LE SIXIÈME ENFANT

Adapté d’un roman d’Alain Jaspard inspiré d’un fait divers, ce premier film met en scène un bébé et deux couples que tout oppose. Un thriller social bouleversant…Une des révélations —brillamment récompensée— du Festival d’Angoulême..
De
LÉOPOLD LEGRAND
Avec
SARA GIRAUDEAU, JUDITH CHEMLA, BENJAMIN LAVERNHE, DAMIEN BONNARD…
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

D’un côté, il y a Franck (Damien Bonnard) et Meriem (Judith Chemla), un couple de ferrailleurs qui a cinq enfants, en attend un sixième et a de sérieux problèmes d’argent. De l’autre, il y a Anna (Sara Giraudeau) et Julien (Benjamin Lavernhe) un couple d’avocats qui, s’il n’a aucun problème pour boucler ses fins de mois, n’arrive pas, en revanche, à faire un enfant.  Ces quatre-là, si différents par leur statut social et leur façon de vivre, auraient pu ne jamais se rencontrer si Julien n’avait pas défendu, avec succès, Franck, jugé pour une affaire de recel. Les deux couples vont se rapprocher et finir par se livrer à un étrange marché autour du futur nouveau-né de Meriem.

Points forts

  • Orphelin de mère très jeune, Léopold Legrand s’est toujours intéressé à tout ce qui touche la filiation et la maternité. Quand il lit Pleurer les rivières, d’Alain Jaspard, qui traite de la puissance du désir de maternité, il décide de l’adapter pour en faire le sujet de son premier long métrage et il en tire un scénario puissant et haletant, qui tout en étant centré sur les problèmes juridiques et moraux posés par l’échange d’un enfant, réussit à raconter les secrets, les doutes et les espoirs des candidats à cet échange (totalement hors la loi), cela, sans jamais porter de jugement sur eux. 
    Autre atout du scénario : il dit aussi, très bien, sans psychologisation larmoyante, avec pudeur même, le courage qu’il faut à une femme pour donner son enfant à une autre dans l’espoir qu’il ait un avenir meilleur que celui qu’elle pourrait lui offrir.
  • Pour jouer les deux couples de son film, Léopold  Legrand a choisi un quatuor de choc : Judith Chemla, Sara Giraudeau, Damien Bonnard et Benjamin Lavernhe (de la Comédie Française), quatre actrices et acteurs qui font émerger l’humanité de leur personnage avec une parfaite maîtrise. 
  • La photo du film est splendide, qui alterne tons chauds (la vie et le réalisme) et clairs-obscurs (l’angoisse, la poésie et les secrets).
  • Et puis, qui enveloppe le film, en accompagne la tension, la musique, somptueuse, de Louis Sclavis.

 

Quelques réserves

Aucune.

Encore un mot...

Il a sûrement fallu beaucoup d’audace et de persévérance à Léopold Legrand pour s’attaquer, pour la première fois de sa toute jeune carrière,  à l’épreuve du long métrage, avec ce sujet si délicat (et si féminin ! ) qu’est le désir de maternité, et  à un de ses  possibles corollaires : l’adoption clandestine. Mais son audace et sa persévérance ont payé. Tendu, écrit « droit », mais avec subtilité, allant à l’essentiel, mais sans jamais brider l’émotion des situations, son film, qui tient du thriller social par son rythme et son suspense, est une réussite. Brillant et poignant.

Une phrase

« J’ai perdu ma mère à l’âge de six ans et mon père s’est remarié avec une femme qui m’a adopté devant la loi. Cette femme est devenue ma deuxième mère. J’ai donc grandi avec une double figure maternelle. L’histoire de ces deux femmes réunies autour d’un seul et même enfant dans le roman d’Alain Jaspard m’a intrigué et ému. J’ai décidé de l’adapter. C’était l’occasion d’aborder des thématiques qui me sont chères : la filiation, la maternité et l’abandon ».( Léopold Legrand, réalisateur).

