Géopolitique du blé

La production et le commerce du blé d’Athènes à aujourd’hui. Une vision trop franco-française pour la période contemporaine.
De
Sébastien Abis
Armand Colin
Parution le 15 février 2023
239 pages
23,90 €
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3/5

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Le livre a fait l’objet d’une refonte après une première édition en 2015, notamment pour tenir compte de la guerre en Ukraine.

Il débute en soulignant l’importance de l’approvisionnement en blé à Athènes et dans la Rome antique, fortement importatrices. Il évoque son rôle dans le déclenchement de la Révolution Française et les débats passionnés entre les partisans de la liberté du commerce des grains et ceux de sa réglementation dès la deuxième moitié du XVIIIème siècle.

La production mondiale de blé est passée de 50 Mt en 1880 à près de 800 Mt aujourd’hui. Si en un siècle la population mondiale a été multipliée par quatre, la production et la consommation de blé l’ont été par huit. Le blé est la matière première agricole dont la part des échanges dans la production est la plus élevée, à l’exception des produits tropicaux. Cette part, aujourd’hui de 25%, s’accroît tendanciellement.

La géopolitique du blé nait à la fois de son caractère stratégique, qui n’a rien à envier au pétrole, et du nombre restreint des grands exportateurs, 8 d’entre eux représentent 80% des exportations. La logistique complexe du commerce du blé est partagée entre une poignée de grands opérateurs, longtemps au nombre de quatre, trois Américains et un Français. 

Les vingt dernières années ont vu des changements considérables chez les grands exportateurs. Le déclin des Etats-Unis est impressionnant : en cinquante ans, leur part dans le commerce mondial du blé a été divisée par trois à 12% aujourd’hui. L’UE, qui a développé sa production grâce à la PAC, est devenue un acteur stable de premier plan. Elle représente 17% du commerce mondial dont un tiers pour la France. L’élément le plus marquant est la montée de la Russie, 20% des exportations mondiales, et de l’Ukraine, 10%, alors que ces pays étaient inexistants comme exportateurs à la fin du XXème siècle. Il s’agit d’un bouleversement même si l’Empire russe représentait plus de la moitié des exportations mondiales de la fin du XIXème siècle à la Première Guerre mondiale. Le Canada et l’Australie continuent de tirer leur épingle du jeu tandis que l’Argentine est en déclin.

Des bouleversements sont également à l’œuvre chez les grands importateurs. La Chine a doublé sa production en 40 ans, ce qui lui permet de limiter ses importations inévitables à moins de 10 Mt. L’Inde est auto-suffisante malgré un doublement de sa consommation en 30 ans. De nouveaux opérateurs commerciaux sont apparus en Chine et en Inde. Par contre les importations de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, plus gros consommateurs mondiaux par habitant, et des pays d’Asie du Sud Est à forte démographie, explosent avec un doublement en 20 ans. L’Afrique subsaharienne est un cas particulier, peu consommatrice, mais avec une forte dynamique qui a conduit à un triplement des importations en 20 ans.

L’auteur défend des solutions coopératives multilatérales afin de faire face au défi de l’ajustement de l’offre à la demande, toutefois sans beaucoup d’illusions sur leur mise en œuvre. Il se penche également sur les conséquences du changement climatique, nettement moins défavorable pour le blé que pour le maïs. Dans ce cadre, il défend le recours à la science et à la recherche afin de créer de nouvelles variétés plus résilientes, notamment par les nouvelles techniques génomiques, dites du ciseau moléculaire, qui n’impliquent pas de transgénèse et ne sont donc pas des OGM.

Les conséquences de la guerre en Ukraine sont décrites, avec le relatif succès du couloir céréalier en Mer Noire et du couloir solidaire de l’UE. En conclusion l’auteur se prononce en faveur d’un plus grand dynamisme de la France, qui exporte la moitié de sa production de blé, vers une approche stratégique de ce produit qui lui permettrait de peser dans la mondialisation. A cet égard l’auteur rappelle que l’excédent structurel de la France est récent puisqu’elle a été importatrice nette de blé du Second Empire au début des années 1960. Il s’inquiète également des conséquences de la nouvelle PAC qui va entrer en application cette année et pourrait entraîner une baisse à moyen terme de la production de blé de 10 à 20%, rendant l’Europe déficitaire.

Points forts

  • Le livre est facilement accessible aux non spécialistes. Il permet de comprendre les changements fondamentaux intervenus sur le marché mondial du blé depuis la Seconde Guerre mondiale. Son caractère géopolitique est bien mis en évidence. 
  • La recommandation aux gouvernants de mieux valoriser le rôle stratégique de grand exportateur de blé de la France et de développer davantage la recherche est bienvenue. Les chiffres clefs sont choisis judicieusement. Les questions sur les risques de contraintes excessives pour les agriculteurs de la nouvelle PAC 2023 sont légitimes. Enfin le concept d’intensification durable pourrait être fécond.

