Henry Kissinger, l’Européen

L’indispensable biographie de l’un des plus influents diplomates du XXe siècle !
De
De Jérémie Gallon
Gallimard - 240 pages -19 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

 Un essai aux allures de « dictionnaire amoureux » retraçant la vie et l’œuvre d’Henry Kissinger.

Points forts

Sous forme d’un abécédaire d’une lecture fort agréable, Jérémie Gallon brosse le portrait contrasté de l’un des plus grands, sinon le plus grand, des diplomates du XXe siècle.

De son amitié intellectuelle pour Raymond Aron à son admiration pour de Gaulle et Zhou Enlai, en passant par sa passion pour le football (dont il réussit l’implantation culturelle aux Etats-Unis en obtenant la signature de Pelé au Cosmos de New York) et son penchant pour le glamour (au point de devenir un très improbable sex-symbol), se compose au fil des pages, par petites touches alertes, le destin de ce jeune réfugié juif allemand, dont une grande partie de la famille périt dans les camps d’extermination, qui débarqua dans le port de New York un soir de l’été 1938, à l’âge de 15 ans, fut naturalisé lors de son incorporation dans l’armée américaine en 1943, retourna en Europe pour libérer l’Allemagne du nazisme, devint professeur à Harvard avant d’être nommé, à l’âge de 50 ans, chef de la diplomatie américaine sous les mandats des présidents Nixon et Ford (1969-1977). À sa manière, passant ainsi de l’état de réfugié apatride à celui de secrétaire d’État, Kissinger incarne le rêve américain.

Digne successeur de Metternich, Talleyrand et Bismarck, passé maître dans l’art de la ruse et de l’intrigue (« parfois, dit-il, l’art de la diplomatie consiste à rendre obscur ce qui est clair »), rejetant tout à la fois l’isolationnisme et l’interventionnisme, ce mondain (« le pouvoir et la célébrité se renforcent mutuellement », dit-il) qui use de l’humour pour séduire et convaincre, construit en seulement huit années un nouveau système international où s’affirme la domination des États-Unis tout en écartant les périls de la guerre froide. Jusqu’à son arrivée aux affaires, les Américains « se faisaient les hérauts du camp du bien face au camp du mal, qui était, à leurs yeux, incarné par les régimes communistes non démocratiques. Sous l’influence de Kissinger, cette logique binaire fut remplacée par une logique d’équilibre des puissances qui suppose la prise en compte de facteurs autres que la seule morale. »

Ses plus grands succès ? Le rapprochement sino-américain concrétisé par la visite de Nixon à Pékin, la politique de détente qui aboutit notamment à la limitation de l’arme nucléaire entre l’URSS et les Etats-Unis, les accords de Paris sur le Vietnam (pour lesquels il reçoit le prix Nobel de la paix) et les négociations mettant fin à la guerre du Kippour.

 Ce livre est également l’occasion pour Jérémie Gallon de dépeindre toute une galerie de personnages ayant entretenu des relations étroites avec Kissinger, ceux qui l’ont guidé ou influencé (William Elliot, Fritz Kraemer, Lee Kuan Yew, le maître de Singapour, l’homme qui écrit : « si tu ne connais pas l’histoire, tu penses à court terme. Si tu connais l’histoire, tu penses à moyen et long terme »), ceux qui lui ont mis le pied à l’étrier (Nelson Rockefeller et surtout Richard Nixon dont l’antisémitisme n’était pas de nature à fluidifier des rapports faits d’amour et de haine, empreints de méfiance partagée et baignant dans une atmosphère de paranoïa), ceux enfin qui furent ses partenaires pour résoudre tel ou tel conflit, au premier rang desquels Sadate avec lequel il jette les fondations d’une politique arabe qui préfigure la visite historique du Raïs à Jérusalem en 1977, et les accords de Camp David qui aboutiront au traité de paix entre Israël et l’Egypte en 1979.

Quelques réserves

 Tout n’est pas cependant glorieux dans le parcours de Kissinger et Jérémie Gallon ne dissimule pas le coût humain de cette Realpolitik qui finit par permettre aux États-Unis de gagner la guerre froide et d’aboutir à la destruction de l’URSS, non sans avoir entre-temps, au Vietnam, au Cambodge, au Bangladesh, au Timor, au Chili, en Argentine, à Chypre, causé indirectement la mort ou le malheur de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La « Realpolitik » comporte sa part de brutalité et de cynisme …

Encore un mot...

 Un livre passionnant qui, in fine, s’interroge sur la « tragédie européenne » que représente l’absence de personnalité de cette envergure à la tête de notre diplomatie indigente où les bons sentiments ont toujours pris le pas sur les nécessités historiques. À quand une Realpolitik européenne permettant à l’Union de prendre la place qui lui revient dans le concert des relations internationales ?

Une phrase

 « Quel que soit le jugement que l’on porte sur l’action d’Henry Kissinger, il est indéniable qu’il a constamment cherché à inscrire sa diplomatie dans une vision de long terme qui a laissé bien peu de place aux diktats de l’émotion. Kissinger avait compris que, sur l’échiquier géopolitique, ceux qui se laissent guider par leurs sentiments et leurs émotions finissent toujours par perdre. À l’heure où la politique étrangère de nos démocraties occidentales tend à fluctuer au rythme des mouvements d’opinion, voire au hasard de l’humeur des réseaux sociaux, le réalisme froid et rationnel de Kissinger heurte bien des esprits. Si ces derniers sont d’ailleurs prompts à critiquer la diplomatie de l’ancien secrétaire d’État et à vilipender l’homme, il leur arrive beaucoup plus rarement de se poser une question pourtant essentielle : qu’en aurait-il été autrement ? »

L'auteur

Jérémie Gallon, 36 ans, diplômé de l’université Harvard, d’HEC à Paris et ancien élève de l’université Tsinghua de Pékin, a travaillé pour l’Union Européenne en qualité de diplomate aux Etats-Unis. Il dirige actuellement un cabinet de conseil géopolitique au niveau européen et enseigne les questions internationales à Sciences Po. Il est également l’auteur d’un Journal d’un jeune diplomate de l’Amérique de Trump, paru chez Gallimard en 2018.

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