Titre ARTHUR RAMBO

A travers l’histoire vraie de la chute d’un jeune romancier en vogue, en l’occurrence Mehdi Meklat, Laurent Cantet explore le pouvoir des réseaux sociaux… Implacable et subtil…
De
LAURENT CANTET
Avec
RABAH NAÏT OUFELLA, ANTOINE REINARTZ, SOFIAN KHAMMES…
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Le jeune écrivain Karim D. (Rabah Naït Oufella) est aux anges. Vendu à 300.000 exemplaires en quelques semaines seulement, son roman, Débarquement, qui jette un regard neuf sur la banlieue et décortique avec acuité les problèmes de l’intégration et de l’immigration, est en cours de réimpression. En un seul livre, Karim est devenu le chouchou des médias. On le célèbre partout, on le demande partout, on le sollicite pour tout. Mais voici qu’un tsunami arrive : la déferlante des tweets haineux qu’il a postés quelques années auparavant sur les réseaux sociaux le rattrape et refait soudain surface sur les écrans de télé.

Sous le pseudonyme d’Arthur Rambo (qui évoque à la fois un poète prodigieux et un combattant dur à cuire ), Karim avait en effet mis sur le net des centaines de messages « choc », tous plus abjects les uns quels autres : racistes, antisémites, misogynes, homophobes, etc… A la minute où il est démasqué, les portes se ferment. Le jeune auteur chéri de tous qu’il était devenu en quelques mois, est ravalé au rang de paria. Il va quand même vaillamment tenter d’expliquer à son éditrice que le contenu de ses messages internet n’était que du second degré provocateur. En vain. La machine à broyer et arme à double tranchant que sont les réseaux sociaux, a fait son oeuvre. Quand le film se termine sur un plan de Karim renvoyé à sa solitude, on ne saura pas qui il est réellement…

Points forts

- Décidément, Laurent Cantet aime ancrer ses fictions dans le réel. Après, notamment, l’Emploi du temps (2001), librement inspiré de la véritable histoire de Jean-Claude Romand, il récidive avec ce film adapté de l’affaire Mehdi Meklat. Un bref rappel des faits : en 2017, on découvre que  l’auteur de tweets haineux publiés sur le web sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps n’est autre que Mehdi Meklat, un écrivain et chroniqueur de 25 ans alors encensé par les médias. Sous le coup du scandale provoqué par cette découverte, celui qu’on considérait comme un jeune prodige se voit contraint de s’exiler au Japon, le temps d’écrire Autopsie, un livre d’excuses publié l’année suivante chez Grasset et dans lequel il en profitera pour analyser l’utilisation des réseaux sociaux. Quand Laurent Cantet décide de se pencher sur cette histoire, il est clair avec lui-même. Ce n’est pas pour retracer le parcours de cet « enfant-roi » soudainement déchu, ce n’est  pas non plus pour faire oeuvre de justicier à son encontre, ni encore moins pour tenter de trouver des excuses à ses écrits. C’est simplement (et c’est déjà énorme ) pour analyser, à travers son histoire, le pouvoir des réseaux sociaux, un pouvoir capable de fabriquer des stars aussi instantanément qu’il peut les déchoir. 

- Pour éviter toute tentation de  débordement psychologique, le cinéaste a eu l’idée de raconter son histoire sur deux jours : le premier permet de découvrir la véritable identité de l’homme qui inonde les réseaux sociaux de tweets abjects, et qui, dans son côté solaire, caracole dans les salons littéraires sous le nom de Karim K., et le second est consacré au déboulonnage et à la chute de l’auteur jusque-là  adulé. Cette construction ramassée permet en outre de bien se rendre compte de l’immédiateté brutale de l’impact des réseaux sociaux. 

- La mise en scène est d’une efficacité redoutable. La caméra ne lâche pratiquement jamais Karim K. Elle le filme à l’horizontale, en plans moyens et gros, comme si elle le fouillait  et le traquait pour  lui arracher une explication qui, bien sûr, ne viendra jamais. 

