Entre despotisme et démocratie

Une histoire constitutionnelle de la France à l’érudition éblouissante
De
Charles Zorgbibe
Les Editions du Cerf
Parution en avril 2023
501 pages
34 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’auteur décrit et analyse toutes les constitutions de la France de 1791 à la Vème République, y compris les projets non adoptés. Ce livre place les débats actuels sur la démocratie française dans une perspective historique riche d’enseignements. L’auteur reste largement factuel à l’exception de la Vème République pour laquelle il laisse transparaître son interprétation et ses souhaits d’évolution.

Plutôt que de résumer les différentes étapes de cette histoire constitutionnelle qui dépasseraient de loin la norme de cette chronique, il est intéressant de s’intéresser à certains éléments ignorés ou oubliés de cette histoire.

Robespierre, prétendument l’inventeur du suffrage universel, nouveau héros d’une partie de la gauche française, en avait une curieuse conception. Il a imposé à Paris, suivi par dix autres départements, le vote public et à voix haute. Les députés élus indignes de la confiance du peuple pouvaient être rejetés par la majorité des sections. La Constitution de 1793 proclamée le 10 août par la Convention fut immédiatement ajournée par celle-ci et l’élection du Corps Législatif reportée sine die.

Si l’amendement Wallon du 30 janvier a rétabli la République à une voix de majorité, il a été voté très nettement en deuxième lecture par 165 voix de majorité. La IIIème République a formellement débuté en mars 1876 par le vote, à la majorité de ses membres, de l’Assemblée Nationale composée de l’Assemblée et du Sénat. Ce régime avec un exécutif faible et un parlement tout puissant, sans aucun contrôle de constitutionnalité, a résisté à toutes les tentatives de réforme constitutionnelle et survécu à toutes les crises jusqu’à son sabordage du 10 juillet 1940 à Vichy.

Contrairement aux interprétations habituelles, la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 donnant au Maréchal Pétain le pouvoir de promulguer une nouvelle constitution, aussi éminemment politiquement critiquable qu’elle soit, était juridiquement valide. C’est l’utilisation qu’en fit Pétain qui était irrégulière par son contenu et l’absence de ratification par la nation prévue par la loi constitutionnelle. Il est aujourd’hui complètement oublié que Pétain lança l’élaboration d’une nouvelle constitution en juillet 1943. Elle fut signée le 30 janvier 1944 après que Pétain eut tenté de la présenter à la nation en novembre 1943 dans un message bloqué par l’occupant. D’inspiration corporatiste, elle comportait néanmoins certains éléments modernistes proches des conceptions de Michel Debré qui ont inspiré la constitution de 1958 et introduisait le vote des femmes.

En dehors du maintien du bicaméralisme, la Constitution de la IVème République du 27 octobre 1946, approuvée par seulement 53 % des votants, était peu différente du projet précédent rejeté à 53 % en mai 1946. Le Président de la République avait encore moins de pouvoir que sous la IIIème République, en perdant au bénéfice du Président du Conseil l’initiative des lois, la surveillance de leur exécution et la nomination à la plupart des emplois civils et militaires.

L’auteur oppose deux lectures de la Constitution de la Vème République, le parlementarisme rationalisé des rédacteurs de la Constitution de 1958 avec Michel Debré et le présidentialisme tempéré par le recours régulier au référendum de René Capitant qui a correspondu à la pratique du Général de Gaulle, renforcée par l’élection du Président de la République au suffrage universel introduite en 1962. Cette dernière lecture, qui a visiblement les faveurs de l’auteur, est incompatible avec la cohabitation à laquelle il a toujours été hostile. En conclusion l’auteur penche en faveur d’une évolution vers un véritable régime présidentiel tempéré par le recours au référendum d’arbitrage sur les grandes questions de civilisation ou d’orientation internationale, voire au référendum d’initiative populaire.

Points forts

La vigueur intellectuelle de l’auteur à 88 ans est exceptionnelle. Ce livre est une synthèse puissante de l’histoire constitutionnelle de la France, accessible à un lectorat cultivé qui n’est pas juriste de métier. L’auteur a la capacité de faire émerger les grands concepts derrière les différents textes constitutionnels. C’est un livre historique au contenu éminemment politique, au sens noble du terme, qui dépasse très largement le champ des ouvrages destinés aux universitaires et à leurs étudiants, tout en étant lui-même de très haute qualité  universitaire. On ne peut que s’incliner devant une telle réussite.

Quelques réserves

Il n’était pas indispensable que l’auteur ait cru bon de nous faire part de sa lecture personnelle de la Constitution de la Vème République et surtout de sa conception de son évolution, peu convaincante, même si elle est dans l’air du temps vers davantage de démocratie directe.

La demande apparente, par la société française, de davantage de démocratie pose la question du recours plus fréquent au référendum. Si celui-ci est souhaitable sur de grandes questions de société, de civilisation ou d’orientation internationale appelant des choix simples et bien identifiés qui pourraient justifier l’extension du champ de l’article 11 de la Constitution, on peut douter qu’il soit pertinent sur des questions complexes qui relèvent normalement de la loi.

Encore un mot...

