Place Publique

Le tandem le plus efficace du cinéma français ?
De
Agnes Jaoui
Avec
Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Léa Drucker, Hélèna Noguerra, Kévin Azais, Nina Meurisse, Sarah Suco
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

C’est un film comme seul sait en écrire l’indéfectible et si singulier tandem Jaoui-Bacri, un film choral (ou presque) qui dénonce, avec un humour à la fois décapant, subtil et désenchanté, certains travers de notre société,  en l’occurrence ici, ceux du snobisme, de la course à la célébrité et du jeunisme à tout va.

Castro, star vieillissante du petit écran, en pleine décélération d’audience (Jean-Pierre Bacri en personne), se rend à la pendaison de crémaillère d’une productrice en vogue, aussi survoltée qu’impitoyable (Léa Drucker). Il va y retrouver, entre autres, Hélène, son ex-femme, qui s’est accrochée  à ses idéaux tiers-mondistes  de jeunesse avec une persévérance  qui frise désormais le dogmatisme, et Nina, leur fille à tous les deux, qui s’est vengée  dans un livre autobiographique de son  enfance ratée entre ses  deux parents absents (pour des motifs exactement  opposés). Tout en attendant impatiemment sa nouvelle compagne (Hélena Noguerra), beaucoup trop jeune pour lui  et qui tarde à venir, Castro va croiser aussi à cette soirée « chiquissime », des mondains, des arrivistes, des paysans « parisianophobes » (pardon pour ce néologisme !) et des youtubeurs pour le moins mal élevés…

Les « entrechoquements » de Castro avec tous ces gens là vont donner lieu à une comédie humaine très réjouissante…

Points forts

- Quel plaisir de retrouver le tandem Jaoui-Bacri  aux commandes d’un film. Avec eux, question script, c’est toujours de « la belle ouvrage », du travail de dentellière. Leurs histoires sont construites pour durer par delà les années, et leurs dialogues ne concèdent  ni facilité stylistique, ni approximation langagière. Leurs mots sont choisis et agencés à la virgule près…Un plaisir pour les amoureux de la langue française.

- Le regard du duo sur la société est aigu. Ils chopent, comme peu, les défauts de leurs congénères, avec certes, beaucoup d’ironie, mais sans aucune méchanceté, ce vilain défaut dont ils savent bien qu’il va souvent de pair avec la bêtise obtuse.

- Dans ce Place publique, il faut saluer aussi la réussite d’un challenge rarement tenté au cinéma, parce que très difficile à tenir sous peine de tomber dans l’ornière du théâtre filmé : celui d’avoir fait tenir l’histoire en un seul temps (une soirée) et un seul lieu (le jardin d’une propriété), à la manière des pièces classiques. Parce qu’elle a été parfaitement maîtrisée, cette option scénaristique a renforcé la structure du film. Elle a préservé  ce dernier de tout éparpillement, lui a donné cette  haute tenue, et ce, sans jamais nuire  à sa richesse visuelle.

- La réalisation proprement dite est d’une belle fluidité, qui passe d’un personnage à l‘autre, d’une scène à l’autre,  sans  aucune rupture de ton. Il faut souligner aussi la splendeur  de l’image d’Yves Angelo (un des meilleurs directeurs photo français), et aussi la séduction  de la musique, si savamment simple et  si entraînante, de Fernando Fiszbein .

- De Léa Drücker à Kévin Azaïs en passant par Héléna Noguerra, Frédéric Pierrot et bien sûr Agnès Jaoui, la distribution est idéale. Mention spéciale à Jean-Pierre Bacri, plus que jubilatoire dans son rôle de ronchon cynique et angoissé. Il porte perruque avec un aplomb irrésistible. Son numéro de danse funky, puis son imitation d’Yves Montand, désopilants, resteront dans les annales.

Quelques réserves

D’aucuns reprocheront peut-être aux « Jaoui-Bacri » d’avoir émoussé leurs flèches contre les dérives sociétales. Peut-être. Mais le temps ayant passé, leurs flèches se sont naturellement recouvertes de  nostalgie. Ce qui explique que la critique sociale, qui est toujours au centre de leur film, soit moins frontale, moins apparemment virulente. Sa drôlerie s’est teintée de mélancolie. Elle n’en est que plus déchirante.