- Dans le rôle de Karim K., Rabah Naït Oufella est parfait. Justesse, douceur, impassibilité frémissante, il montre ce que son personnage a d’ambigu, sans jamais en dévoiler davantage. Est-il joueur, provocateur, est-il le démon que ses tweets laissent supposer ? Il demeure indéchiffrable. C’est très fort.

Quelques réserves

Dans sa volonté de ne pas juger Karim K. (car, on a bien compris que ce n’était pas son sujet), Laurent Cantet est resté trop à « l’extérieur » de son personnage. Quoiqu’il en pense, on aurait aimé en savoir plus sur la double personnalité de Karim, pas tant pour le condamner que pour essayer de comprendre sa schizophrénie. Dommage.

Encore un mot...

Pour son huitième long métrage, Laurent Cantet nous livre un film social qui met le doigt sur une des plaies de notre société encore peu exploitée sur le grand écran : les réseaux sociaux et leur pouvoir phénoménal. A la subtilité et l’équilibre de son propos, on reconnaît encore une fois la patte unique de ce cinéaste qui réussit cette quadrature du cercle, de rester d’une impartialité parfaite sans rien renier de son engagement. On lui sait gré aussi, avec ce film, d’avoir remis en lumière Rabah Naït Oufella, un acteur formidable qu’il avait lancé en 2008 dans Entre les murs.

Une phrase

« Je ne voulais surtout pas faire un biopic. Je voulais retrouver la distance que j’avais instaurée avec la vie de Jean-Claude Romand quand j’ai écrit L’Emploi du temps. C’est comme ça qu’est né Karim, dont on ne saura jamais vraiment pourquoi il a écrit ces tweets et que lui-même ne le saura sans doute jamais. Karim/Arthur Rambo devait rester une énigme pour nous, mais surtout pour lui-même » (Laurent Cantet, cinéaste).

L'auteur

Après une maîtrise d’audiovisuel à Marseille et des études à l’IDHEC dont il sort diplômé, Laurent Cantet — né le 15 juin 1961 dans les Deux-Sèvres de parents instituteurs — commence sa carrière dans le cinéma en 1987 comme le chef opérateur de l’Etendu, un court-métrage réalisé par son ami Gilles Marchand. Après quelques autres courts où il est directeur photo, il se lance dans la réalisation en 1994 avec Tous à la manif, puis avec Jeux de plage. Après avoir réalisé pour la télévision un documentaire sur la guerre du Liban, Chercheurs d’or, il s’essaie en 1998 au long métrage de fiction avec un téléfilm intitulé Les Sanguinaires.

Il passe sur le grand écran en 2000 avec Ressources humaines. Suivront, L’Emploi du temps, Vers le Sud, puis, en 2008 Entre les murs. Adapté du roman éponyme de François Bégaudeau, ce film qu’il réalise seul, mais à partir d’un scénario qu’il a cosigné avec Robin Campillo et l’auteur du livre dont il est tiré, obtient la Palme d’Or à Cannes, ce qui n’avait plus été le cas pour un film de production strictement française depuis 1987 avec Sous le Soleil de Satan de Maurice Pialat. 

Depuis ce Prix qui l’a fait changer de statut , le cinéaste a réalisé , en 2013, Foxfire, les confessions d’un gang de filles, en 2014, Retour à Ithaque, et en 2017, l’Atelier. 

Si on excepte celui qu’il a réalisé pour le petit écran, Arthur Rambo est le huitième long métrage de ce cinéaste militant qui s’est mobilisé en 2010 pour la cause des travailleurs sans-papiers. Nommé en 2017 Président du comité de sélection de l’aide à la post-production de la société Lumières numériques, Laurent Cantet est membre du collectif 50/50 qui promeut l’égalité des femmes et des hommes dans le cinéma et l’audiovisuel.

Et aussi

- LES VOISINS DE MES VOISINS SONT MES VOISINS d'ANNE-LAURE DAFFIS ET LÉO MARCHAND — ANIMATION — AVEC LES VOIX DE VALÉRIE MAIRESSE, ARIELLE DOMBASLE, OLIVIER SALADIN…

Une mère de famille danseuse de flamenco, un randonneur suréquipé qui reste coincé plusieurs jours avec son chien dans un ascenseur, un ogre qui se casse toutes les dents à la veille de la grande fête des ogres, un magicien qui rate son tour de la femme coupée en deux, un vieux monsieur qui tombe amoureux des jambes de cette femme devenue tronc… Voici quelques-uns des dix personnages complètement allumés dont ce film d’animation va suivre les péripéties à un rythme d’enfer et dans une inventivité époustouflante. 