Un pays comme la France où règnent en maître l’idéologie, le manque de pragmatisme, le déni de réalité et la démagogie, n’est guère susceptible d’apporter des solutions équilibrées et efficaces à ses nombreux problèmes, qui relèvent de la loi, par la voie du référendum d’initiative populaire ou non. La Suisse, qui est l’exact opposé de la France de ce point de vue, est le seul pays démocratique à maîtriser presque parfaitement le référendum, comme instrument de démocratie directe, sur la base d’une tradition multiséculaire. 

En réalité il n’y a guère que trois exemples de référendums vraiment réussis en France, l’approbation de la Constitution de la Vème république en 1958 par 82% des votants, celle de l’indépendance de l’Algérie en 1962 par 91 % des votants, celle de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 par 62 % des votants. Il est probable qu’aucun de ces résultats n’aurait pu être atteint par la voie du Parlement ou du Congrès réunissant l’Assemblée Nationale et le Sénat. Le référendum de 2000 sur la modification la plus importante de la Constitution de la Vème République, le passage à cinq ans du mandat du Président de la République, ne peut être considéré comme un succès, compte tenu des nombreuses critiques dont il fait l’objet aujourd’hui sur le fond et de la très faible participation de 30 % du corps électoral. Tous les autres référendums peuvent être considérés comme des référendums de circonstance. 

S’il paraît politiquement normal que l’approbation d’une nouvelle constitution soit adoptée par référendum plutôt que par le Congrès, encore faut-il que le choix binaire puisse se résumer à une ou deux questions simples, compte tenu de la très grande technicité d’un texte constitutionnel pour le commun des mortels. De ce point de vue, le référendum sur la Constitution de 1958 peut être considéré comme clair puisqu’il portait d’abord sur le renforcement de l’exécutif par rapport au parlement qui avait pratiquement tous les pouvoirs sous les IIIème et IVème République. En sens contraire, les deux référendums de 1946 sur la Constitution de la IVème République démontrent, par l’étroitesse de leur résultat, que le vote réel a probablement porté sur autre chose que les textes juridiques. 

Enfin venons en au plus grand échec référendaire, le vote sur la Constitution de l’Union Européenne en 2005. Tout d’abord ce n’était pas une constitution, mais un traité international normal que la mégalomanie de Giscard d’Estaing avait qualifié de cette manière grandiloquente. Pour ceux qui ont suivi en détail les débats référendaires, il est clair que ceux-ci n’ont guère porté sur le contenu d’un texte complexe à expliquer à des citoyens, voire à leurs élus, qui n’avaient souvent pas la moindre idée du fonctionnement de l’Union Européenne et de ses politiques. Lorsque certaines dispositions ont été critiquées, elles faisaient généralement partie du Traité de Rome initial de 1957. En réalité les électeurs français ont voté sur leur ressenti du moment par rapport à l’Union Européenne ou bien implicitement contre le Traité de Rome, donc inconsciemment contre la présence de la France dans l’Union Européenne, ce qui n’était certainement pas leur objectif réel. Le référendum du Royaume Uni de 2016 sur le Brexit est un autre cas d’école. Les citoyens britanniques ont voté sur une question simple en apparence, mais avec des conséquences d’une grande complexité que le citoyen n’était pas en mesure d’évaluer. Les résultats ex-post ont confirmé les conséquences très négatives que l’auteur de cette chronique avait évalué dans ses fonctions de l’époque à Bruxelles en 2018, soit une énorme perte de croissance de 6 % pour le Royaume Uni sans accord avec l’Union Européenne et de 4 % en cas d’accord. Ce résultat catastrophique conduirait aujourd’hui à un rejet du Brexit par 60 % des citoyens britanniques en cas de nouveau référendum.

Une phrase

  • « Le régime de la Convention est le premier des totalitarismes modernes. Sous le discours de la démocratie triomphante, la réalité est la disparition de toute liberté » page 63
  • « Pourtant, jusqu’au premier conflit mondial, cet Etat faible et gestionnaire donne satisfaction. » page 300
  • « L’immense avantage du régime présidentiel est de clarifier et simplifier les rapports entre les pouvoirs et l’ensemble de la vie politique… On a souvent évoqué le dilemme du référendum : le thème qui passionne l’opinion peut devenir le catalyseur des oppositions ; celui qui laisse l’opinion indifférente suscite la montée des abstentions. Le référendum d’arbitrage, sans lien avec la survie politique du Président, peut permettre un vrai débat, comme le montrent les campagnes passionnées qui prirent forme autour du Traité de Maastricht. Il assurera la participation directe des citoyens à l’élaboration des règles de droit. Une participation qui pourrait être élargie par le référendum d’initiative populaire, entrevu avec prudence au nouvel article 11 de la Constitution. » pages 482 et 483

L'auteur

Charles Zorgbibe, docteur en science politique, agrégé en droit public, a été professeur d’université, doyen puis recteur. Il est un grand érudit à la confluence du droit, de l’histoire et de la politique. Il a écrit une cinquantaine d’ouvrages sur l’Union Européenne, les relations internationales et des biographies en rapport avec celles-ci. Depuis une vingtaine d’années, il occupe sa retraite en écrivant de nombreuses biographies souvent remarquées, parfois primées : Delcassé, Theodor Herzl, Mirabeau, Metternich, Kipling, Guillaume II, Kissinger et Disraeli.

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