Quelques réserves

Le livre apparaît très franco-français par sa défense systématique de la régulation, fût-elle multilatérale, par rapport aux mécanismes de marché. Or il est frappant de constater sur longue période que le prix du marché mondial du blé demeure le meilleur instrument pour orienter la production et la consommation. La preuve par l’absurde est l’échec du système soviétique qui a bridé la capacité de production de l’URSS par des prix trop bas qui ont généré également un énorme gâchis de plusieurs dizaines de Mt dans la consommation. En outre, chaque fois qu’il y a eu des pics de prix sur le marché mondial, la production a été stimulée conduisant à un nouvel équilibre. Par exemple, le pic de prix atteint en 2022 à cause de la guerre en Ukraine a déjà été effacé de 35%.

Pour un spécialiste de l’agriculture, les recommandations de politique agricole sont trop peu développées ou peu pertinentes. Ainsi la recommandation de recourir, au niveau multilatéral régionalisé, à la première version de la PAC des années 1960, avec des prix minima garantis à la production et des prix maxima à l’importation, est d’une étrange naïveté. C’est à la fois irréaliste et inefficace. L’UE a renoncé avec succès à cette approche depuis 30 ans en la remplaçant par des soutiens directs aux agriculteurs, compte tenu des déséquilibres qu’elle générait, excès de stocks publics et distorsions de la demande et du marché mondial.

L’auteur souligne à juste titre l’importance de l’excédent commercial céréalier français avec celui des vins et spiritueux. Il déplore la forte dégradation du commerce extérieur agro-alimentaire français sur les autres produits sans l’expliquer. Or la cause est purement franco-française comme le démontre l’amélioration continue de la balance commerciale agro-alimentaire de l’UE, qui est passée en quelques années à partir de 2007 d’un léger déficit à un excédent structurel qui dépasse 20 Md d’EUROS et ne cesse de s’améliorer.

Certaines formules sur l’Ukraine sont malheureuses. L’affirmation que la Russie souhaite que l’Ukraine reste dans son giron est particulièrement maladroite. La version réelle devrait être que la Russie souhaite à nouveau coloniser l’Ukraine.

Encore un mot...

La liste des remerciements à la fin du livre comprend des dizaines de noms, presque exclusivement français, de syndicalistes agricoles, hauts fonctionnaires, académiques, journalistes, certes très respectables. Il est néanmoins étonnant que l’auteur n’ait pas fait appel à de l’expertise anglo-saxonne, souvent très pointue sur le sujet et développant des thèses différentes.

Le plus surprenant est de ne pas avoir consulté les trois hauts fonctionnaires français qui ont été à la tête de la Direction Générale de l’Agriculture de la Commission Européenne de 1978 à 2010, Claude Villain, Guy Legras et l’auteur de cette chronique. Ils ont conçu, négocié et mis en œuvre toutes les grandes réformes de la PAC décidées au cours de cette période. Ils ont également supervisé la politique d’exportation de céréales de l’UE et négocié les volets agricoles de l’Uruguay Round et du Doha Round.

Une phrase

  • « Le blé est, en effet, une plante qui s’adapte à des climats variés, même si la préférence va à ceux des régions tempérées où la régularité des pluies favorise sa croissance. » page 34
  • « Le compromis idéal est difficile à trouver, mais le prix reste le meilleur des engrais, selon le dicton agricole. » page 39
  • « Sur les temps longs de l’Histoire, tout se passe comme si la Chine reprenait sa place dans l’économie mondiale, et que les pays de la Mer Noire retrouvaient la leur sur la carte céréalière de la planète. » page 55
  • « Plus qu’une gouvernance du blé à l’échelle mondiale, il convient sans doute de plaider pour une approche régionale où des organisations auraient en charge d’organiser les marchés. Sur le modèle de la PAC, elles pourraient établir un prix minimum pour développer l’agriculture locale et un prix maximum pour réguler les importations. » page 186

L'auteur

Sébastien Abis est directeur du club Demeter, think tank moderniste respecté de l’agro-alimentaire français.

Il est titulaire d’une maîtrise d’Histoire Géographie de l’Université de Lille et diplômé de SciencesPo Lille.

Il enseigne à l’Université Catholique de Lille et à l’Institut Supérieur d’Agriculture de Lille du groupe Junia.

Il est très présent dans les media, BFM, L’Opinion,L'Express, et dans de nombreux think tanks, comme l’Institut Jacques Delors. 

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