La Zone d’intérêt

Un film sidérant et glaçant sur la Shoah… sans jamais la montrer… Attention, chef d'œuvre !
De
Jonathan Glazer
Avec
Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Helforth…
Notre recommandation
5/5

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Thème

En adaptant le récit de l’écrivain Martin Amis sur la vie quotidienne de la famille du commandant Höss, qui fut le « chef » historique du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, le cinéaste Jonathan Glazer a réalisé un film d’une puissance exceptionnelle.  

Rudolf Höss (Christian Friedel), son épouse, Hedwig (Sandra Hüller) et leurs cinq enfants blonds forment une famille en apparence modèle. Beaucoup semblent leur envier la vie calme et bien réglée qu’ils mènent dans un coquet pavillon individuel disposant d’un grand jardin et d’une piscine, sis non loin d’une rivière dans laquelle ils vont aussi se baigner, à l’occasion de joyeux pique-niques organisés avec leurs amis. Rudolf Höss est un notable à la fois redouté et respecté : il est le commandant du camp d’Auschwitz-Birkenau. En réalité, le pavillon que lui et sa famille occupent est un logement de fonction.

Derrière le haut mur qui le ceint, se trouve le camp où, méthodiquement, Höss envoie chaque jour à la mort des centaines de prisonniers juifs. La caméra de Jonathan Glazer ne pénètrera pas dans ce lieu d’extermination de masse, mais elle s’attardera à plusieurs reprises sur les épaisses fumées noires qui s’échappent des cheminées des fours crématoires qu’il abrite ; fumées que tout à sa comédie du bonheur, la famille Höss feint de ne pas voir, pas plus qu’elle ne semble ne vouloir entendre, ni le bruit, sinistre et incessant, de ces fours quand ils marchent (pratiquement jour et nuit), ni non plus, les tirs sporadiques de mitraillettes, les ordres hurlés régulièrement par les SS sur les prisonniers, ou les cris d’effroi des déportés. On prend conscience que le mal, le mal absolu peut venir se nicher dans le cœur d’humains, somme toute, ordinaires, sans bousculer leur conscience. Pour le spectateur, le constat est glaçant.

Points forts

  • Quand il est impossible de filmer l’insoutenable, il faut trouver le moyen d‘en créer, chez le spectateur, une représentation mentale. Quand Jonathan Glazer décide d’adapter pour le cinéma, La Zone d’intérêt, le roman de Martin Amis sur la vie de famille du commandant Höss, c’est le problème aigu qui se pose à lui. Cinéaste à la moralité et au sérieux exemplaires, il sait qu’il se doit de suivre le précepte de Claude Lanzmann, à savoir s’interdire toute représentation et toute reconstitution de la Shoah… Privé d’ images (il va juste s’octroyer quelques plans d’épaisses fumées noires représentant métaphoriquement les fours crématoires), le réalisateur va se servir du son pour propulser le spectateur au cœur de l’horreur. D’un bout à l’autre de son film, sur la beauté glaciale et d’une tranchante netteté des plans du quotidien de la famille Höss, il va comme « superposer » une bande-son  terriblement suggestive, mêlant bruits de mitraillettes, musiques, cris, aboiements de chiens  et ordres hurlés. La « beauté calme », apparente du champ, va ainsi venir se fracasser sur l’horreur suggérée du « hors-champ ».
    L‘effroi qui en surgit chez le spectateur est sidérant.
  • Pour filmer la famille Höss avec le moins d’affect possible (il est, effectivement, inexistant), Glazer s’interdit toute incursion physique sur le plateau. Il installe  un réseau de caméras de surveillance fixes filmant sous différents angles les actions qui se déroulent en simultané dans le bâtiment et c’est planqué dans une sorte de bunker, l’oeil rivé sur ses écrans de contrôle qu’il  surveille le travail de ses acteurs, laissant ces derniers « jouer » leur personnage. « Notre  liberté était telle, dit Christian Friedel, qu’on oubliait parfois qu’on était en train de tourner ».
  • Est-ce la conséquence d’avoir pu jouer comme ils l’entendaient ? Les deux principaux comédiens du film,Sandra Hüller et Christian Friedel, qui n’ont, chacun, accepté leur rôle qu’après une longue réflexion et avouent aujourd’hui qu’ils n’ont pu éprouver que de la répulsion pour leurs personnages, réussissent l’exploit de jouer le regard vide, comme absents d’eux-même, sans manifester la moindre émotion. Ils incarnent à la perfection la monstruosité froide qu’on imagine avoir été l’apanage des activistes et militants nazis.

Quelques réserves

Aucune réserve car, je le répète encore, Zone d’intérêt est un chef d'œuvre.

Encore un mot...

On a beau avoir beaucoup, beaucoup  aimé (et défendu) Anatomie d’Une chute de Justine Triet, on comprend mal pourquoi ce n’est pas Zone d’intérêt qui est reparti de Cannes avec la Palme d’Or. Pour son culot, sa singularité, la sidération glaçante  qu’il provoque et le questionnement qu’il suscite sur le devoir de mémoire.

Une phrase

« Devais-je faire ce film? …Quelque chose me poussait. Mais il fallait trouver le moyen de parler de l’Holocauste. Je savais  que je ne voulais pas montrer d’actes de violence. Les images du génocide, on les connaît…Il fallait que ces atrocités soient hors champ, mais pas hors de l’esprit. J’ai pris la décision de tout raconter du point de vue du coupable, de rester chez lui » (Jonathan Glazer, pour le Nouvel Observateur)

L'auteur

Bien qu’il soit depuis quelques années l’un des réalisateurs les plus vénérés et célébrés de la planète, Jonathan Glazer est resté l’un des plus discrets. On sait seulement qu’après avoir terminé une école d’art et obtenu un diplôme de design en théâtre, ce cinéaste, né à Londres en 1965, a d’abord été réalisateur de bandes-annonces de films, puis de vidéos-clips et de publicités pour la télévision, et qu’il a attendu d’avoir 35 ans pour se lancer, en 2000, dans le long métrage avec Sexy Beast. Birth suivra quatre ans plus tard. Mais il faudra ensuite attendre 2013 pour qu’il réalise son  troisième opus, Under the skin, un hallucinant film de science-fiction unanimement salué par la critique, avec, en tête d’affiche, Scarlett Johansson. En 23 ans d’exercice dans le cinéma, Jonathan Glazer sort seulement aujourd’hui son 4ème film qu’il a intitulé La Zone d’Intérêt, selon l’expression que les SS avaient inventée pour désigner le périmètre de 40 km carrés  qui entouraient le camp d’Auschwitz.

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