Algocratie : Vivre libre à l'heure des algorithmes

2 hommes sur 3 consacrent plus de temps aux réseaux sociaux qu'à tout autre activité : il faut donc y mettre de l'ordre ! Mais cet appel à réglementation appelle plusieurs réserves…
De
Arthur Grimonpont
Illustré par Lou Hermann.
Préface de Jean-Marc Jancovici
Actes Sud,
Octobre 2022
288 pages
22 €
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Thème

En 2011, la presse occidentale faisait crédit à Facebook : elle associait encore le désir de liberté des foules descendues dans les rues de Benghazi, du Caire, de Damas, de Tunis ou d'Alger, à l'inspiration libertaire du web et aux réseaux sociaux qui facilitèrent l'émergence des « printemps arabe » évoqués dans cet ouvrage (p. 104).

Dix ans plus tard, cet optimisme a été remplacé par une condamnation sans appel des plates-formes internet : pour l'auteur, l'impact social des algorithmes et de l'intelligence artificielle est délétère. Pétri d'écologisme, l'ingénieur Grimonpont condamne sévèrement Facebook. Il accuse aussi les algorithmes de Tik Tok, de Twitter, de Snapchat ou de Youtube de catalyser le « mal-être » de leurs adeptes, de les manipuler sans scrupule et de stimuler des instincts primaires « sans modération et sans retenue », par simple esprit de lucre (p. 46-52)!

Ce livre évoque surtout la doctrine américaine qui menace, depuis des années, non seulement de démanteler les principales plates-formes internet (et Facebook, en premier lieu) mais aussi de leur imposer un cahier des charges de public interest, c'est-à-dire d'en faire un service public, en bon français. Il suggère enfin de redistribuer (par l'impôt, par l'anti-trust et par un encadrement des revenus publicitaires) la richesse des plates-formes ; il souhaite enfin réglementer l'intelligence artificielle et ce qu'il appelle « le design addictif » (p. 230 sq.)

Points forts

Grimonpont dont l'occupation professionnelle est bien différente des sujets qu'aborde ce livre (l'alimentation & le défi climatique, notamment) s'est manifestement entouré de conseils bien informés qu'il remercie explicitement, ce qui n'est guère courant de nos jours : dont acte !

L'ouvrage est de lecture facile ; il cite abondamment ses sources (souvent de langue anglaise) ; son dispositif de notes est honnête et fourni. Les intentions de l'auteur sont parfaitement explicites : il plaide pour une régulation politique des opérateurs, des méthodes et des ressources (essentiellement publicitaires) qui ont assuré le succès et la croissance des services internet qui sont d'accès gratuit et qui prospèrent dans un monde ouvert à la circulation des données, du divertissement et de l'information.

Quelques réserves

Quelques unes en effet, mais sérieuses ! Bien que le lien qui rattache les algorithmes au fonctionnement des démocraties occidentales soit assez ténu, l'auteur (et son préfacier) s'efforcent d'en établir la véracité : l'annexe 3 (p.235) tente de le démontrer en trois pages !

La préface de Jancovici affirme que les réseaux sociaux occultent «le défi climatique (et les) limites planétaires» (ce qui est ici hors sujet) ; il reproche à ces entreprises d'être «situées dans un pays dominant» (les Etats-unis, évidemment !) et de ne voir en l'Europe qu'un «paquet de consommateurs» ! Tout cela est un peu court, surtout venant d'un intellectuel qui sait argumenter son propos, par exemple lorsqu'il soutient avec fougue l'énergie nucléaire ! De tels raccourcis tombent dans le travers que stigmatise Grimonpont chez ceux qui inondent les réseaux sociaux d'affirmations péremptoires et qui caricaturent ainsi le débat politique, au grand dam de l'auteur (pp. 71 sq. & 138 sq.)!

Autre réserve : découpé en une trentaine de courts chapitres (souvent de trois à cinq pages) l’ouvrage manque d'un fil conducteur, évoque plus souvent qu'il ne prouve, affirme sans plaider et revient plusieurs fois sur des thèmes déjà traités comme la capture de l'attention par les services internet (pp.20, 88, 96, 126, 209 etc.) Concis, il aurait pu être percutant et pugnace. Il aurait ainsi trouvé son public, comme un pamphlet !

Une phrase

p. 44 où l'on perçoit la vraie vocation de l'auteur qui s'intéresse à la malbouffe : « Comme pour la nourriture, nous sommes victimes d'une surcharge d'informations, d'une infobésité aux conséquences psychologiques et sociétales dramatiques » !

p . 93, l'auteur charge Facebook de « désinformation notoire » lors de la pandémie Covid : « sans intervention extérieure, le principe de leur IA (intelligence artificielle) et la logique de profit (…) resteront inchangés : il s'agira toujours de retenir l'attention, quoiqu'il en coûte à la vérité ! »

p. 182 à propos de l'enjeu écologique qui structure les derniers chapitres du livre : « c'est tout le sens d'un projet politique que d'actionner le changement à une échelle qui dépasse l'individu (et) de soumettre nos intérêts individuels (…) à l'intérêt collectif de long terme » !

L'auteur

La notice biographique fournie par l'éditeur est succincte et partielle. Arthur Grimonpont s'est intéressé à l'aménagement territorial. Depuis 2018 il participe à une association qui milite pour transformer le « système alimentaire » en France et dans l'Union européenne. Associé depuis peu à l'Ecole urbaine de l'université de Lyon, Grimonpont travaille sur la « résilience alimentaire » et sur des politiques publiques soutenues par l'Agence nationale pour la recherche et par l'Ademe, afin de favoriser l’agro-écologie, de réduire l'importation d’aliments et la consommation animale. Son approche des services internet ne paraît donc pas être le cœur de son engagement professionnel !

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