Je marche donc je pense

Chemin faisant, le philosophe et le neurologue dialoguent…et fécondent notre pensée. Clair et brillant !
De
Roger-Pol Droit et Yves Agid
Albin Michel
Paru le 4 mai 2022
19.90€
Notre recommandation
4/5

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Thème

Qu’est-ce que la marche ? Comment marche-t-on ? Marcher rend-il plus intelligent ? A l’heure où chacun nous exhorte : « Il faut marcher, c’est bon pour la santé ! », les réflexions de RPD et de YA viennent à point nommé. Et si en outre la marche favorisait la pensée ? Constatons d’emblée, en marchant dans les pas de ce philosophe des temps modernes, Roger-Pol Droit, auteur prolifique et notamment des 101 expériences de philosophie quotidienne : marcher est un langage, la manifestation d’une identité. « Pas besoin d’être grand psychologue pour reconnaître à sa façon de marcher, le hâbleur, le déprimé, le sot, le distrait »  ou simplement une personne familière. La marche est une signature personnelle.   Yves Agid, le neurologue et complice de promenade, vient ici comme dans chaque échange, à l’appui scientifique des réflexions du philosophe, sans craindre de porter parfois la contradiction ou le questionnement.

En fait, la marche pour l’homme est un miracle d’équilibre. RPD, malicieux, écrit : « La déambulation du bipède humain a des allures de catastrophe potentielle car seul le mouvement  rythmé qui pousse une jambe puis l’autre vers l’avant l’empêche de se casser la figure. »  Et Agid de surenchérir en décrivant les mécanismes neuronaux, psychogènes ou physiologistes (troubles de l’oreille interne par exemple) qui affectent notre marche et notre équilibre. D’où l’importance du cervelet, notamment à son sommet, et des longs cils qui tapissent les voies vestibulaires de notre oreille interne. Heureusement d’élégants dessins situent l’origine et les lieux des problèmes. Après la description imagée (au sens propre) des pathologies, on va vite aborder et creuser  les interactions entre la mécanique des corps et la matière grise de l’esprit. Et là on va marcher à grands pas : Diderot, Rousseau, Voltaire, ou même l’homme de Néandertal sont mis à contribution par notre philosophe.

D’ailleurs,  Nietzsche lui-même ne disait- il pas : « Il  faut se méfier de toute pensée qui n’a pas mis les muscles à la fête et on écrit bien qu’avec les pieds, les culs de plomb n’ont que des idées pesantes qui leur ressemblent » ! Roger Pol Droit nous rappelle que Platon,  Montaigne, Kant, Kierkegaard, Rousseau bien sûr…affirment qu’il ne faut faire confiance qu’aux idées venues en marchant tandis qu’il faut concevoir la pensée comme une marche mentale parmi les idées et les mots. D’ailleurs, et ce sera une belle conclusion « tous les humains sont en marche vers l’inconnu » !

Points forts

1/ Les formidables dessins d’Yves Agid. Précis, enlevés pleins d’humour

2/ La complicité « pédagogique » de deux gamins sur le chemin de l’école buissonnière, forts en thème mais espiègles.

3/ La très grande clarté du propos de Roger Pol Droit qui ramènent à des choses simples les plus grandes circonvolutions de l’esprit et du langage. Et quel à propos culturel dans ses démonstrations : ainsi,  écrit- il : « La pensée se trouve entièrement transformée chez l’homme par le langage et par la logique, ce que les Grecs de l’Antiquité désignaient par un seul mot, le logos » (à la fois la raison et la parole). Avec bienveillance,  RPD se veut rassurant « l’homme est bien un animal mais nous sommes tous des animaux « pagaillés » par la langue. Belle punch line !

4/ Un credo objurgatoire en guise de conclusion : l’enseignement des sciences et leur pratique doivent s’ouvrir aux sciences sociales et humaines. Leur divorce actuel est fâcheux, leurs retrouvailles sont souhaitables (Yves Agid)

Quelques réserves

Yves Agid, très discret,  aurait pu prendre la parole plus souvent. Il apparaît fréquemment comme un simple faire valoir. La raison contre le langage ? Heureusement la conclusion opérationnelle lui revient : pensons et marchons ensemble

Encore un mot...

L’humour n’est pas la moindre qualité de cet éloge de la marche. Roger Pol Droit va même la débusquer chez ses auteurs référents et la moindre de ses citations en fournit le témoignage. Exemple avec Leibnitz écrivant  à son ami Denis Diderot « Le marbre a des idées quoique un peu confuses » (car Diderot estimait que le moindre atome a une sensibilité). RPD nous rappelle aussi une lettre du baron d’Holbach à l’auteur de L’Encyclopédie : « Après votre départ nous avons fini de dîner, hier soir, en discutant de la sensibilité des poires. » C’est dire que la dégustation de ce nouveau cogito du quotidien ne manque pas de sel.

Une phrase

Ne marche pas devant moi, je ne suivrai peut-être pas.
Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas.
Marche à côté de moi et sois simplement mon amie. » (Albert Camus) p. 112

L'auteur

Roger Pol Droit, philosophe et écrivain. Ancien directeur de recherche au CNRS et chargé de cours à Sciences Po, RPD est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Saint Cloud) et agrégé de philosophie ; il  a été conseiller du directeur général de l’Unesco pendant cinq ans et est membre du Conseil consultatif national d’éthique. Actuellement chroniqueur au journal le Monde (tribune hebdomadaire le Monde des livres depuis 2012) et aux Echos.  Il a écrit une quarantaine de livres dont la plupart sont traduits dans le monde entier. Spécialiste du Bouddhisme et des philosophies d’Extrême Orient et de l’Inde.

Yves Agid, professeur émérite de neurologie et de biologie cellulaire à la Sorbonne, ancien chef de service à l’hôpital de la Salpêtrière, membre de l’Académie des Sciences, cofondateur et directeur scientifique de l’Institut du Cerveau. A la fois praticien et grand chercheur, Yves Agid est spécialiste des maladies de Parkinson, Tourette, Charcot, et a été distingué par de nombreux prix. Membre du conseil consultatif national d’éthique. Officier de la légion d’honneur.

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