Génération Farniente

Une analyse, à contre-courant, stimulante et convaincante de l’attitude des Français face au travail et de ses conséquences économiques
De
Pascal Perri
L’Archipel
Parution le 14 septembre 2023
256 pages
20 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Le titre provocateur résume parfaitement le sujet du livre de Pascal Perri. Pour la première fois, la société française doute de l’intérêt du travail. Certains, majoritaires chez les jeunes, vont jusqu’à revendiquer le droit à la paresse. Les Français travaillent le moins parmi les pays développés par rapport à la population résidente. Ils sont parmi les derniers pour la durée annuelle du travail et tout au long de la vie. Contrairement aux idées reçues, cela n’est nullement compensé par une productivité stagnante. 

L’Etat providence, parmi les plus généreux, les plus coûteux et les moins contraignants au monde, reposant sur le travail n’est plus financé. L’auteur dénonce les abus du système par certains personnels de l’audiovisuel public ou de la rupture conventionnelle en chaîne par certains salariés du privé.

Malgré cela, non seulement la gauche démagogique, mais aussi la gauche plus sérieuse du Parti Socialiste et de la CFDT, a colporté, à l’occasion du débat sur les retraites, des légendes noires sans aucun fondement. L’épisode le plus grotesque est l’enquête de l’INSEE qui faisait apparaître que 25% des plus pauvres mouraient avant l’âge de 62 ans. Après vérification, il est apparu que la population de l’enquête n’avait jamais dépassé 500 € de revenu mensuel dans sa vie, donc n’avait jamais travaillé et était alimenté exclusivement par les minima sociaux, sans aucun rapport avec une quelconque perspective de retraite. Le temps moyen passé à la retraite est de 19 ans et 6 mois pour l’ensemble des salariés et de 27 ans pour ceux de la SNCF.

Selon l’auteur, la question de la pénibilité est très exagérée en France en dehors des salariés exposés au bruit, aux intempéries, au travail souterrain, en horaires décalés ou de nuit qui bénéficient d’une sortie d’activité anticipée dans le cadre de la réforme des retraites. Par contre on ne voit nulle différence entre les frontaliers français qui travaillent plus longtemps à l’étranger et les salariés français. Pour les carrières dites longues qu’on devrait qualifier de précoces, les retraites sont servies en moyenne pendant 27 ans et 21 ans pour ceux qui sont partis plus tôt en raison d’inaptitudes.

L’auteur a interviewé des patrons qui ont gravi l’escalier social, et non l’ascenseur, à l’énergie, des DRH, des économistes spécialistes du marché du travail, des juristes, des enseignants, des journalistes chevronnés. Le COVID et son (trop ?) généreux « quoi qu’il en coûte » ne sont que le révélateur du non consentement au travail préexistant d’une partie de la société. Cela concerne surtout les emplois peu qualifiés dont l’écart de revenu avec le non travail est trop faible, voire non existant. Cela résulte du choix de la désindustrialisation, avec le concept délirant d’une industrie sans usines, et d’une société de services aux emplois peu qualifiés et à la hiérarchie écrasée, développées dans les années 1980. Malgré ces choix il subsiste encore des entreprises industrielles de taille moyenne, leaders dans leur domaine, parfois installées dans des provinces reculées.

L’auteur met à mal quelques mythes misérabilistes sur l’exploitation des salariés. La part des salaires et des cotisations sociales dans la valeur ajoutée des entreprises n’a pas bougé en 40 ans à 82%, à la différence d’autres pays développés comme les Etats-Unis. Ce taux est d’ailleurs trop élevé pour permettre aux entreprises d’investir suffisamment. La part des très grandes entreprises dans les impôts et les cotisations sociales est plus importante que leur poids dans l’économie française. Le secteur du luxe, LVMH en tête, diabolisé par certains, maintient et développe en France l’essentiel de ses emplois de production très qualifiés et très bien rémunérés dans des petites villes de province.

Le choix de la désindustrialisation a démarré avec Giscard et le début du traitement social du chômage et s’est poursuivi avec Mitterrand. Le pire est à venir avec les 35 h de Jospin au plus mauvais moment d’une reprise de la croissance à 4%. Ce choc négatif de compétitivité est le triomphe, au sein du PS, du courant favorable à une société de services tourné vers les loisirs incarné par Martine Aubry sur le courant industrialiste incarné par Edith Cresson. Ni Chirac, ni Sarkozy, ni le patronat n’ont eu le courage de remettre en cause ce choix funeste dont l’économie française ne s’est jamais remise. 

