Pauvres créatures

Le Lion d’Or à Venise et les Golden Globes du meilleur film et de la meilleure actrice. Un conte fantastique et aussi bizarroïde que visuellement splendide. Gothique et déjanté…
De
Yórgos Lãnthimos
Avec
Emma Stone, Mark Ruffalo, Margaret Qualley, Willem Dafoe…
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Dans l’Ecosse corsetée du XIX° siècle, Godwin Baxter, surnommé « God » (Willem Dafoe), un chirurgien aussi défiguré que mentalement déglingué - il a été lui même trafiqué dans sa jeunesse par son père, chirurgien lui aussi - décide greffer à une femme suicidaire ( Emma Stone), le cerveau du foetus qu’elle portait. De cette greffe improbable naît  Bella, une créature hybride : un corps de femme abritant l’intellect d’un bébé.

Sans souvenirs, au début balbutiante, maladroite dans ses gestes et dans sa démarche, cette créature  va petit à petit se transformer en une  femme curieuse, intelligente, complètement désinhibée et d’une sexualité débridée. Malgré l’affection qu’elle porte à son  « créateur », Bella, happée, s'enfuit de chez lui avec Ducan Wedderburn, un avocat brillant et débauché (Mark  Ruffalo).

C’est le début d’une odyssée qui la mènera à travers le monde et l’initiera, entre autres à toutes sortes de plaisirs charnels, des plus spontanés et violents, aux plus monnayés et sophistiqués. Totalement imperméable aux convenances et aux  règles de son époque, Bella qui restera innocente jusqu’au bout, ne cédera jamais rien de sa liberté, devenant ainsi, sans le savoir et avant l’heure, une ardente et incontrôlable  « défenseure » du féminisme dans une société aussi hypocrite que patriarcale. 

Points forts

  • Décidément le réalisateur Yórgos Lanthimos a le chic pour dégoter des sujets qui lui permettent d’exploiter à fond sa folie baroque. Après La Favorite, il propose l’adaptation du roman éponyme de l’Ecossais Alasdair Gray. Pastiche de roman gothique paru en 1992, cet ouvrage  bizarroïde relate comment une femme à laquelle un chirurgien fou (il s’amuse à inventer des animaux hybrides), a greffé un cerveau de bébé, devient une femme libre et féministe, de plus en plus assoiffée de sexe . En somme, un équivalent féminin de Frankenstein, mais cette fois-ci, imaginé par un homme. Tout ce qui fait la bizarrerie  fascinante du film était dans le livre : l’environnement, la gueule cassée du chirurgien, ses expériences sur les animaux, l’allure d’abord chaotique, puis affirmée et déjantée de l’héroïne, son romantisme plein d’innocence, sa soif de sexe, etc. Restait au cinéaste le plus délicat : traduire en images et en dialogues le contenu déjanté du livre. Ce qu’il a fait avec un panache confondant : les dialogues de son film sont drôles et percutants, qui ne reculent devant aucun mot, pas même les plus “crus”. Ses décors, à la fois baroques,  gothiques et futuristes sont faramineux. Quant aux effets techniques, même s’ils saturent parfois le spectateur (voir ci-dessous),  ils sont époustouflants d’inventivité.
  • Sans Emma Stone, Pauvres créatures n’aurait sans doute pas été tout à fait le film qu’il est. Dire que la comédienne qui y tient le rôle de Bella s’y révèle fantastique relève presque de l’euphémisme tant elle fait montre d’un brio, d’un aplomb et d’un courage fascinants  pour interpréter son personnage : un « être humain  qu’on voit évoluer avec stupéfaction de l’état primitif  à celui de femme mûre ». Cela, avec des scènes d’une grande drôlerie  et d’autres, de sexe, intenses, qu’elle joue avec un abandon audacieux, beaucoup de naïveté (ce n’est pas contradictoire) et, ce qui est peut-être le plus étonnant, sans une once de vulgarité. Du grand, grand, grand  art. Face à elle, Willem Dafoe (le docteur God) et Mark Buffalo (l’avocat Duncan Wedderburn) sont aussi à leur meilleur.

Quelques réserves

On sait depuis The Lobster, en 2015, que Jórgos Lãnthimos ne s’interdit rien visuellement. Mais ici ses abus de l’effet « fisheye »  et les couleurs saturées de certaines séquences peuvent finir par fatiguer.
Attention : si le baroque, le fantastique, l’humour grivois et la provocation vous indisposent, ce Pauvres Créatures n’est pas pour vous.

Encore un mot...

Lorsqu’un cinéaste raconte une histoire fantastique XXL, en jouant sur les mots, les couleurs, les décors et les tons (du drame à la comédie) avec une maestria éblouissante, en s’appuyant aussi sur une distribution cinq étoiles et peu attendue, comment s’étonner que son film  reparte récompensé des grandes compétitions internationales.

C’est donc auréolé du Lion d’Or à Venise et de deux Golden Globe que Pauvres Créatures débarque sur les écrans français. D’aucuns pourront peut-être trouver « too much » l’abondance des effets, et, choquante, la crudité de certaines de ses scènes. Mais il leur sera difficile de nier être face à un grand film de cinéma qui offre à Emma Stone son meilleur rôle et la porte au sommet de son art. On est prêt à parier que Pauvres créatures ne repartira pas des Oscars sans statuette. 

Une phrase

« Je me sens très en sécurité avec Yórgos. Il me met au défi. Je me demande tous les jours pourquoi notre duo fonctionne. Nous sommes presque à l’opposé l’un de l’autre…J’ai pour Yórgos une admiration que je ne saurais exprimer par des mots. C’est un véritable génie » ( Emma Stone, comédienne).

L'auteur

Dramaturge et réalisateur grec, Yórgos Lánthimos, né à Athènes le 27 mai 1973, commence par étudier les fondamentaux de la réalisation à l'Ecole de cinéma de Stavrakos. Son diplôme en poche, il collabore avec une compagnie de danse grecque pour laquelle il réalise  une série de vidéos, puis il se lance dans la réalisation de publicités, de courts métrages et de clips. 2005 est pour lui une année charnière : il quitte le monde de la pub pour entrer dans celui du cinéma.

Son premier long métrage, Kinetta reçoit un succès critique si encourageant qu’ il enchaîne le deuxième. C'est Canine, un huis clos sur une famille-société en Grèce qui remporte le prix Un Certain Regard à Cannes. Suivront, en 2011, Alps, qui rafle le prix du meilleur film au Festival de Sydney ; en 2015, Le Lobster (son premier film tourné en langue anglaise), qui obtient le prix du Jury à Cannes ; puis en 2017, Mise à mort du Cerf Sacré, qui repart de Cannes avec, cette fois, le prix du meilleur scénario.

Désormais sollicité par les stars hollywoodiennes, le cinéaste grec s’installe à Londres. Dès 2018, il sort son sixième  long métrage, La Favorite. Avec en tête de casting Olivia Colman et Emma Stone (déjà), cette comédie historique sera auréolée de deux  nominations aux Oscars, et remportera le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise. Pauvres créatures est le septième opus de ce cinéaste devenu, en quelques années, l’un des plus prometteurs de sa génération.

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