Encore un mot...

Ils prennent leur temps pour faire un film les Jaoui-Bacri ! Depuis leur dernier opus, Au bout du conte, cinq ans se sont écoulés… Mais les revoilà,  et en pleine forme, avec cette comédie douce amère, dans laquelle il taclent, une fois de plus l’arrogance et la vulgarité des puissants, vrais ou tels qu’ils l’apparaissent  aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Place publique a bien sûr ce ton qui n’appartient qu’à ces inséparables et qui fait qu’on les aime, un ton  mâtiné de drôlerie, d’alacrité, d’ironie, d’humanisme et, donc, de tendresse. 

Une phrase

Ou plutôt deux:

- « On voulait parler de cette nouvelle frénésie de vouloir se faire reconnaître, même de son groupe d’amis, par un like sur Facebook, qui valide le petit déjeuner que l’on vient de filmer et de poster… Andy Warhol a eu à la fois raison et tort : ce n’est pas un quart d’heure mais une minute de célébrité auquel tout le monde prétend aujourd’hui. Mais autrement, il a vu tout juste » ( Jean-Pierre Bacri, comédien scénariste).

- « Ça faisait longtemps qu’on voulait parler du politiquement incorrect, de la façon dont toute tentative de pensée éthique est ringardisée et s’expose au grand ricanement de l’époque : «  le politiquement correct ». »  (Agnes Jaoui, comédienne, scénariste, réalisatrice).

L'auteur

Déterminée, fantasque, engagée (viscéralement à gauche) et indiscutablement talentueuse… Agnès Jaoui, née à Antony le 19 octobre 1964 dans une famille juive d’origine tunisienne, est l’une des artistes françaises les plus douées de sa génération, puisqu’elle est à la fois comédienne, scénariste, réalisatrice, chanteuse et compositrice…

Toute petite, elle lit énormément, commence à écrire à l’âge de onze ans et, dans la foulée, s’inscrit au club de théâtre de son école. A quinze ans, elle entre au Cours Florent, poursuit parallèlement ses études, fait hypokhâgne et s’inscrit au cours d’art dramatique du théâtre des Amandiers de Nanterre dirigé par Pierre Romans et Patrice Chéreau.

En 1987, ce dernier lui donne un rôle dans Hôtel de France, et la même année Jean-Michel Ribes la met en scène  dans l’Anniversaire de Pinter, où elle rencontre son futur compagnon Jean-Pierre Bacri.

Ils écriront ensemble, pour le théâtre (dont, en 1992,  Cuisine et dépendances, en 1994, Un Air de famille  qui sera porté au grand écran par Cedric Klapiesch), et pour le cinéma ( dont Smoking, no smoking, réalisé par Alain Resnais en 1994, On connaît la chanson, encore réalisé par Resnais). En 2000, Agnes Jaoui se lance, seule, dans la réalisation en  portant  sur  le grand écran Le Goût des autres qu’elle a co-écrit avec son compagnon. Ce film fera 5 millions d’entrées et remportera 4 Césars.

Tout en poursuivant sa carrière de comédienne et en entamant  une carrière de chanteuse avec la publication d’un premier album, Canta,  Agnes Jaoui   ne cessera plus de réaliser.

Place Publique, qu’elle a co-écrit et joue avec Jean-Pierre Bacri est  son 5° film en tant que réalisatrice.

Et aussi

1 -« Escobar » de Fernando Leon de Aranoa- avec Javier Bardem et Penelope Cruz.

Il avait été le narcotrafiquant le plus connu, le plus redouté, le plus impitoyable, et le plus recherché du monde…Vingt-cinq ans après sa mort, le parrain colombien Pablo Escobar continue d’inspirer les cinéastes. 

Pour cet Escobar, pas d’histoire parallèle, pas de mise en perspective. Il s’agit ouvertement, frontalement, du portrait de cet homme qui finit par contrôler 80% du trafic mondial de la cocaïne. Un homme dont on va rappeler ici  la personnalité hors du commun, un mafieux  aussi cynique qu’intelligent,  qui, le premier, avait compris que pour  transformer les jeunes défavorisés  de son pays en séides prêts à tout, et donc au pire, il fallait améliorer leur niveau de vie et de confort.

