Esprits et Démons, histoire des phénomènes d'hystérie collective

Culture-Tops propose depuis fin mars 2020 des chroniques de livres et de BD "hors actualité". Des œuvres qui ont particulièrement marqué nos chroniqueurs et qui composent cette nouvelle série du "Plaisir de relire".
De
Yves-Marie Bercé, de l'Institut
La librairie Vuibert
paru en janvier 2018
287 p. 21.90 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Style concis, ton objectif, histoires surprenantes : tout est réuni pour une lecture de qualité.

Les phénomènes d'hystérie collective : sous cette appellation sont regroupés des comportements qui laissent le médecin désemparé. L'historien, lui, note qu'ils surgissent régulièrement à des époques et des lieux divers, et qu'ils sont de nature fort variées : la possession (diabolique ?),  l'hystérie et ses convulsions, le tarentisme italien et ses musiciens, le spiritisme africain, cubain, brésilien ou le vaudou, et jusqu'aux transes chamaniques de Laponie. L'auteur commence par distinguer toutes ces formes d'hystérie collective pour en discerner les symptômes typiques, leurs conditions d'apparition, de transmission et d'évolution. Il expose les différents diagnostics avancés,  examine les conditions de vie, les traditions, les croyances du milieu social et religieux dans lequel évoluent ces hommes, femmes, enfants, capables d'entrer en transe. Certaines manifestations sont célèbres : les possédées de Loudun, d'Auxonne ou de Louviers (au XVIIe) ou encore les convulsionnaires de St Médard à Paris (au XVIIIe).  D'autres sont moins connues : les crises de possession suite aux piqures de Tarentule ou le chamanisme nordique. D'autres enfin, bien que populaires, méritent d'être analysées en profondeur, tels le vaudou ou même les Gnaouas marocains. On pénètre ici dans des zones mal déchiffrables, à la frontière entre la maladie, la sorcellerie, la psychiatrie, et l'auteur avance en historien prudemment jusqu'aux années 1860, c'est-à-dire avant Charcot ou Freud.

Points forts

·        Parmi les chapitres les plus passionnants : celui consacré aux villages alpins, par exemple Frioul. Y.M. Bercé, féru d'italien, connaît parfaitement les mentalités et les conditions de vie de ces régions montagneuses.

·        On apprécie ses références annotées et détaillées, la majorité de ses sources étant des rapports de médecins, de psychiatres, de directeurs d'hôpitaux, des annales de ce que l'on appelait jadis les hygiénistes. Son érudition s'étend à tous les pays d'Europe occidentale et les pays du Nord, plus quelques pays d'Afrique et d'Amérique latine.

·        Excellent résumé de l'évolution des mentalités et des manières de considérer ces phénomènes, notamment dans la sphère chrétienne. L'historien règle leurs comptes à pas mal d'idées reçues, lieux communs ou autres préjugés sommaires (par exemple que l'hystérie serait typiquement féminine).  Pour l'exorcisme, par exemple, il n'omet pas de signaler la position de l'Eglise "officielle" si différente de celle des mentalités populaires.

·        Jamais aucun mépris ni condescendance dans ses propos, toujours attention et respect envers les situations évoquées. On apprécie qu'il demeure sensible à la souffrance, au mal-être souvent indicible, voire à la déchéance de ces personnes.

Quelques réserves

·        Certaines questions auraient mérité un plus long développement : la relation entre le jansénisme et les crises convulsionnaires autour des années 1670. Pourquoi la possession touchait aussi les Réformés ; pourquoi, parmi les ordres religieux féminins, les Ursulines semblent avoir été plus souvent atteintes que les autres. 

·        Quelques anecdotes ou détails se répètent à plusieurs endroits du livre (par exemple sur la variabilité de la date de Pâques ou sur l'hypothèse de l'hystérie de chasteté...)

·        Un chapitre spécifique sur les phénomènes récents (de l'après-guerre à nos jours) aurait été apprécié  car si le mot "hystérie" a disparu du vocabulaire médical, les épisodes contemporains ne manquent pas, il en cite trop peu...  

Encore un mot...

L'étude de Bercé donne la preuve que, sur les comportements en relation avec les esprits, l'Histoire, et non pas seulement la médecine ou les sciences humaines, a son mot à dire. 

Une phrase

"L'individu tourmenté transfère dans une cérémonie collective l'expression corporelle de son malheur. Il promeut son infortune bien réelle en spectacle de fiction... Ainsi des modèles de fuite ou de traduction de l'angoisse hantent les marges de l'imaginaire des communautés humaines".

L'auteur

Yves-Marie Bercé, professeur émérite d'histoire moderne à la Sorbonne, est membre de l'Institut, depuis 2007, au sein de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce "moderniste" se penche essentiellement sur les XVIe et  XVIIe siècle français et européens en étudiant les institutions et les comportements politiques et sociaux (en particulier les révoltes paysannes), ainsi que l'histoire des maladies  et la psychologie historique. Diplômé de l'Ecole des Chartes en 1954-59, il en assumera la direction en 2001. Il a enseigné dans plusieurs universités (Neuchâtel, Limoges, Reims, la Sorbonne). Membre -et souvent président-  de nombreuses sociétés historiques savantes, ses publications font autorité, notamment ses études sur les soulèvements paysans : Croquants et Nu-pieds, les mentalités populaires, la vie quotidienne en Aquitaine (sa région de naissance), les révoltes dans l'Europe moderne. Parmi ses ouvrages les plus cités : Le Roi caché, sauveurs et imposteurs, mythes politiques populaires dans l'Europe moderne.  

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Ils viennent de sortir

Essais
Suite orphique
De
François Cheng, de l’Académie française postface de Daniel-Henri Pageaux