Un Ennemi du Peuple

Déni Démocratique ?
De
Scénario & Dessins : Javi Rey, d’après une pièce d’Henrik Ibsen
Ed. Aire Libre
148 p.
24 €
Notre recommandation
4/5

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Lu / Vu par

Thème

Thomas Stockmann est médecin dans une station balnéaire située sur une petite île isolée qui fait un peu penser à l’Islande. Avec son frère Peter, qui est lui maire de l’île, ils sont à l’origine de la création de cette station et de la prospérité qu’elle a amenée aux habitants. En effet, elle a vite remporté un très grand succès et les touristes affluent de plus en plus nombreux. 

Mais ce tableau idyllique va s’assombrir lorsque Thomas s’aperçoit que l’eau thermale est contaminée et peut causer des problèmes de santé aux curistes. Il veut porter cette information sur la place publique, au risque de mettre en péril le fragile équilibre économique de l’île, entièrement dépendant de la station. 

Il va alors s’opposer à son frère, qui, en tant que maire, veut préserver la prospérité de l’île et va tout faire pour empêcher les menées de son frère. Le combat qui s’engage alors va très vite dépasser ce cadre fratricide et personne n’en sortira indemne.

Points forts

Adapter le théâtre d’Ibsen en BD est une sacrée gageure, tant il joue sur les non-dits et les ambiances convenues pour les faire exploser par des violences de mise en scène. C’est pourtant le pari que réussit Javi Rey.

Il faut tout d’abord admirer son travail d’adaptation. Il arrive à construire une histoire dépourvue de temps mort sans sacrifier à l’évolution intérieure des personnages, souvent très importante dans l’œuvre d’Ibsen. Pour arriver à ce résultat, il conjugue deux points forts aussi remarquables l’un que l’autre. Dans un premier temps, il met magnifiquement en scène le petit paradis initial qu’est cette île, grâce à un rendu graphique très dépouillé, assez proche de la ligne claire si chère à Hergé. Puis il glisse peu à peu dans un travail beaucoup plus centré sur les expressions des personnages et accompagne avec talent leur évolution complexe. 

On sent les petites lâchetés, les pesantes bienséances, les non-dits angoissants des protagonistes, mais aussi le pseudo-héroïsme teinté de rancœur du personnage principal. Car, souvent, dans le théâtre d’Ibsen, il n’y pas de héros flamboyant et le preux chevalier cache toujours un personnage bien plus ambigu. L’ambition ou la frustration se cache derrière l’idéalisme. Si le personnage de Thomas est emblématique de ce travail sur les expressions, il ne faut pas oublier toute une galerie de personnages secondaires, tous aussi intéressants les uns que les autres. Chaque protagoniste semble symboliser un vice ou une vertu. D’ailleurs plus souvent un vice qu’une vertu, même si la fille de Thomas, Petra, représente une note d’espoir dans cet océan de noirceur.

Quelques réserves

En cherchant bien, on peut trouver çà et là quelques facilités graphiques, comme la symbolique du mouton, ou les rêves allégoriques de Thomas. Cependant, même ces facilités s’intègrent bien dans le récit et ne nuisent pas à sa fluidité. 

Il reste aussi une réserve potentielle, mais que je ne peux ni confirmer ni infirmer, c’est la question de la fidélité de la BD à la pièce d’Ibsen. Comme je n’ai pas lu cette pièce, pas plus que je n’en ai vu récemment une représentation au théâtre, je ne peux apporter de réponse. Mais, si vous avez un point de vue sur cette question, vos commentaires seront les bienvenus.

Encore un mot...

UN SUJET DE CIRCONSTANCE

La modernité du sujet de cette pièce écrite en 1882 est stupéfiante. Le personnage de Thomas évoque la thématique très actuelle du lanceur d’alerte et son discours sur les limites de la Démocratie, comme fabrique de moutons de Panurge, a de très forts relents d’actualité. 

A la fin du XIXème siècle, le théâtre d’Ibsen prenait souvent pour cible cette nouvelle bourgeoisie et l’ordre établi, pour dénoncer l’hypocrisie des valeurs et une vacuité morale récurrente.  Javi Rey nous propose une modernisation du récit, moins centrée sur l’appartenance sociale, qui nous amène plus à réfléchir sur la fabrique médiatique de la bien-pensance et sur le sens du mot Démocratie. Et c’est passionnant ! Ce n’est pas un hasard si on retrouve dans le travail de modernisation du texte la célèbre citation de Churchill : « La Démocratie est le pire système de gouvernement conçu par l’homme. A l’exception de tous les autres. »

 

Une illustration

L'auteur

(d’après le site Dargaud) 

Javi Rey est né le 4 juin 1982 à Bruxelles. Il grandit et vit encore à Barcelone. Après des études universitaires, il étudie à l'Escola Joso, la fameuse école d'illustration catalane, où ses professeurs lui transmettent leur passion pour le monde de la bande dessinée. Il démarre son activité professionnelle dans l'animation indépendante et comme story-boarder pour diverses agences de publicité. Frank Giroud lui confie la mise en scène de Adelante, une histoire épique et romantique pour la collection "Secrets" des Éditions Dupuis. Dans ce premier album, Javi Rey montre son talent déjà grand de dessinateur réaliste et dynamique.

Se référer également à sa biographie dans la chronique d’Un maillot pour l’Algérie sur notre site.

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