Impossible de classer ce long métrage réjouissant signé du duo Anne-Laure Daffis et Léo Marchand (deux diplômés en Arts Plastiques devenus réalisateurs de courts-métrages) et qui emprunte à de nombreux supports et techniques d’animation ( papier découpé, dessin, images d’archives, extraits de journaux télé, etc..) en les mêlant avec un culot fou, faisant, par exemple, se côtoyer dans la même séquence, Lady Di et le magicien du film reconverti en chauffeur de taxi. Le plus ahurissant est que ça marche ! Les Voisins de… paraît n’avoir ni queue ni tête, et pourtant, on suit les chassés-croisés et les entrechoquements de chacun de ses personnages tous plus déjantés les uns que les autres, sans jamais les perdre, sans jamais pouvoir non plus s’en détacher. Les Voisins de… entre dans la catégorie « dessin animé », mais en même temps, il évoque de nombreux réalisateurs de cinéma dont le Fellini d’Amarcord. Incontestablement, cet Ovni à la folie sur-vitaminée est la plus belle surprise ciné de la semaine. Cocorico : il est entièrement français!

Recommandation :  5 coeurs

 

- VAILLANTE  de LAURENT ZEITOUN et THÉODORE TY — ANIMATION — AVEC LES VOIX D’ALICE POL, VINCENT CASSEL, CLAUDIA TAGBO…

Depuis qu’elle est enfant, Georgia ne rêve que d’une chose : devenir pompier, comme son papa adoré le fut, pour sauver des vies. Mais à New York, en 1932, les filles n’ont pas le droit d’exercer cette profession. Quand les pompiers de la ville vont commencer à disparaître dans de violents incendies d’origine criminelle, Georgia décide de jouer le tout pour le tout. Elle se déguise en garçon et va proposer ses services à l’équipe chargée de débusquer le pyromane. Ça va marcher ! Son stratagème tombe d’autant plus à pic, que son père, qui s’était retiré du métier pour mieux s’occuper d’elle à la mort de sa mère, rempile. C’est parti pour une aventure aussi désopilante que trépidante…

Cinq ans après leur éblouissant Ballerina, les producteurs Laurent Zeitoun et Yann Zenou se sont de nouveau associés pour relater les aventures d’une « super-héroïne ». Et chic !  Avec la même réussite ! Scénario soigné, dialogues dynamiques, animation trépidante et musiques du tonnerre… Vaillante devrait cartonner dans les familles, d’autant plus qu’il s’offre un formidable casting de voix : Alice Pol, Valérie Lemercier, Vincent Cassel… Enthousiasmant.

Recommandation :  4 coeurs

 

- LES JEUNES AMANTS de CARINE TARDIEU - Avec FANNY ARDANT, MELVIL POUPAUD, CÉCILE DE FRANCE…

Parce qu’elle pense que le temps de la passion est définitivement derrière elle, Shauna, 70 ans, femme libre et indépendante, croit avoir définitivement mis un terme à sa vie amoureuse. Mais voilà qu’un jour, elle revoit Pierre, un médecin cancérologue de 45 ans qu’elle avait déjà croisé quelques années plus tôt. Contre toute attente, ce dernier va voir en elle une femme désirable et il va l’aimer. Petit problème pourtant, Pierre est marié et père de famille…

