GOLIATH

Un réquisitoire implacable contre les pesticides en forme de polar écolo, porté par un trio d’acteurs impressionnants. Nécessaire, et même, indispensable…
De
FRÉDÉRIC TELLIER
Avec
GILLES LELLOUCHE, EMMANUELLE BERCOT, PIERRE NINEY…
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

C’est l’histoire d’une bataille impitoyable, mais déséquilibrée, qui met aux prises deux hommes tenaces : Mathias, le lobbyiste redoutable et détestable d’une multinationale fabriquant des pesticides (Pierre Niney) et Patrick, l’avocat solitaire mais pugnace d’une des victimes de cette firme (Gilles Lellouche), une agricultrice décédée d’un cancer, dont la compagne va bientôt, de désespoir, s’immoler par le feu. Avec, dans le sillage de Mathias, Paul, son principal affidé, d’une terrible efficacité (Laurent Stocker), et dans le camp de Patrick, France, une professeur de sport, militante écologiste acharnée à ses heures (Emmanuelle Bercot), qui se bat notamment contre l’usage intensif des pesticides qui sont en train de tuer son mari.

Points forts

Décidément Fréderic Tellier aime appuyer ses fictions sur des histoires vraies. Après l’Affaire SK1 et Sauver ou périr qui faisaient le portrait d’hommes engagés dans leur profession (l’inspecteur de police chargé de l’enquête sur le tueur en série Guy Georges pour le premier, un pompier gravement blessé dans son acharnement à éteindre un incendie pour le second), le cinéaste s’est lancé un autre défi, plus ambitieux encore : celui de dénoncer un scandale écologique d’envergure internationale, en l’occurrence l’empoisonnement de la planète par les pesticides. A cause de l’opacité du milieu (il y a peu de documents publics sur les ravages de l’industrie agrochimique), son enquête, déclenchée par la lecture d’un des rares livres publiés sur le sujet, a duré cinq ans. Cinq années qui ont fini par l’élaboration d’une première version de scénario. Une version que le réalisateur a ensuite longuement remanié  avec  Simon Moutaïrou, scénariste  personnellement très engagé sur les questions de l’écologie. Il a encore fallu quelques mois de travail au duo pour aboutir au scénario final. Dans le genre, un petit bijou. Solide et inattaquable sur le fond, il est sensationnel de suspense sur sa forme. Non seulement il multiplie les points de vue (d’où la dizaine de ses personnages-clefs) mais il échappe au militantisme lourdingue et aux discours trop techniques. On est dans un thriller de haute volée.

La distribution est éblouissante. Dans les seconds rôles (Marie Gillain, Jacques Perrin, Yannick Rénier, Laurent Stocker), comme dans les premiers. Dans un personnage à contre-emploi, celui d’un lobbyiste sans état d’âme, Pierre Niney est saisissant de cynisme déshumanisé. Dans celui d’une femme déboussolée et indignée, aussi, par la mort annoncée de son mari empoisonné par les émanations de produits pesticides, Emmanuelle Bercot  est déchirante. Quant à Gilles Lellouche, il est  époustouflant d’humanité et d’écoute dans son personnage d’avocat solitaire et jusqu’au-boutiste. Habité comme jamais, le comédien tient là sans doute l’un de ses plus grands rôles.

Quelques réserves

Dans sa volonté démonstrative, le film peine par moments à échapper au manichéisme : les lobbyistes y sont très méchants ; les militants et les avocats de la défense très gentils. Cela sert la clarté de son propos mais le prive de nuances.

Encore un mot...

Erin Brockovich (2000), La Fille de Brest (2016), Au nom de la terre ( 2019), Dark Waters (2019), Rouge (2020)… Depuis une vingtaine d’années, les films qui dénoncent les scandales sanitaires et écologiques se multiplient sur le grand écran. Ce Goliath s’ajoute à leur liste. Comme eux, il est inspiré de faits réels, comme eux aussi, il est destiné à éveiller les consciences. Les bons sentiments ne faisant pas forcément les meilleures oeuvres, il aurait pu rater sa cible. Il met dans le mille ! Documenté, rythmé, limpide, pédagogique aussi, tenu de bout en bout par un scénario haletant et une interprétation cinq étoiles — aussi bien dans l’émotion que dans le cynisme — Goliath se hisse parmi les meilleurs films de sa catégorie. Palpitant et… terrible.

Une phrase

(ou plutôt, 2 phrases…)

- « Goliath fait partie de ces films utiles, nécessaires, intelligents qui n’ont pas pour but la distraction, même si on ne s’y ennuie jamais. C’est un film aussi beau que bouleversant dont je suis fier de faire partie » (Gilles Lellouche, comédien).

- « Même si je ne suis pas fan du terme, je trouve que Goliath est vraiment un film d’acteurs. Car Frédéric (Tellier) fait passer toute cette histoire complexe… par l’attachement qu’on éprouve pour tous ses personnages, y compris le lobbyiste. Aucun n’est réduit à un archétype de bon ou de méchant » (Emmanuelle Bercot, comédienne).

