Fixeur

Toujours la grande question: la fin justifie-t-elle les moyens ?
De
Adrian Sitaru
Avec
Tudor Aaron istodor, Mehdi Nebbou, Nicolas Wanczycki, Diana Spatarescu, Adrian Titieni.
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Un fixeur est un entremetteur dont le rôle consiste à guider des journalistes vers la bonne personne en vue d’un reportage. Radu, dont c’est la fonction au bureau roumain de l’AFP, doit ainsi emmener Axel, un journaliste français, et Serge, son cadreur, jusqu’à Anca, une mineure rapatriée après avoir été mise sur le trottoir à Paris par un dénommé Viorel, proxénète insaisissable car protégé. 

Simultanément, Radu aimerait bien devenir journaliste à l’instar de sa compagne Carmen dont il pousse le fils Matei à remporter une compétition de natation. 

D’aléas professionnels en difficultés d’ordre privé, Radu va devoir reconsidérer ses comportements…

Points forts

Le nouveau cinéma roumain est enthousiasmant tant par ses qualités formelles qu’en raison de la pertinence de ses histoires sur le fond. Ses réalisateurs n’ont effectivement pas leur pareil pour analyser au scalpel et sans concession leur pays en partant de problèmes familiaux. Mais n’est-ce pas le propre du particulier que d’aboutir à l’universel ?

Dans Illégitime, Adrian Sitaru racontait ainsi les déboires d’un père de famille ayant dénoncé sous Ceaucescu des femmes qui avaient avorté, découvrant que ses deux derniers enfants, des jumeaux non désirés, sont incestueux alors qu’il avait interdit à sa femme d’interrompre sa grossesse au nom de ses convictions. De la même façon, avec Fixeur, Radu Sitaru réussit la prouesse  d’exposer clairement son point de vue sur l’ambition déréglée voulant que la fin justifiât les moyens sans l’imposer et, mieux encore, en évitant tout moralisme. Comme chaque fois, ici chacun a ses bonnes raisons, en lesquelles tout spectateur ne peut que se reconnaître.

Par delà l’attitude de ses personnages, c’est notre époque livrée à la performance à tout crin (ici le scoop), à la concurrence, à la compétition dès notre plus jeune âge qui est fustigée. Non par principe (encore une fois Sitaru n’accuse pas) mais à travers les valeurs humaines qu’elle détruit inévitablement : respect, dignité, solidarité entre autre.

Jusqu’où, en toute bonne conscience, est-on prêt à aller pour séduire une personne dont on attend quelque chose qui nous semble essentiel : amour, cadeau, promotion, don, contre don, etc ? Ainsi, les reporters se convainquent-ils que leur interview dénonçant la prostitution des mineures est une info importante quitte à se faire passer pour les membres d’une ONG !  En réalité, elle ne sera qu’une émission de télé de plus  qui assurera l’audimat mais ne changera rien sur le fond.

Idem, croyant sincèrement que c’est le seul moyen de montrer qu’il est un battant, Radu ne néglige-t-il pas l’amour qu’attend de lui Matei dans sa volonté de le voir gagner ?

Et les institutions elles-mêmes ne montrent-elles pas l’exemple, via la banderolle de la piscine exhibant le triptyque olympique Citius-Altius-Fortius (“plus haut, plus vite, plus courageux”), bafouant la profession de foi amateure de Pierre de Coubertin pour qui “L’essentiel est de participer”, ce qui valorise l’effort par rapport à la victoire ?

A ce titre, la scène cathartique où, dans la voiture, Radu se retrouve face à la jeune Anca nous sidère (au sens propre) de par sa fulgurance et la malignité de la démonstration. Décidément non ! La fin ne justifie pas (toujours) les moyens et il est sage de s’interroger sans cesse sur ses buts, chaque jour s’il le faut.

Quelques réserves

Aucun quand on apprécie ce cinéma alliant à la fois le divertissement, indéniable, et le “message” qu’il contient, qui ébranle.

Encore un mot...

“Jouer avec les émotions des acteurs pour obtenir une plus grande authenticité à l’écran, mentir à l’équipe pour obtenir certains effets dramatiques (…) sont des marques de manipulation. (…) Et je me suis demandé comment cela avait pu ne pas me déranger plus tôt. On pense avoir le droit de faire passer l’art avant la vie parce que nos intentions nous semblent nobles, parce que l’on imagine que notre geste sera différent ou causera un certain changement. Mais il suffit d’un bref coup d’œil pour remarquer que les manipulations d’un metteur en scène sont, comme celles d’un journaliste, innombrables.”. Adrian Sitaru

Stanley Milgram, avec son expérience sur la soumission à l’autorité, reprise dans le film d’Henri Verneuil I comme Icare, reprenait les mêmes considérations en les inversant : suivre les ordres pour obéir et obtenir l’approbation du “scientifique” maître en autorité de l’expérience. Comme quoi, dans un sens comme dans l’autre… Sauf qu’on ne peut désormais plus dire qu’on ne savait pas !

Une phrase

- “Pourquoi t’es pas le premier ?”. Radu au petit Matei, le fils de sa compagne.

- “On n’est pas des humanitaires, on est des journalistes”. Axel, le reporter français, en rappel à Radu.

L'auteur

Malgré nos recherches, nous avons trouvé très peu d’éléments sur ce réalisateur, né le 04 novembre 1971 à Deva (Roumanie), membre de la “nouvelle vague” du cinéma roumain et collaborateur de Costa Gavras sur Amen (2002). 

En 2007, après des études de mise en scène à Bucarest, il se fait remarquer d’entrée avec son premier court-métrage, Waves (Vagues), qui remporte le Léopard d’or au festival de Locarno. Un an plus tard, son premier long-métrage, Picnic - l’histoire d’un couple en rupture obligé d’inviter à leur pique-nique une prostituée qu’ils ont renversée avec leur voiture - est sélectionné à Venise. En 2009, La cage, reçoit le Prix du DAAD (Office allemand des échanges universitaires) de la Berlinale et le Prix d’excellence du BAFTA/LA (Oscars britanniques). En 2011, son deuxième long-métrage, Best Intentions, remporte les Prix de la mise en scène et du meilleur acteur à Locarno. En 2012, Domestic est en compétition officielle des festivals de Mar del Plata et Slamdance. 

Tout en continuant de réaliser des courts-métrages, Adrian Sitaru signe deux nouveaux longs-métrages en 2016 : Illégitime, une fulgurante analyse des années Ceaucescu au détour d’une histoire d’inceste et d’avortement (Prix CICAE – Confédération International des Cinémas d’Art et d’Essai - au Festival de Berlin) et ceFixeur, le cinquième film de cet habitué des Festivals et des récompenses.

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