L'auteur

Après des études littéraires à Paris ( Hypokhâgne et Khâgne), Léopold Legrand part  aux Etats-Unis où il intègre la Tish School of the Arts de l’Université de New York. Il y étudie le montage, l’écriture et la mise en scène. En 2013, pour parfaire sa formation en réalisation, il entre à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle en Belgique. Il y écrit et réalise plusieurs courts métrages dont, en 2016, le documentaire  Angelika, qui reçoit de nombreuses récompenses dont le Grand Prix au FIFF de Namur. A sa sortie de l'INSAS, en 2018, le jeune cinéaste qui a alors 26 ans, réalise Mort aux Codes, un court métrage de fiction adapté d’une nouvelle de Patrick Pelloux, qui est aussi très récompensé.

Le Sixième Enfant est le premier long métrage de Léopold Legrand.  Au vu du carton qu’il a réalisé au dernier festival de cinéma d’Angoulême (le FFFA),  ce ne devrait pas être le dernier. Le film a valu à  chacune de ses deux comédiennes principales, Judith Chemla et Sara Giraudeau le Valois de l’actrice. Il a également reçu le Valois de la musique (décerné à Louis Sclavis, auteur de la B.O.) ainsi que ceux du scénario et du public. A suivre, donc. De très près.

Et aussi

 

  • SANS FILTRE de RUBEN ÖSLUND- Avec HARRIS DICKINSON, CHARLBI DEAN, WOODY HARRELSON…

Ça commence par un hilarant casting de mode pour mannequins hommes, priés de sourire ou de faire la gueule selon le standing des marques pour lesquelles ils défilent (plus elles sont chics, plus ils doivent avoir l’air dégoûté !), ça se poursuit par un non-moins désopilant dîner entre deux influenceurs richissimes qui se chipotent méchamment à propos de l’addition —salée —de leur repas; ça continue par des tranches de vie quotidienne sur un paquebot de luxe où ont embarqué, dans un « vrac » très protocolaire, des passagers ultra-riches, aussi futiles que snobs, un capitaine américain, alcoolique et marxiste et un oligarque russe d’une provocante amoralité. Tempête, roulis, malaises en pagaille de tous ces  navigants qui déversent des torrents de vomis, et finalement, comme une vengeance de la mer, naufrage du bateau… Les survivants se retrouvent sur un île déserte, nus comme des vers, ou presque, se déchirant pour des…bretzels. Nature humaine, quand tu reviens…!

 Cinq ans après The Square, un brûlot décapant contre l’élitisme du monde de l’art  qui lui avait valu une Palme d’or à Cannes, Ruben Öslund  poursuit son entreprise de démolition de notre société de consommation avec ce Sans filtre (en anglais, et dans son titre original, Triangle of Sadness). Sans surprise — mais avec son talent fou—, le réalisateur y dégaine ses armes favorites : l’irrévérence, l’humour et l’ironie abrasive. Rien n’a échappé à son regard d’aigle, ni l’arrogance que donne l’argent, ni la corruption qu’il fait naître, ni l’anéantissement des valeurs morales qu’il engendre. Résultat :  une deuxième  Palme d’Or pour le cinéaste suédois, au grand dam de certains critiques et festivaliers qui ont trouvé que cette fois, il y était allé un peu trop fort (shocking !) et un peu trop long (le film dure 2h20). On vous laisse juge. 

Recommandation : 4 coeurs

 

  • POULET FRITES de JEAN LIBON et YVES HINANT- DOCUMENTAIRE.

