Hôtel de Bretagne

L’Epuration au filtre de la micro-histoire, excellente restitution d’une époque complexe
De
Grégoire Kauffmann
Flammarion, 430 pages,
Notre recommandation
4/5

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Thème

La défaite, l’Occupation, la Résistance, la Libération et l’Epuration, présentées de manière très originale, via le parcours complexe et haletant d’un homme, Pierre Brunerie, grand-père maternel de l’auteur.

Points forts

C’est tout le mérite de la micro-histoire que d’en dire souvent plus et mieux que les vastes études pour éclairer le passé. On est ici plongé dans l’humain pour le meilleur et pour le pire. La complexité de l’époque nourrit les paradoxes : le chef de la gendarmerie de Quimperlé prête main forte aux Allemands tout en comptant au nombre des martyrs de la Résistance. Des collaborateurs économiques assumés, très fortement impliqués dans la construction du mur de l’Atlantique, rejoignent les maquis. La Feldgendarmerie commet un massacre, mais le président du tribunal militaire allemand de Quimperlé se suicide pour ne plus avoir à prononcer des condamnations à mort à l’encontre de jeunes résistants. Un « ardent pétainiste » couvre le maquis cantonné dans sa propriété et périt, fusillé par les Allemands. L’Occupation génère des colères légitimes, mais l’épuration peut masquer de sordides règlements de compte. La rumeur transforme de paisibles paysans en meute sanguinaire …

Grégoire Kauffmann décrit tout cela avec rigueur, dans un style convaincant, comprenant notamment quelques pages épiques restituant parfaitement tout le tragique et toute l’absurdité du désastre militaire de mai-juin 1940.

Il restitue de plus avec précision ce qu’est le travail de l’historien moderne et c’est avec intérêt que l’on suit ses démarches faites d’espérances, comblées ou déçues, pour tenter de retrouver au fil de son enquête les descendants des différents protagonistes du livre.

Quelques réserves

Un seul reproche : la multiplicité des personnages et la multiplication des digressions nuisent parfois au confort de la lecture …

Encore un mot...

Un livre aussi nécessaire qu’important qui, tournant courageusement le dos aux légendes, fait prévaloir l’histoire sur la mémoire.

Une phrase

« La femme qui occupe la cage à cochon hissée sur le tombereau a les cheveux rasés. Elle porte une blouse de toile aux manches longues, un sarrau bleu rayé. Ses pieds saignent. Le corps ployé derrière son grillage, elle ferme obstinément la bouche. Ses yeux ne pleurent pas. Les enfants l’ont tous reconnue. C’est « Marie Belles Dents ». Anne-Marie Perron doit ce surnom aux forts maxillaires qui chevauchent sa lèvre inférieure.

Son calvaire a commencé à Lanvénégen quelques heures plus tôt. Les FFI sont venus la chercher dans sa petite maison de Loge-Coucou au bord de la route. Elle donnait alors le sein à sa fille de quatre ans, Michelle. Anne-Marie Perron subit d’abord la tonte sous les yeux de son aînée, Christiane. Puis, dans un champ, les FFI l’obligent à courir pieds nus sur un tas de purin. Elle est ensuite enfermée dans la cage à cochon et portée sur le brancard. Escorté par les maquisards en armes, le tombereau s’ébroue en direction de Querrien.

Le cortège grossit d’enfants à chacun des hameaux traversés. (…) L’exhibition atteint son climax quand la foule oblige la prisonnière à monter sur un tas d’ajoncs. Les épines acérées qui hérissent les branches mortes poignardent ses cuisses et ses chevilles. Cette station du calvaire est restée gravée dans la mémoire de tous les témoins. « Au tas d’ajoncs, tout le monde chantait », dira l’une des participantes à la curée. Chants, sifflets, insultes. Mais aussi crachats lancés par centaines sur le corps de la suppliciée.

Remontée dans la cage à cochon, la victime est promenée dans les rues de Querrien pour être enfin reconduite à Lanvénégen. Dix kilomètres auront été parcourus pour faire l’aller-retour qui s’est étalé sur toute la journée. Il convient désormais aux FFI de statuer sur le sort de la captive. Dès le retour au village, les plus remontés proposent de la fusiller contre le mur du cimetière. Il est finalement décidé de la juger en « cour martiale ». La parodie de justice est expédiée sous le préau de la mairie. Le soleil se couche quand Anne-Marie Perron, quarante ans, est passée par les armes sur la place de l’Eglise. »

L'auteur

Grégoire Kauffmann (fils de Jean-Paul et de Joëlle) est historien. Sa biographie de Drumont (Perrin, 2009) a obtenu le prix Guizot et le prix du livre d’histoire du Sénat.

Commentaires

Patrick HERVE
dim 20/09/2020 - 18:37

Comme toujours on a vu les grands courageux, donneurs de leçons, mais étaient-ils tous résistants dès le début de l'occupation nazie?

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