L'auteur

Après le bac, d’abord un cycle pour devenir prof de gym, puis, une vague envie d’intégrer une école de Commerce pour finalement, suivre des études de publicité. Le tout, en étant DJ pour payer ses études…  Frédéric Tellier s’est longtemps cherché avant de bifurquer, en 1990, vers le cinéma, cela à la suite d’une rencontre avec Jean-Pierre Igoux, puis Elie Chouraqui. Pendant une dizaine d’années, il est assistant-réalisateur (pubs, films d’entreprises, divers longs métrages) et, parallèlement, directeur de production. Malgré son emploi du temps surchargé, il tourne en 1996 son premier court-métrage, L’Enfermé, qui remporte plusieurs prix, puis en 1998, son second, qu’il intitule Le Dernier et grâce auquel, il commence à réaliser, seul, des publicités.

Dans les années 2000, il collabore à l’écriture de plusieurs scénarios dont celui de 36 quai des Orfèvres. En 2014, il se lance dans l’écriture et la réalisation de son premier long, L’Affaire SK1, sur la traque du tueur en série Guy Georges. Multi-récompensé, ce polar fera le tour du monde. De même que son film suivant, Sauver ou périr. Ce drame — inspiré d’histoires vraies — sur le  combat d’un pompier pour réapprendre à vivre avec des graves brûlures consécutives à une intervention, fera, en outre, plus d’un million d’entrées.

Difficile de prévoir ce que Goliath réalisera au box-office. On peut juste constater, que cette semaine, à l’applaudimètre de la critique et au nombre de « papiers » qu’elle lui a consacré, ce film domine largement ses concurrents. 

Et aussi


- A DEMAIN MON AMOUR de BASILE CARRÉ-AGOSTINI — DOCUMENTAIRE.

Si on s’intéresse un tant soit peu à la sociologie, impossible de ne pas savoir qui sont Monique et Michel Pinçon-Charlot : pendant pratiquement toute leur carrière, ces deux anciens directeurs de recherche au CNRS, mari et femme à la ville depuis plus de cinquante ans, n’ont cessé de travailler et d’écrire ensemble des ouvrages analysant essentiellement les comportements des classes supérieures de la société. Depuis leur retraite prise conjointement en 2007, délivrés de leur « neutralité scientifique », ils ont publié des livres plus politiques, dont certains sont même devenus des best-sellers, notamment Le Président des riches, en 2010. Jusqu’alors, sauf en ce qui concerne leurs travaux, ces septuagénaires étaient restés hors du champ médiatique. Basile Carré-Agostini les a convaincus de se laisser « ausculter » à leur tour pour qu’on puisse comprendre ce qui les pousse à continuer leur combat pour une société plus juste. Non seulement le cinéaste les a suivis dans certains de leurs déplacements (comme à la fête de l’Huma), mais il a introduit sa caméra à l’intérieur du petit pavillon où ils habitent. Une maison en apparence tranquille, mais dont on va découvrir qu’elle sert de « laboratoire » au couple  pour échafauder ses «écrits » et ses actions, comme celle d’aller se mêler aux Gilets jaunes sur les Champs Elysées, ce 24 novembre 2018. « Ce n’est pas facile tous les jours d’être contestataire, marxiste et bourdieusien » déclare Monique Pinçon-Charlot. Ce n’est peut-être pas facile pour eux, mais, quel régal pour nous de regarder vivre ce couple unique et uni, dans sa générosité si joyeuse, sa détermination si clairvoyante, son courage si obstiné et son engagement si inébranlable. Utile, pour ne pas dire, indispensable.

Recommandation : 4 coeurs

 

- LA CAMPAGNE DE FRANCE de SYLVAIN DESCLOUS — DOCUMENTAIRE.

En Indre-et-Loire, le petit village de Preuilly-sur-Claise va élire son nouveau maire. Sur la ligne de départ, ils sont trois : Jean-Paul, le vétéran, Patrick, l’outsider, et Mathieu, le plus jeune de la bande. Pour tenter de faire oublier qu’il est un bleu en matière d’élection et compenser son déficit de notoriété (pour être resté trop longtemps absent de ce village où il a pourtant grandi, plus personne, ou presque, ne le connait), Mathieu demande à Guy, un vieux briscard de la politique de figurer sur sa liste…

Est-ce parce que la Présidentielle approche ? En tous cas, depuis quelques semaines, les films sur la politique arrivent en nombre sur les écrans. Après, notamment, les Promesses, Municipale, Un Peuple, voici, La Campagne de France. Ce documentaire, tourné dans le village de ses grands-parents par Sylvain Desclous (le réalisateur de l’excellent Vendeur), pourrait apparaître comme le moins ambitieux d’entre eux. Il est pourtant, le plus pertinent et le plus bouleversant. Certes, ses protagonistes sont concurrents, mais ils sont restés vrais, authentiques, fraternels même et doués d’émotions qui les rendent touchants. Rédaction et distribution de tracts, organisation de réunions, porte à porte… chacun d’eux va son chemin vers les urnes, obstinément, mais sans machiavélisme ni coup tordu, avec même, pour Mathieu, une certaine naïveté qui va droit au cœur. « Si tu veux être universel, parle de ton village » avait écrit Tolstoï. Sylvain Desclous donne raison à l’écrivain russe. Son film, dans sa belle simplicité, est passionnant.

