A la machine : Vies d'Élisabeth de Miribel

Elisabeth de Miribel, une très belle personne
De
David Brunat
La Thébaïde, Collection Histoire
Publication le 25 février 2025
177 pages
22 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Ce petit ouvrage ciselé pourrait passer pour une biographie, ce qu’il n’est pas, même s’il est avant tout question d’Elisabeth de Miribel, une femme « libre », engagée dans la grande aventure de la France du même nom. Très éduquée et très cultivée, chrétienne et patriote, éprise d’indépendance et d’absolu, elle va entrer dans l’histoire par la petite porte en bravant l’opposition formelle de son père qui verra d’un mauvais œil l’engagement de sa fille au service de la dissidence. Une petite porte qui s’ouvre le 18 juin 1940 à Seymour Place, au quartier général de l’officier français rebelle qui s’apprête quant à lui à emprunter la grande porte.

Elisabeth réside alors à Londres depuis peu, engagée dans « la mission française de guerre économique » dirigée par le très controversé Paul Morand, « l’homme pressé », avant qu’il ne rejoigne Vichy, le Maréchal et ses congénères antisémites. C’est Geoffroy de Courcel, un ami d’enfance, qui sollicite cette jeune femme de vingt-cinq ans de manière impromptue. Aide de camp du général, il est en quête le 17 juin au soir d’une dactylographe qui puisse taper le texte de « l’Appel » le lendemain sur une petite « Underwood » réquisitionnée pour la circonstance ; en fait d’appel, c’est de celui lancé à la résistance et à la poursuite du combat, qui sera donc prononcé le 18 au soir, qu’il est question, au micro de la BBC, avec l’aval de Churchill.

Il s’agit d’une mission de confiance et c’est à cette amie d’enfance que pense l’officier d’ordonnance pour déchiffrer les pattes de mouche du grand homme. Elisabeth la frondeuse, pleine de fougue, de courage et d’aspirations élevées accepte sans broncher, tout en s’avouant loyalement très inexpérimentée dans la pratique du clavier. De cette journée fondatrice à tous égards, naitra une affection paternelle et une estime sincère du grand chef de la France Libre pour cette jeune femme du monde, arrière-petite-fille du Maréchal de Mac Mahon.

L’auteur oscille ainsi autour d’elle, entre évocation et digressions, évocation d’une femme engagée au service de la France qui résiste, au Canada, à Alger, au milieu des chars de la 2ème DB qu’elle rejoint à Alençon comme correspondante de guerre en août 44, au service de Dieu pour quelques années au Carmel et quoi encore, dans le Vercors et la montage, sa passion, en ambassade et au service de son pays quand elle rejoint l’administration du « Quai », quelques années plus tard. 

Points forts

  •  L’approche par thèmes, brièvement brossés, hors de toute considération factuelle et sans chronologie, comme ces chemins de montagne empruntés par l’héroïne, un peu sinueux, mais qui mènent tous au sommet.

  • Le portrait par touches, par analogies, à la manière impressionniste, un portrait dont le visage n'apparaît vraiment qu’à la fin, comme une révélation, éblouissante.

  • Le style,  élégant et poétique, suggestif plus que démonstratif ; ainsi par exemple pour parler de « l’amour » chez cette femme qui ne se mariera pas, un sujet qui ne pouvait être éludé mais qui n’aurait toléré aucune vulgarité. Pari réussi page 155 ! 

Quelques réserves

Aucune, sauf à attendre une biographie documentée, ce qui relève d’un autre exercice ou d’un autre genre.

Encore un mot...

Voilà donc un beau portrait, dressé à coups de fusain, aucun des traits ne suffisant à la démonstration, seul l’ensemble laissant apparaitre le caractère bien trempé de cette jeune femme unique qui n’emprunte que des chemins élevés, ceux de la montagne en Savoie ou dans le Vercors, ceux de la poésie avec Eluard et Aragon, ceux de la rigueur et du courage avec De Gaulle et Leclerc, ceux de l’élévation spirituelle avec le Carmel et le couple Maritain ; dans une parfaite exigence héritée de son éducation et de son monde qu’elle ne trahit jamais mais dont elle sait très bien s’affranchir.

Cette lecture est une jouvence pour ceux qui croient encore en la France, un pays pétri de passé inlassablement menacé de l’intérieur par ses contempteurs, sauvé par la somme de ces talents et de ces aspirations vertueuses qui avait déjà fort à faire avec la duplicité, les prébendes et la pusillanimité. En parcourant ces pages, on pense inéluctablement à cette grande chaîne d’hommes qui ont choisi la rupture et la dissidence, les héros de roman, Gary, Kessel ou Saint-Ex, les grands chefs charismatiques, De Gaulle, Leclerc et Churchill, les résistants, Moulin, Brossolette, Eboué et Cassin, et toutes ces femmes magnifiques, des deux côtés de la Manche, Germaine Tillion, Nancy Wake, Simone Segouin, Virginia Hall auxquelles De Gaulle a symboliquement rendu hommage et justice en leur accordant le droit de vote et en les rendant éligibles par une ordonnance du Gouvernement Provisoire dès 1944, sa conviction de la valeur des femmes ayant sans doute été enrichie par la somme de ces comportements exemplaires.

Une phrase

 “ Un saut. Un saut dans l’éternité. Et dans l’inconnu. C’est ce saut qu’Elisabeth effectue à la fin des années 1940 en entrant au Carmel. Une suite logique de l’appel de la France libre et de la foi chrétienne. Et un prolongement de son amour des cimes, de l’appel des hauteurs terrestres et célestes ? Maurice Herzog, premier vainqueur de l’Annapurna et gaulliste fervent, lui a peut-être posé la question. Il est bien possible qu’ils aient « parlé montagne », un jour ou l’autre.” P.132

L'auteur

Ancien élève de la rue d’Ulm et de Sciences-Po, David Brunat a enseigné et participé à plusieurs cabinets ministériels, avant de s’engager dans la communication, le conseil aux entreprises et l’écriture. Philosophe de formation, il écrit sur des thèmes variés, le sport et la compétition, les jeux de lettres, les grandes causes et les grands personnages de l‘histoire contemporaine ou quasi, ainsi et pour citer les plus connus Pamphlettres (Plon, 2015),  Une princesse modèle (Editions Héloïse d(Ormesson, 2022), Giovanni Falcone, Un seigneur de Sicile (Manitoba/Les Belles Lettres, 2014), Steve Job, figure mythique (Les Belles Lettres, 2014), Belles trappe (Publibook, 2009) et ce jusqu’au Titanic, mythe moderne et parabole pour notre temps (Les Belles Lettres, 2014) .

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