De Gaulle et Pétain

Spécial rentrée littéraire - Une synthèse forte sur le duel de deux visionnaires au sommet de la France
De
Pierre Servent
Éditions Perrin,
224 pages,
18 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

« Médiacteur » familier des écrans, Pierre Servent apporte une pierre à l’édifice historique de « l’année de Gaulle ». Le livre classique de Jean-Raymond Tournoux plaçait en 1964 les deux protagonistes, Pétain et de Gaulle, dans l’ordre hiérarchique et d’ancienneté : le Maréchal avant le Général. Instruit par son goût prononcé pour l’étude du pouvoir politique, de la défense, des armées et des chefs militaires, l’auteur remet le second, fils prodigue et élève surpassant le maître, à la première place, celle de l’Histoire.

Son étude comparative, fouillée et alerte, se lit d’un jet. Elle révèle la similitude de leurs caractères et de leurs parcours de précurseurs mal aimés, de vocations tardivement conviées à la gloire ; jusqu’à l’infléchissement et au croisement de leurs lignes de vie, l’éloignement de leurs choix et l’opposition de leurs destins. C’est ce lien originel, cette rupture silencieuse, ce duel impitoyable de deux figures éminemment françaises que raconte l’ouvrage.

Points forts

La partie la plus développée du livre approfondit la relation d’estime réciproque complexe, l’alchimie singulière de la rencontre, avant guerre, entre un lieutenant néophyte, encombré par sa haute taille, et son colonel, rigoureux chef de corps du 33e Régiment d’Infanterie à Arras. Prenant sous son aile un protégé prometteur marqué par sa captivité (1916), Pétain, le héros auréolé de Verdun et le héraut de l’économie du sang de ses soldats, fait grandir dans son entourage cet officier atypique et sûr de lui.

De Gaulle sera après-guerre la plume et la voix de la revanche de Pétain jusqu’au jour où leurs conceptions divergent jusqu’à la rupture en trois temps : 1932, 1938, 1940. Le poids de l’âge et le goût pour les honneurs du vieux Maréchal marmoréen se heurtent à l’orgueilleuse prémonition de celui qui pressent que les circonstances solliciteront sa vision ancrée dans l’Histoire, sa pensée devancière de l’action, l’endurance de son génie solitaire émergeant dans l’épreuve. Hélas, l’impéritie des chefs civils et militaires du système et le naufrage de la défaite seront le terreau de leur affrontement inédit. Avec la France hébétée, comme victime consentante et impuissante. Jusqu’au sursaut, à la réconciliation impossible et au procès de 1945 qui, pour l’oublier, rétrograde Pétain au souvenir du défilé de la victoire de 1919 et le réduit à son incontestable rôle dans la victoire du peuple des Poilus.

Quelques réserves

En deuxième partie, le livre ne s’attarde pas sur les étapes de la chronologie et des éléments constituants de l’affrontement entre le système de Vichy et l’aventure montante de la France Libre ; c’est un choix cohérent avec l’histoire parallèle de ce duel de personnalités qui tisse petit à petit l’Histoire.

Encore un mot...

Sur un sujet inépuisable, Pierre Servent livre une thèse solide et une synthèse forte, illustrée des meilleures sources et références, sans parti pris. Il n’élude rien des défauts et des calculs de ses héros. Notamment l’orgueil sans concession de l’écrivain Charles de Gaulle vis-à-vis de ses écrits, sortes d’empreintes des évènements à venir et, pour Pétain, la tragédie qui mène l’ambition sénile d’un vieillard enfermé dans son rôle de sauveur à défaire sa propre gloire. La dimension shakespearienne de cette querelle d’hommes éloigne la thèse sur la complémentarité entre le glaive du général et le bouclier du Maréchal. Elle fait vivre cette guerre de mouvement entre le temps et le caractère. Elle met en scène le parricide symbolique qui conduisit à la fracture de ce qui restait au sommet du pouvoir entre la légitimité de Pétain et la légalité de la résistance gaullienne à l’abandon. Elle continue enfin, 80 années après, à peser dans l’imaginaire des français.

Une phrase

Leur querelle a été personnelle avant d’être nationale.

« Pétain me montra ce que valent le don et l’art de commander ».

On imagine l’émotion pour de Gaulle de voir « son colonel » dans sa tenue bleue horizon de maréchal de France.

Cette concordance des âmes serait-elle prémonitoire ?

Prenant acte de de sa perte de statut de favori de Pétain, il a accroché son étoile à celle du civil Paul Reynaud.

La survie n’est-elle pas plus importante que l’honneur ?

L'auteur

Pierre Servent est journaliste et officier de réserve. Ancien conseiller ministériel, il est un « passeur » des questions de défense et intervient régulièrement dans les médias et en milieu universitaire. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire militaire (Cinquante nuances de guerre, Les présidents et la guerre, Le complexe de l’autruche) et plusieurs biographies (Rudolf Hess, Manstein).

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