Féminicène

Une belle analyse causale de la libération des femmes, mais un ouvrage qui se perd parfois dans des controverses féministes
De
Vera Nikolski
Fayard
Parution en mai 2023,
380 pages
21,50 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Le féminicène, c’est l’ère des femmes comme l’anthropocène est l’ère de l’Homme, au sens générique du terme. C’est la période où les femmes échappent à la domination séculaire des hommes. Nous y sommes presque. Sur l’origine de cette sujétion en phase terminale, les féministes s’opposent : explication idéologique (un complot des hommes) ou biologique (la nature)? La biologique a pourtant le mérite du bon sens : il est plus difficile à une femme enceinte de courir après un auroch furieux qu’à un homme vigoureux et entrainé. Madame Nikolski souscrit à cette dernière hypothèse ; elle démontre également que les féministes ne sont pas pour grand chose dans l’avènement de ce féminicène qui n’a rencontré que peu de résistance de la part des hommes.

En revanche, elle exprime son inquiétude quant à sa pérennité, menacée, à son sens, par la fin de l’abondance énergétique. Elle conseille aux femmes de s’en prémunir le plus possible en investissant les métiers plutôt accomplis par des hommes, comme les métiers scientifiques.

Points forts

Au clair sur les origines de la domination masculine, Mme Nikolski peut en inférer sa théorie des causes de l’émancipation des femmes dont les piliers sont l’énergie – « Moulinex libère la femme » - et la médecine : la mortalité infantile se réduit comme peau de chagrin et la contraception permet aux femmes d’éviter le chapelet de grossesses que la perpétuation de la race les obligeait à porter. Libres, les femmes peuvent concurrencer les hommes et parvenir à parité dans bien des domaines, d’autant que la force physique est de moins en moins un critère discriminant.

Sans être d’une originalité troublante, - Mme Nikolski met ses pas dans ceux de Simone de Beauvoir -, l’explication, séduisante, a le mérite de faire litière des thèses fantaisistes véhiculées par l’idéologie ambiante.

Quelques réserves

Cette argumentation robuste et convaincante laisse place, dans une seconde partie, à un récit de science-fiction qui doit plus à Cormack McCarthy qu’à Judith Butler. Mme Nikolski nous offre une image apocalyptique de l’avenir, dès lors que la “baignoire de pétrole“ qui a permis l’émancipation des femmes serait épuisée : guerres civiles, famines, mortalité infantile… Notre auteur craint que ce retour à l’état de nature ne contraigne les femmes à une régression, les hommes récupérant progressivement les outils de leur domination. Cette vision ultra-mathusienne de l’humanité fait fi de la capacité d’adaptation dont celle-ci a su faire preuve au cours des siècles et de l’immense stock de connaissances acquises.

Enfin le livre se perd dans des querelles de chapelle qui rappellent les combats du quiétisme au XVIIème siècle ou les controverses byzantines sur le sexe des anges.

Encore un mot...

Une belle analyse causale de la libération des femmes, mais un ouvrage qui souffre des maux inhérents à la prospective et se perd dans les sables des controverses féministes.

Une phrase

« Les lois de la nature ne nous asservissent que dans la mesure où nous ne les comprenons pas ; les comprendre c’est se donner les moyens de s’en affranchir. La reconnaissance des déterminants biologiques de la domination masculine n’implique donc nul déterminisme. Au contraire, en identifiant les conditions de possibilité de cette domination, elle dessine du même coup, en creux, celles de son dépassement. S’intéresser à ces déterminants n’est donc pas utile seulement du point de vue cognitif, mais encore du point de vue pragmatique ou, pourrait-on dire, militant. » P.106

L'auteur

Mme Nikolski est normalienne, spécialiste de sciences sociales et politiques.

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