jenkins. On sait qu’il est nord-américain, jeune, talentueux, considéré par certains comme l’étoile montante de la BD américaine, qu’il a collaboré à des ouvrages telles que Peter Panzerfaust (comics), 2012 ; Snow Blind (comics), 2015 et GrassKings, 2019, éd. Futoropolis.

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Fred Campoy, scénario et dessin et Mathieu Blanchot, dessin et mise en couleur, d'après la biographie de Marie Madeleine Peyronnet