Ce biopic a été tourné sous l’angle de la relation qu’Escobar  entretint avec Virginia Vallejo, une journaliste star de la télévision colombienne. Riche idée qui  a permis au réalisateur Fernando de Aranoa  de retracer en deux heures  et cinq minutes intenses, rythmées et passionnantes, les épisodes les plus marquants, les plus édifiants de l’ascension et de la chute de son « héros ».

C’est  l’immense Javier Bardem qui interprète le rôle titre, et Penélope Cruz (sa compagne à la ville) qui joue sa maîtresse. Ces deux là, acteurs virtuoses, font évidemment des étincelles.

RECOMMANDATION: EXCELLENT

 

2 -« Jersey Affair » de Michael Pearce- avec Jessie Buckley et Johnny Flynn

Sur l’Ile de  Jersey, Moll, 27 ans, vit encore  chez ses parents, sous l’autorité d’une mère étouffante. Elle va profiter de sa fête d’anniversaire pour prendre le large. Premier réflexe,  aller respirer, librement, dans l’air confiné d’une …boite de nuit où  elle va tomber sous le charme de Pascal, un braconnier mystérieux à la sensualité ravageuse.  Le lendemain, elle apprend qu’on soupçonne ce  Pascal d’être le tueur en série qui opère sur l’ile  depuis plusieurs mois et vient de commettre un nouveau meurtre…Amoureuse pour la première fois de sa vie, Moll va le défendre, bec et ongles…

Inspiré par l’histoire vraie  de la « Bête de Jersey », un violeur d’enfants qui sévit sur l’Ile dans les années 60, Jersey affair tient en haleine le spectateur d’un bout à l’autre, oscillant, avec un grand sens de l’équilibre, entre thriller psychologique, mélo familial, histoire d’amour et conte de fées  tragique pour adultes. Tourné dans les paysages tourmentés et accidentés  de l’Ile britannique, ce film est, formellement splendide. Sa réussite tient aussi de son interprétation, dont celle très charismatique de Jessie Buckley et celle, très magnétique, de Johnny Flynn.

On attend impatiemment le deuxième film de Michael Pearce.   

RECOMMANDATION: EXCELLENT

 

3 -« Nico, 1988 » de Susanna Nicchiarelli- avec Trine Dyrholm, John Gordon Sinclair, etc.. 

 Avant de mourir brutalement en 1988 à l’âge de 49 ans, Nico, de son vrai nom Christa Päffgen,  avait été, dans les années 60  une égérie de premier plan.  Emu par sa beauté magnétique et sa personnalité extravagante, Warhol en avait fait sa muse,  la propulsant à l’affiche de plusieurs de ses films. Le groupe de rock Le Velvet Underground l’avait ensuite  accueillie  pour participer à  l’enregistrement de  plusieurs de ses titres et plus tard encore, Philippe Garrel, devenu son compagnon, allait la faire jouer dans sept de ses films…

Ce ne sont pas les années les plus flamboyantes de cette artiste atypique qui ont inspiré ce Nico, 1988, mais sa dernière décennie, lorsqu’elle partit sur les routes européennes  poursuivre une carrière de chanteuse en solo… Mère perdue d’un jeune ado déphasé, elle est alors droguée, fragilisée, cabossée, mais bouleversante dans son intransigeance artistique  restée intacte, et  sa générosité envers un public fasciné par sa beauté fatiguée, sa voix au timbre si singulier et ses chansons, comme des  « lamento », qui  exhalent mal-être et mélancolie.

C’est le portrait déchirant de cette  femme alors au bord du gouffre que nous propose l’italienne Nicchiarelli. Dans le rôle de Nico, une comédienne chanteuse tour à tour désarmante et foudroyante, la danoise  Trine Dyrholm.

