Mais où est Kiki ? Une aventure de Tif et Tondu

Tif et Tondu, plus jeunes que jamais
De
Dessins : Blutch, Scénario : Robber
Editions Dupuis
p. 78, 16.50 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Encore une reprise de héros mythiques de la Bande dessinée : les célèbres Tif et Tondu, par Blutch au dessin et Robber, son frère, au scénario. Il y a un parallèle entre cette chronique et celle que j’ai écrite, récemment, sur le dernier Blueberry. Comme Christophe Blain, le dessinateur qui a repris Blueberry, Blutch est un représentant d’une BD moderne et plutôt alternative, qui semblait ne pas avoir grand-chose en commun avec les créateurs de Tif et Tondu.

Tif et Tondu est en effet un produit classique de l’école belge des Editions Dupuis, créé par le dessinateur Will avec l’aide de différents scénaristes. Leurs nombreuses aventures (pas loin d’une cinquantaine) se sont étalées entre les années 50 et les années 90. Tif, le chauve glabre, et Tondu, le chevelu barbu, sont deux pseudo-détectives, pas très sérieux, un brin gaffeurs, qui connaissent des aventures rocambolesques et souvent teintées de fantastique. Cette série a rapidement connu un beau succès commercial et Tif et Tondu ont rejoint les Spirou, Gaston et autres Tuniques bleues dans la galerie des célébrités de la maison d’édition belge. En dehors de son pseudonyme (Blutch est le nom d’un des héros de la série des Tuniques Bleues), Blutch a peu de points communs avec cet univers, et lui confier une reprise de Tif et Tondu paraissait vraiment une idée saugrenue.

Son frère lui a donc écrit un scénario dans le plus pur style « Tif et Tondu », avec une intrigue rocambolesque, où les fausses pistes incessantes nous empêchent de distinguer une intrigue principale. La « Kiki » du titre de l’album, c’est la séduisante comtesse Amélie d’Yeu, une proche des deux détectives, apparue pour la première fois dans l’album « Tif et Tondu contre le Cobra » au début des années 70. Elle est vite devenue un personnage récurrent de la série. Au début de cette histoire, elle se fait kidnapper, et Tif et Tondu vont se lancer à se recherche.

Points forts

* Quel scénario ! Robber nous ballade d’une intrigue à l’autre, nous faisant rencontrer une galerie de personnages improbables. Son tour de force est de garder l’esprit de la série originale. Il n’a pas tenté une modernisation à tout prix, ni de bâtir un scénario de polar classique. Son histoire est à moitié sérieuse et à moitié loufoque, comme l’étaient souvent les aventures de Tif et Tondu. Le fantastique, autre ingrédient des aventures originales est aussi présent, mais là aussi en mode délire absurde, avec une allusion complètement inattendue à l’univers d’un célèbre sorcier anglais.

* Et que dire du dessin de Blutch. Je vais vous faire une confidence, c’est la première fois que je lisais une BD dessinée par Blutch, pourtant auteur majeur de la BD contemporaine (Grand Prix d’Angoulême en 2009). Son trait particulier, extrêmement expressif, me déstabilisait, mais le travail réalisé sur cet album m’a véritablement fait comprendre pourquoi il est considéré comme un des grands virtuoses du crayon. Tout est graphiquement superbe dans cet album : le traitement des personnages et de leurs expressions, la fluidité des décors, le mouvement imprimé aux actions, jusqu’aux « effets spéciaux » mis en œuvre pour la partie fantastique que j’évoquais ci-dessus.

Quelques réserves

Deux points pourraient être sujets à discussion : d’abord, Blutch prend beaucoup de distance graphique avec le dessin de Rosy, et les puristes de la ligne « Dupuis » pourront en être déstabilisés, et, ensuite, le scénario un peu foutraque de Robber peut agacer les lecteurs de polars plus traditionnels, tant il joue avec les codes du genre.

Encore un mot...

L’ESPRIT DE WILL

Plus les héros mythiques de la Bande Dessinée sont repris par de nouvelles équipes, plus se précise des catégories de « manières de faire » : il y a la fidélité obsessionnelle à l’œuvre originale, comme l’illustre le dernier Blake et Mortimer (la vallée des immortels), il y a la rupture provocatrice (l’homme qui tua Lucky Luke, par exemple) et enfin, il y a, comme ici, ou comme le Blueberry repris par Sfar et Blain, l’originalité respectueuse. Cette catégorie est peut-être la plus difficile à manier, car elle place les auteurs sur un fil ténu, qui peut se rompre à tout moment. Il faut réaliser le parfait mariage entre ce qui constitue l’esprit de l’œuvre originale et l’univers graphique du nouvel auteur. J’ai en tête, par exemple, le Blake et Mortimer dessiné par Schuiten (ma chronique sur ce site) où ce dernier avait trop fait de « Schuiten » au détriment de l’esprit du créateur original Jacobs. Ce Tif et Tondu est, de ce point de vue, une réussite totale, car il allie l’esprit du créateur historique, Will, et la modernité du trait de Blutch.

Une illustration

L'auteur

(d’après Wikipedia et le site Dupuis)

Blutch, de son vrai nom Christian Hincker (né à Strasbourg le 27 décembre 1967) est considéré comme l'un des principaux auteurs de la bande dessinée française depuis le début des années 1990. Après des études aux Arts décoratifs de Strasbourg, Blutch est découvert par le biais d'un concours organisé par le mensuel Fluide glacial. Il a hérité son surnom d'un camarade de classe pour sa ressemblance physique avec l'un des deux héros des Tuniques bleues. Tout en continuant à enrichir régulièrement les sommaires de ce prestigieux magazine d'« Umour et bandessinées », il s'infiltre chez les nombreux petits éditeurs indépendants qui commencent à avoir pignon sur rue. La revue Lapin accueille les récits qui deviendront Sunnymoon, tu es malade (L'Association, 1994). Cornélius publie La Lettre américaine (1995), puis Mitchum (1996-1999), une série de cinq fascicules. L'entrée de Blutch dans le mensuel (À suivre) en 1996 marque la reconnaissance de son style très particulier, traité dans un noir et blanc vigoureux. Il y propose une large partie de Péplum, une tragédie inspirée par le Satyricon de Pétrone, et dont la version intégrale sera proposée en 1997 par Cornélius. Toujours à la fin des années 90, Blutch invente le personnage de Blotch, un pédant dessinateur de l'entre-deux-guerres à l'humour ringard et misogyne, qui narre ses propres aventures comme dessinateur comique au sein d'un hebdomadaire ayant pour titre Fluide glacial. En 2000, Blotch le roi de Paris remporte l'Alph-Art humour au festival d'Angoulême. En 2009, il reçoit le Grand prix de la ville d'Angoulême, décerné lors du Festival International de Bande Dessinée pour l'ensemble de son œuvre. Il est donc le président de l'édition 2010 du Festival d'Angoulême.

Robber est né à Strasbourg le 21 septembre 1971. Il est âgé de six ans quand il lit pour la première fois Tif et Tondu contre la main blanche. C'est son grand frère, Blutch, qui le lui a mis entre les mains. « Sorti des abîmes » s'impose plus tard comme son album préféré. Robber a décidé de se consacrer à ce que, selon lui, il fait le mieux : raconter des histoires. Cet album semble être sa première incursion dans le monde de la BD.

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