C’est une histoire de flics (et donc de « poulets ») qui enquêtent sur un meurtre. Une  histoire vraie, tournée en temps réel avec des vrais flics et des vrais suspects, au centre de laquelle des frites vont se révéler avoir une importance capitale. Normal, ou presque, puisque cette histoire vraie, donc, qui va se révéler aussi tortueuse qu’« abracadabrantesque » se passe à Bruxelles. Sans blague? Sans blague, bien que, pourtant, et assez paradoxalement, on y rit comme des fous, tant par moments, les situations et les dialogues tiennent du grinçant, du drôle et de l'absurde…

« Est-ce un documentaire ou une fiction ? De l’art ou du cochon? » comme se le demandent les réalisateurs de cet OVNI cinématographique ? Bien malin qui saurait répondre, sauf à connaître le dessous des cartes…Qu’on vous dévoile un peu….En fait ce Poulet frites est un remontage d’une ancienne séquence de Strip-tease, cette émission belge diffusée (avec un succès fou) sur une chaîne française qui ne respectait pas grand chose et passait tout à la moulinette. Ses réalisateurs l’avaient diffusée en trois parties. Ils les ont réunies en une seule, en lui donnant une allure de polar noir et en le  soutenant par une musique de fanfare. Le résultat est sensationnel. Voilà sans doute le thriller le plus délicieusement ubuesque de de cet automne.

Recommandation  : 4 coeurs

 

  • MARIA RÊVE  de LAURIANE ESCAFFRE et YVONNICK MULLER- Avec KARIN VIARD, GRÉGORY GADEBOIS, NOÉE ABITAN…

Mariée depuis 25 ans à un homme avec lequel elle s’ennuie, Maria (Karin Viard) , femme de ménage effacée et rêveuse ne quitte jamais son petit carnet sur lequel  elle inscrit les poèmes qu’elle écrit. Affectée à l’Ecole des Beaux Arts, elle va y rencontrer le gardien (Grégory Gadebois), un homme un peu comme elle, doux et secret, mais qui va pourtant l’aider à sortir de sa coquille. Adieu le triste mari, sa tête d’enterrement et ses ressassements ;  bonjour à l’interdit, à la vie colorée, libre et joyeuse…

Quand en arrière-plan d’un récit d’émancipation féminine, se raconte une comédie romantique, il faut en profiter, les films qui font d’une pierre deux coups sans s’emmêler les pinceaux entre les deux genres étant assez rares. Pourquoi bouder son plaisir, surtout lorsque, comme ici, ces films sont remplis d’humour, de poésie, d’élégance et de tendresse. Le scénario se prend par moments les pieds dans le tapis du réalisme ? Pas grave ! Les acteurs, et surtout le tandem exquis que composent Karin Viard et Grégory Gadebois  se  chargent de rétablir son équilibre par leur talent et leur complicité. Pas étonnant que Maria rêve ait enchanté le dernier Festival de Cabourg.

Recommandation : 3 coeurs

 

  • LE SOLEIL DE TROP PRÈS de BRIEUC CARNAILLE- Avec CLÉMENT ROUSSIER, MARINE VACTH, DIANE ROUSSEL…

A sa sortie d’hôpital psychiatrique, Basile, un trentenaire schizophrène, se réfugie chez sa sœur Sara, qui est désormais sa seule famille. Aussi sympathique et charismatique qu’instable et imprévisible, Basile parvient à trouver du travail et  à rencontrer Elodie, une jeune mère célibataire. Pour la première fois de sa vie, il se prend à rêver d’une vie « normale », jusqu’au jour où…

La schizophrénie à l’écran, dans une fiction, et montrée, concrètement, du point de vue d’un malade : le pari était difficile. Brieuc Carnaille, dont Le Soleil de trop près est par ailleurs le premier film, s’en sort haut la main. Son film est passionnant, qui donne à ressentir les symptômes de la maladie (idées délirantes et hallucinations) et à comprendre les difficultés d’intégration de ceux qui en sont atteints.Visiblement, le primo-cinéaste maîtrise bien son sujet. Il l’exploite ici d’autant mieux qu’il a choisi de le tourner dans une ville qu’il connaît comme sa poche (Roubaix, où il a grandi), avec, dans le rôle de Basile, un comédien formidable de justesse, de profondeur, d’intensité et de singularité, Clément Roussier. C’est le premier grand rôle au cinéma de ce jeune acteur, sûrement pas le dernier. Marine Vacth et Diane Roussel lui donnent la réplique avec le charme et l’intelligence qu’on leur connaît. 

Recommandation : 3 coeurs

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