« Si cette histoire avait mis en scène un homme âgé avec une femme plus jeune, on n’en aurait pas parlé, il n’y aurait pas eu de film. Mais, là, j’y ai trouvé un « sujet ». Carine Tardieu avait vu juste, qui signe ici ce qui est sans doute le plus beau et le plus poignant de ses longs métrages (c’est son quatrième). Car il rend crédible la passion qu’un quadragénaire peut éprouver pour une femme de trente ans son ainée. L’amour qui triomphe des obstacles de la différence d’âge et même de la maladie, mais oui, cela peut se concevoir et même exister dans la vraie vie. Si Carine Tardieu nous en convainc avec tant de force, c’est qu’elle a su éviter les clichés et nous épargner des dialogues à l’eau de rose. Dans ce Jeunes Amants, tout respire le vrai et le vécu et c’est ce qui le rend si émouvant. La pudeur de son scénario, la simplicité de ses dialogues et l’efficacité lumineuse de sa mise en scène y sont évidemment pour quelque chose. Pourtant, c’est l’interprétation des deux comédiens incarnant les rôles-titres, qui en scelle la réussite. Extraordinaires de complicité, Fanny Ardant et Melvil Poupaud s’abandonnent avec une belle générosité à la caméra. Elle et lui sont magnifiques de vérité, de séduction et de sensualité. Dans le rôle de la femme délaissée, Cécile de France est pour sa part, d’une humanité déchirante.

Recommandation : 4 coeurs

 

- A NOS ENFANTS de MARIA DE MEDEIROS — Avec MARIETA SEVERO, JOSÉ DE ABREU, LAURA CASTRO…

Après avoir combattu la dictature au Brésil dans les années 70, un combat qui lui valut la torture, la prison et l’exil, Vera s’occupe désormais à Rio d’un orphelinat pour enfants séropositifs. Sa fille, Tania, essaye depuis plusieurs mois, avec sa compagne Vanessa, d’avoir un enfant par PMA. Entre la mère et la fille, un fossé s’est creusé. Malgré ses efforts, et aussi en dépit de son féminisme, Vera ne comprend plus Tania. Leurs rapports vont tourner au dialogue de sourds lorsque Tania va venir annoncer à sa mère que l’enfant qu’elle attend est, en fait, dans le ventre de sa compagne…

A l’origine d’A nos enfants, il y a une pièce de théâtre signée Laura Castro et qui met face-à-face, avec une grande subtilité, deux femmes aussi intelligentes qu’engagées dans leur féminisme, mais qui divergent sur la conception qu’elles ont, chacune, de ce mouvement. 

Lorsqu’elle lit ce texte en 2013, Maria de Medeiros, comédienne de son premier métier, décide de le jouer. Elle va le « tourner » pendant trois ans, jusqu’à ce qu’elle décide de l’adapter pour le porter sur grand écran. Dommage que la cinéaste ait voulu trop en faire. En multipliant les personnages secondaires et les flashback sur le passé de Véra (pourtant, édifiants sur ce que fut l’horreur des années de dictature au Brésil), elle amoindrit le propos principal de son film : l’affrontement de deux générations de féministes sur des problèmes de société cruciaux, comme celui du bien-fondé des PMA à une époque où les abandons d’enfants sont en nette augmentation. 

Recommandation :3 coeurs

 

- INTRODUCTION de HONG SANG-SOO- Avec SHIN SEOKHO, MI-SO PARK, KIM YOUNG-HO…

Youngho, un jeune coréen tente de se frayer un chemin entre son rêve de devenir acteur, les attentes de ses parents et les souhaits de sa petite amie partie étudier à Berlin…

D’une durée très courte pour un long métrage (1h06), découpé en trois parties elliptiques à partir d’un scénario et des dialogues très minimalistes, tourné dans un noir et blanc « sur-ex », le nouveau film de Hong Sang-Son — Le 25 ème en 25 ans ! risque de désarçonner un public qui ne connaîtrait pas son cinéma quasi-onirique où se mélangent rêve et réalité, sans qu’on puisse souvent les distinguer l’un de l’autre.

 Il y a beaucoup d’amateurs et même des fans pour les  films de cet étrange cinéaste professeur à l’Université de Konkuk à Séoul. La preuve : presque tous  ont obtenu des sélections dans les plus grands festivals du monde. S’ils en sont souvent repartis bredouilles, A nos enfants a obtenu l’Ours d’Argent (meilleur scénario) au dernier festival de Berlin. Hypnotique et… déconcertant.

Recommandation : 2 coeurs

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