Shibumi, d’après le roman culte de Trevanian

Qui doit se charger des choses cruelles ?… Celui qui le peut
De
Pat Perna et Jean-Baptiste Hostache
Ed. Les Arènes BD
216 p.
29,9 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Deux voyageurs passent la douane, se dirigent vers la porte d’embarquement de l’aéroport international de Rome et sont abattus en moins de dix secondes. Les « cibles » ayant été « traitée[s] », leurs tueurs sont à leur tour exécutés à l’arme automatique. La fusillade fait neuf victimes civiles.

Une salle de projection plongée dans la pénombre. Quatre hommes débriefent le fiasco de l’opération. Il y est question de cigares, des mérites comparés de Beretta et de Smith & Wesson, de Septembre Noir, d’observateur stagiaire, de l’Armée rouge japonaise, de l’assassinat des athlètes israéliens à Munich, de l’incompétence de la CIA, de Londres et de Pau.

On apprend que les victimes de Rome étaient membres d’un commando sioniste nommé « Les cinq de Munich » ; qu’un troisième membre du commando a été épargné par erreur et a pris l’avion pour Pau ; que son oncle, le fondateur du commando, est un ami intime de Nicholaï Hel, maître du Hoda Kurusu, technique japonaise du « tueur à mains nues » ; et que ce « guerrier exceptionnel » réside dans le pays basque français, non loin de Pau.

Points forts

Il y a d’abord la richesse incroyable du scenario de Pat Perna. Au confluent du polar, du roman d’espionnage et du roman historique, il nous emmène de l’entre-deux-guerres en Chine au Jeux de Munich de 1974 en passant par le Japon occupé par les USA de l’après deuxième guerre mondiale et les gouffres souterrains du Pays basque. 

On assiste aux ravages de la guerre sino-japonaise ; à la naissance de la CIA et de l’Etat d’Israël ; à l’éclatement des chocs pétroliers et du terrorisme islamiste ou d’extrême gauche ; à la montée en puissance des agences gouvernementales et officines secrètes occidentales ; à des passages de frontières clandestins et à des détournements d’avion… 

On croise des personnages extraordinaires et extravagants : une ancienne aristocrate russe partie faire fortune dans la Chine des concessions et des seigneurs de la guerre ; un maître japonais du jeu de go et du mysticisme ; des agents de la CIA incultes et brutaux ; un prêtre basque au comportement ambigu ; une jeune espionne aussi enthousiaste qu’inexpérimentée ; un spéléologue basque amateur de maximes humoristiques et de jolies femmes ; un maître espion britannique aussi inflexible que flegmatique ; une concubine désarmante d’intelligence et d’élégance ; une secrétaire qu’on aurait tort de croire cantonnée à des activités subalternes… Et tant d’autres.

Domine la figure mystérieuse et magnétique de Nicholaï Hel, tueur né de la rencontre de l’Europe et de l’Asie, maître du jeu de go, polyglotte avare de parole, amateur de mysticisme, de châteaux et de fleurs éphémères. Sa haine des USA, de leur mercantilisme et de leur cynisme, incarnés par la mystérieuse et toute puissante Mother Company, n’a d’égale que sa fidélité en amitié.

Et il y a la chute, magnifique, superbe, fruit d’un ravissant dépouillement.

On pense à des ouvrages comme Transparences, Ayerdahl, éd. Au diable vauvert, 2004 et au personnage de tueur silencieux de Naïs ; Le dernier Samouraï, réalisé par Edward Zwick, 2003, et à sa défense de la société japonaise traditionnelle ; mais également à la Chine de l’entre-deux-guerres décrite par Malraux dans Les Conquérants et La Condition Humaine

On remercie Jean-Baptiste Hostache d’avoir mis son dessein au service de cette histoire. Au premier abord, il peut paraître naïf. Mais on se rend vite compte que l’apparent décalage entre sa simplicité et la profondeur du scenario donne une puissance gigantesque à l’album. A l’instar de Nicholaï Hel, le dessin de Jean-Baptise Hostache possède une étonnante faculté à se concentrer sur l’essentiel pour souligner la force du texte. Il magnifie notamment les regards et yeux des personnages qui n’ont jamais mieux porté leur surnom de miroir de l’âme.

Quelques réserves

Pas une réserve mais un étonnement quant au traitement très caricatural du visage de Jack O. Diamond, seul personnage ainsi imagé. Compte-tenu de la maîtrise incroyable de l’ouvrage, les auteurs ont dû vouloir lui attribuer une signification que j’avoue n’avoir pas saisie. Mais qu’il est difficile de trouver des réserves à cette bombe atomique en forme de BD.

Encore un mot...

Ça secoue fort ! Violence et mysticisme, burlesque et cynisme, délicatesse et brutalité, poésie et désespoir, spiritualité et matérialisme, désintérêt et appât du gain se télescopent sans transition, mobilisant chez le lecteur un très large éventail de sentiments que parcourt à toute vitesse l’ascenseur émotionnel. 

Shibumi procure une impression de jamais vu que j’avais également ressentie à la lecture d’albums déjà chroniqués sur Culture-Tops : Il faut tuer Ramirez, Après l’enfer, La balade du soldat Odawaa. Autre caractéristique de ces albums « coup de poing », ce sentiment demeure longtemps présent une fois l’ouvrage refermé.

Une illustration

L'auteur

Pour découvrir l’immense carrière de scénariste de Pat Perna, je vous invite à lire sur Culture-Tops la chronique de l’excellent Forçats, T2 Le prix de la liberté. Ajoutons-y quelques jolis albums sur lesquels Pat Perna a travaillé depuis : Morts par la France, éd. Les Arènes, 2018 ; La part de l’ombre, éd. Glénat, 2020-2021 ; Valhalla Hôtel, éd. Comix Buro, 2021-2022.

Jean-Baptiste Hostache est né à Rouen en 1981. Il démarre son parcours professionnel dans l’animation en tant que décorateur. En 2008, il se lance dans la BD avec la parution chez Les Humanoïdes Associés de Clockwerx sur un scenario Jason Henderson et Tony Salvaggio. En juin 2010, il fonde avec Guillaume Dorison, Didier Poli, Xavier Dorison le Studio Elyum, destiné à développer des prestations orientées autour de la création narrative, graphique et ses multiples dérivés en BD. Parmi ses nombreux albums, on mentionnera :  Mary Kingsley, éd. Glénat, 2012, en collaboration avec Guillaume Dorison et Mathieu Esteban ; Naissance du tigre, éd. Les Humanoïdes Associés, 2020, sur un scenario de Feldrik Rivat ; Les Pionniers, éd. Rue de Sèvres, 2022, à nouveau avec Guillaume Dorison.

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Fred Campoy, scénario et dessin et Mathieu Blanchot, dessin et mise en couleur, d'après la biographie de Marie Madeleine Peyronnet