RECOMMANDATION: EXCELLENT

 

4 -« Katie says Goodbye » de Wayne Roberts- Avec Olivia Cooke, Christopher Abbott, Jim Belushi…

C’est l’histoire simple et poignante  d’une jeune fille, candide à en pleurer, dont on pressent, dès le départ, qu’elle va mal se terminer. C’est une histoire  dont il va être impossible d’en perdre une miette, tant on va avoir de l’empathie et une fascination compassionnelle pour son héroïne…

Dans un bled paumé de l’Arizona, Katie (Olivia Cooke)  est serveuse dans   ce qu’on appelle là-bas un diner. Vêtue d’une immuable robe-tablier d’un rose tendre impeccable, elle répond  avec douceur, sans jamais rechigner aux commandes de ses clients. Et entre deux, sans façon, sans vulgarité, sans penser à mal, elle va souvent  offrir son corps à ses habitués. Pour une poignée de dollars. Katie est pauvre et sa mère, une  ancienne prostituée lassée par son métier, n’a plus le sou. Katie, qui entasse ses billets verts dans une boite à chaussures, attend un  signe du destin. Peut-être pour partir, se tirer de l’enfer de  cette désolation. Mais voilà qu’un jour, débarque un beau garçon. Son cœur,  qui l’avait toujours laissée tranquille, se met à battre la chamade. Pour elle, c’est le début de la dégringolade. Ce garçon est un repris de justice, un taiseux, mais qui ne sait s’exprimer qu’avec ses poings. Il va se montrer jaloux…

Très beau formellement,  très bien maitrisé, filmé sans pathos ni condescendance non plus pour son héroïne, ce Katie says goodbye a fait les beaux soirs de plusieurs festivals internationaux. Une réussite pour le primo réalisateur Wayne Roberts.

RECOMMANDATION: EXCELLENT

 

5 -« Game night » de John Francis Daley et Jonathan M. Goldstein- avec Jason Bateman, Rachel McAdams, etc…

Ils ont beau avoir dépassé la trentaine,  Max et Annie continuent à raffoler de ce qui  les passionnait adolescents : les jeux de société entre amis. Un jour, débarque chez eux Brooks , le frère de Max, qui va leur proposer, à eux et à leurs copains présents, un jeu  de rôle d’un autre acabit. Tout commence dans une excitation joyeuse, jusqu’au moment où surgissent des individus baraqués qui passent le frère à tabac avant de l’enlever…Fiction ? Réalité ? Une nuit de folie démarre, où on ne sait plus  ni qui poursuit qui , ni qui cherche quoi…En tous cas, les rebondissements vont se poursuivre à un rythme effréné, les gags aussi, qui font se tordre de rire le spectateur. Les acteurs sont au top de leur forme, Jason Bateman est hilarant,  la pétillante Rachel McAdams, désopilante. Mais la palme de la drôlerie revient  à Billy Magnussen, qui  joue avec une jubilation très contagieuse un flic aussi demeuré que psycho-rigide ! Ce thriller farcesque, au peps fou,  devrait réjouir les amoureux des films d’action.

RECOMMANDATION: EXCELLENT

 

6 -« Notre enfant » de Diego Lerman-avec Barbara Lennie, Daniel Aráoz, Yanina Ávil, etc…

Ayant perdu un enfant, Malena, médecin à Buenos Aires,  va en adopter un. Seule au volant de sa voiture, elle part chercher ce bébé tant attendu chez sa mère porteuse qui vit dans une petite ville pauvre à 800km de là. Aveuglée par son désir, elle ne soupçonne pas un instant ce qui l’attend. Car vont surgir des problèmes de toutes sortes : la procédure d’adoption va se révéler kafkaïenne, la famille de celle qui a porté son enfant va vouloir lui extorquer de l’argent, son couple va partir à vau l’eau…

Notre enfant qui avait démarré comme un  émouvant road movie va bifurquer vers le drame social, avec des allures de triller. Pas de larmoiement  complaisant,  mais une plongée édifiante (et passionnante) dans le système argentin de l’adoption. Bárbarie Lennie qui joue la mère adoptive crève l’écran.

RECOMMANDATION: EXCELLENT

Commentaires

Yves Bouëssel …
mer 18/04/2018 - 16:51

Merci pour cette réjouissante critique du film de Jaoui-Bacri (on ne les sépare plus). Il me tarde d'aller voir ce film succulent....

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