L’auteur est également sévère à l’égard du caporalisme d’un certain patronat et de sa mauvaise gestion des ressources humaines, partiellement responsable du nouveau phénomène de démission silencieuse qui se manifeste par une ardeur sub-minimale au travail.

L’auteur consacre 25 pages à l’école, présentée comme un élément essentiel de la préparation au travail. Le choix néfaste du collège unique en 1975, poursuivi par les gouvernements successifs de droite et de gauche, a abouti à un nivellement par le bas pour 90% d’une classe tout en préservant une élite très bien formée de 10%. La dévalorisation des savoirs fondamentaux, de l’effort et du travail, de la discipline et même du métier d’enseignant a produit « l’apocalypse scolaire », avec des conséquences négatives sur le futur rapport au travail.

En conclusion, l’auteur constate que la France ne peut s’en sortir sans fournir une plus grande quantité de travail afin de rétablir sa compétitivité, de maintenir son modèle social et de financer la décarbonation de son économie. Toutefois, les changements du rapport au travail doivent être intégrés par les décideurs publics et privés.

Points forts

Le livre est très riche, à la fois conceptuellement et en exemples concrets. Le raisonnement économique de l’auteur est de qualité, à la différence de beaucoup de journalistes français. On sent que l’auteur a eu une grande richesse d’expériences personnelles, de l’audiovisuel public à journaliste économique, en passant par consultant et chef d’entreprise.

La qualité fondamentale du livre est le diagnostic de l’insuffisance de la quantité totale de travail fournie par les Français au regard de leur modèle social, de leur niveau de consommation et des contraintes de la lutte contre le changement climatique. Cette réalité est de plus en plus partagée par les économistes sérieux de la social-démocratie à la droite modérée.

Quelques réserves

La structure du livre aurait pu être plus limpide. Si tous les éléments nécessaires y figurent, leur articulation comporte des allers-retours qui nuisent à la clarté. Enfin il y a une cinquantaine de pages érudites sur l’histoire du travail qui n’ajoutent pas grand-chose, si ce n’est que la période actuelle de désacralisation du travail est unique.

Encore un mot...

Le panorama historique du livre démontre à l’envi la succession des occasions manquées pour réformer la France depuis le milieu des années 1970. Les mauvaises réformes, comme les 35 h ou la retraite à 60 ans, n’ont jamais été remises en cause par ceux qui en avaient les moyens politiques ou seulement trop peu trop tard. C’est ce qui fait la différence entre le véritable Homme d’Etat et le dirigeant respectable dont l’objectif principal est sa réélection ou sa tranquillité.

L’égalitarisme à la française du nivellement par le bas à l’école, négation de l’élitisme républicain vomi par le wokisme ambiant, aboutit à des inégalités encore plus grandes entre l’élite des 10% et tous les autres.

Une phrase

  • « Les Français ont souvent du mal à percevoir l’origine de leurs difficultés… : un temps de travail parmi les plus faibles des pays développés et le choix d’une économie de services, désindustrialisée, faiblement exportatrice, tournée vers le temps libre. » page 9
  • « L’allergie au travail, voire son rejet, menace gravement notre modèle social…, puisqu’en France les actifs financent les inactifs en temps réel. » page 10
  • « Au nom de tous ceux qui se sont épuisés à la tâche, affirmons que le travail est notre salut dans un monde qui, lui, travaille de plus en plus. » page 13
  • « La France est un paradis social …de gens qui se croient en enfer. » page 42
  • « Les 18-34 ans sont toutefois premiers en distribution par âge des arrêts maladie. » page 51
  • « A sa sortie, Schroeder déclare : Je suis pour les 35 h à revenus constants en France… C’est excellent pour l’industrie allemande. » page 136
  • « Une fois encore, l’entreprise, n’est ni une démocratie, ni une famille. Ceux qui sont venus chercher le bonheur se sont trompés d’endroit. » page 183
  • « Il faudra renoncer à l’égoïsme du présent pour remettre de l’espoir dans notre avenir français. » page 229

L'auteur

Pascal Perri est depuis 2018 le principal journaliste économique de LCI. Il est l’auteur d’une quinzaine de livres essentiellement économiques. Il a été journaliste sur RMC et a été actif dans les secteurs agro-alimentaire et du transport aérien. Il est titulaire d’un double doctorat en géographie et en sciences de gestion.

A l’occasion de sa défense de la libéralisation du transport ferroviaire en 2018, il a été l’objet d’attaques haineuses des thuriféraires de Bourdieu, l’accusant, sans fondement, de ne défendre que ses intérêts personnels.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Ils viennent de sortir

Essais
Suite orphique
De
François Cheng, de l’Académie française postface de Daniel-Henri Pageaux