Recommandation: 4 coeurs 

 

- LA MIF de FRÉDÉRIC BAILLIF — Avec CLAUDIA GROB, ANAÏS ULDRY, KASSIA DA COSTA…

Au cœur d’un foyer d’accueil, une bande d’adolescents tentent de vivre ensemble, avec leurs éducateurs, au gré de leur placement, sans s’être choisis. Entre acceptations et rebellions, attachements et rejets, fous-rires et crises de colère, leur quotidien s’écoule, cahin-caha. Une relation sexuelle (pourtant consentie) entre une pensionnaire de 16 ans et un garçon de 14 placé lui aussi dans l’établissement va mettre le feu au poudres. Le système d’éducation et de surveillance de ces jeunes, éprouvé depuis déjà plusieurs années et qui paraissait pourtant bien accepté, révèle alors ses failles.

Fiction filmée comme un documentaire, LA MIF dresse le portrait d’un groupe de jeunes malmenés par la vie, que rien ne prédisposait à partager, ni un même toit, ni, encore moins des règles communes. Il a fallu deux ans de préparation à Frédéric Baillif (ancien travailleur social) pour établir le canevas de son scénario. Canevas sur lequel se sont ensuite appuyés ses interprètes, tous des non-professionnels, recrutés, pour les adultes, chez des éducateurs de métier, et pour les ados, chez des jeunes issus d’un quartier des Hauts de Lausanne. Le résultat donne ce film d’un réalisme impressionnant où on aborde, frontalement et sans jugement moral, les questions d’éducation, d’engagement et d’acceptation de l’altérité. Le film choc de la semaine. Passionnant 

Recommandation : 4 coeurs

 

- PETITE NATURE de SAMUEL THEIS — Avec ALIOCHA REINERT, ANTOINE REINARTZ, IZÏA HIGELIN…

Garçon ultra-sensible aux cheveux blonds qu’il refuse obstinément de couper, Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires d’adulte. Dans sa cité HLM de Forbach qu’il voudrait tant quitter, il s’occupe de sa petite sœur avec l’attention affectueuse d’un père (le leur a déserté leur domicile depuis longtemps), tout en observant la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, Johnny intègre la classe d’Adamski, un nouveau professeur qui va croire en lui jusqu’à lui ouvrir la porte d’un monde inconnu. Bouleversé, Johnny, dont la sexualité s’éveille, va en tomber amoureux…

Pour son deuxième long métrage, Samuel Theis (Party Girl, Caméra d’Or à Cannes 2014) a fait appel à ses souvenirs d’enfant issu d’un milieu pauvre en Moselle. Il en a tiré ce film d’apprentissage d’une force et d’une sensibilité émouvantes. Petite nature touche d’autant plus que son interprétation est parfaite. Entre détermination et fragilité, le jeune Aliocha Reinert (découvert dans un cours de danse à Nancy) est  saisissant de vérité dans son personnage de Johnny. Face à lui, qui est la révélation de ce film encensé à la dernière Semaine de la Critique à Cannes, Antoine Reinartz, dans son rôle d'Adamski est (comme d’habitude) d’une formidable justesse. 

Recommandation : 4 coeurs

 

- WOMEN DO CRY de MINA MILEVA et VESELA KAZAKOVA — Avec MARIA BALAKOVA, RALITZA STOYANOVA, EKATERINA KAZAKOVA…

Une jeune fille confrontée au virus du sida (Maria Balakova, l’héroïne en 2020 de Borat, nouvelle mission filmée, bouleversante), une épouse trentenaire en pleine dépression post-natale, une mère qui cherche un peu de magie dans le calendrier lunaire, et puis aussi d’autres femmes confrontées à leurs fragilités et à l’absurdité de leur vie, et puis encore, les symbolisant toutes dans leurs blessures et difficultés, une cigogne esquintée par… la balle d’un chasseur…

Pour leur premier long-métrage de fiction, les documentaristes Mina Mileva et Vesela Kazakova ont choisi de parler des ravages du patriarcat et de la misogynie dans la société bulgare. Elles le font à travers une série de portraits de femmes très différentes, dont le point commun est qu’elles appartiennent à une même famille. Même si on peut regretter que ce lien entre ses protagonistes se révèle insuffisant pour gommer le côté patchwork, inégal et décousu de ce film (inspiré de faits réels), on ne peut que l’applaudir dans sa tentative de dénoncer, avec cran et rage, le sexisme qui prévaut toujours en Bulgarie. Sans doute la raison qui lui avait valu sa sélection à un Certain Regard au dernier Festival de Cannes. Authentique, courageux et bouleversant, oui, bouleversant.

Recommandation : 3 coeurs

 

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