La fin de la Parenthèse

Bon, original, ambitieux, mais a fait mieux
De
Joann Sfar
Editions Rue de Sèvres - 112 pages
Notre recommandation
3/5

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Thème

Artiste exilé sous le soleil des Tropiques, Seabearstein rentre à Paris pour participer à une expérience artistique hors normes : sortir de son hibernation cryogénique le peintre Salvador Dali, maître du surréalisme pictural. A peine monté  dans l’avion qui le ramène en France, il est invité par d’improbables compagnons de voyage à déconstruire les frontières du réel par le truchement de substances hallucinogènes.

Soutenu dans le projet de ramener Dali à la vie par Farida, égérie de la maison de haute couture Schiaparelli, Seaberstein convainc quatre mannequins de passer plusieurs jours nues, totalement coupées du monde, dans la maison d’un collectionneur de Dali, afin d’y recomposer plusieurs tableaux du maître. Les cinq reclus volontaires embarquent alors pour une expérience inédite, dont nul ne sait si elle atteindra son but : réveiller le prophète surréaliste et convoquer son esprit, l’amour et la culture, au chevet d’une société désenchantée.

Points forts

Ouvrir La fin de la parenthèse, c’est accepter de se perdre. A tout le moins, d’abandonner pour un temps les repères cartésiens qui régissent le plus souvent nos vies. A l’instar des mannequins, d’abord réticentes puis intriguées, c’est accepter de faire le pari d’une expérience esthétique, picturale, philosophique, ésotérique, spirituelle, sexuelle et mystique dont la finalité et le sens profond nous échappent de prime abord.

C’est faire le pari que, par-delà la mort et les années, par la grâce de la nudité et de l’enfermement librement consentis, Salvador Dali nous ouvrira peut-être les portes de dimensions insoupçonnées. C’est accompagner ces jeunes femmes, fragiles, torturées, égocentrées, mais beaucoup moins superficielles qu’elles ne veulent le laisser paraître, dans leur découverte et leur appropriation du surréalisme. Au point qu’elles finissent par se sentir garantes de l’héritage du maître, ne voulant plus revenir dans le monde ni se vêtir à nouveau : « Avoir vécu nue plusieurs jours change tout à la façon dont je me tiens. Le vêtement m’apparaît aujourd’hui comme une extravagance. ».  

Quelques réserves

Revers de son originalité, il est difficile d’accéder rapidement à La fin de la parenthèse. Le « ticket d’entrée » peut paraître élevé pour qui n’est ni familier de l’univers de Sfar, ni connaisseur de l’œuvre de Dali, ou encore moins pratiquant régulier d’expériences artistiques, sensorielles ou oniriques décalées.

La conclusion est quant à elle source d’une certaine frustration. Il n’est tiré aucun enseignement de l’expérience qui constitue la colonne vertébrale de l’histoire. Comment pourrait-elle être mise au service de ce monde marqué par des attentats sans précédent, au moment même où Seaberstein et ses modèles s’en étaient coupés ? L’artiste ne propose pour seule réponse que le refuge dans un muséum d’histoire naturelle pour y dessiner des ossements fossilisés …

Encore un mot...

Empreint de surréalisme et de mysticisme, porteur d’une vision du monde marquée par la déstructuration des cadres rationnels, cet album se caractérise par une intensité spirituelle et onirique ayant quelque peu déserté  nos sociétés occidentales dans lesquelles « la jeunesse, oui, […] est à bout de souffle ».

Il est également une invitation à (re)découvrir, l’univers de Joann Sfar ainsi que le surréalisme et son chef de file pictural, Salvador Dali ; l’homme que Brassaï appelait « l'explorateur aussi hardi que lucide de l'irrationnel ».

Le moment est particulièrement bien choisi pour effectuer pareille « plongée » culturelle. En effet, Joann Sfar vient de publier son autobiographie, Comment tu parles de ton père, aux éditions Albin Michel (cf, sur Culture-Tops, la chroniques de Françoise Cazalis). On y retrouve des thèmes chers à l’auteur tels que le rapport au père ou à la religion. Dans le même temps, vient d’ouvrir à Montmartre l’exposition Joann Sfar - Salvador Dali, Une seconde avant l’éveil (Espace Dali Paris, jusqu' au 31 mars 2017). Cet  événement a le talent de faire coexister, à l’ombre du Sacré-Cœur, les horloges molles du Maître, les éléphants spatiaux aux pattes tentaculaires, et le taffetas aérien, moiré, des créations haute couture de la styliste Schiaparelli, avec qui Dali aura travaillé plusieurs années et partagé une même passion pour l’inédit, la mode et le rêve.

Une phrase

« Vous vous êtes déjà demandés pourquoi on défile ? C’est même pas pour être célèbres, on se fait une raison très vite. C’est pour le fric. C’est juste pour le fric qu’on fait ça. Et en général, nos mamans nous encouragent. Et c’est la même chose pour les gamines qu’on met aux concours de piano ou aux sports de haut niveau ou à The Voice ou aux examens pour intégrer les grandes écoles. Nos mamans espèrent juste qu’on va trouver une place. Ou coucher avec le professeur et qu’il s’occupera de nous. Vous voyez la putain d’angoisse qu’il y a derrière tout ça, Farida ? Alors. Je veux dire. Moi, je crois que ceux qui se jettent dans la religion, c’est la même angoisse. Mais ils refusent de passer les concours. Ils veulent être admis tout de suite. Vous vous êtes déjà dit ça ? Les filles qui couvrent leur corps, c’est parce qu’elles ont trop peur de la compétition. »

L'auteur

Né à Nice le 28 août 1971 d’un père séfarade et d'une mère ashkénaze, Joann Sfar est très vite initié à la culture talmudique. Tout en prenant des cours de peinture, il étudie la philosophie avant de rejoindre l'école nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, où il étudiera avec passion la morphologie. Cette pluridisciplinarité aura une profonde influence sur son œuvre, qui louvoiera avec bonheur entre différentes polarités.

Il rejoint l’univers de la BD en 1994, chez Cornélius, avec Ossour Hyrsidoux. En 1996, il publie chez Delcourt son premier album couleur, Pétrus Barbygère, sur un scenario de Pierre Dubois. Il devient alors un des auteurs et scénaristes les plus prolifiques de la BD française (La fille du professeur, 1997-2016, éd. Dupuis ; Les Carnets de Joann Sfar, 2002-2016, éd. L’Association …). Sa célébrité est notamment due à la série Le Chat du Rabbin, 2002-2015, éd. Dargaud.

En 2010, il réalise Gainsbourg - (vie héroïque), film mettant en scène la vie de son idole musicale. Il réitère l’expérience en 2011 avec le film d'animation Le Chat du rabbin, adapté de la BD éponyme.

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Fred Campoy, scénario et dessin et Mathieu Blanchot, dessin et mise en couleur, d'après la biographie de Marie Madeleine Peyronnet