Kafka, tome 1 : Le temps des Décisions

Le surgissement de la création littéraire dans une sorte d' incandescence jubilatoire. On attend le tome 2 avec gourmandise !
De
Reiner Stach
Le Cherche Midi
Traducteur Régis Quatresous
Parution le 9 mars 2023
870 pages
29,50 euros
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Sur le pont Charles IV, un soir de novembre lorsque la brume engloutit la ville, nous avons croisé son fantôme. Regard de feu, silhouette noire, l'Arpenteur K frôle un pilier sous la statue de saint Jean Népomucène puis disparaît vers le château de Prague dans un grand rire étrange...

 Mais qui donc était Franz Kafka ?  Que sait-on au juste de cette vie si  brève, mais si riche ?  Avait-il vraiment une existence celui qui proclamait : “je suis Littérature?” 

 Reiner Stach relève ce défi avec brio.

 Avec rigueur et empathie, il saisit  Kafka sur le vif, au plus près de ces forces obscures qui le taraudaient, le minaient, dans une plongée hors du commun vers l' intériorité profonde de son sujet et sa cohorte de personnages ballotés par un destin qui les broie. Écrire le jour dans une compagnie d' assurances des rapports juridiques et techniques, puis écrire la nuit, par vagues successives, pour tenter, au-delà des bruits de la ville et du bavardage petit-bourgeois de ses parents, de trouver enfin l' apaisement...

 La période retenue est féconde (1910 à 1914) : un premier texte fiévreux écrit dans une sorte d' état second, le Verdict, un texte " indubitable " dira Kafka, puis d' autres chefs-d'œuvre, La Métamorphose, Le Procès. Écrire sans cesse, rater, recommencer, brûler des manuscrits… Kafka, note son biographe, veut bien publier, mais pas se mettre en avant. Un univers unique, désolé, oppressant où la rédemption est impossible... Mais une œuvre qui fait l' admiration de son meilleur ami Max Brod, le gardien du temple de la kafkalogie. 

 En revanche, ce travail littéraire ne séduit pas sa future fiancée, Felice Bauer qui vit à Berlin. Incompatibilité d' humeur, de tempérament, de vision du monde, la relation restera platonique, mais fournira une mine d' informations au biographe- enquêteur : plus de 500 lettres, cartes postales, ébauches envoyées à Felice ( Kafka pour sa part recevra près de 400 lettres qu'il jettera au feu). Pain béni en tout cas pour Reiner Stach, qui suit  Kafka avec minutie, heure après heure, dans tous ses déplacements, sans chercher à broder ou à remplir cet " ersatz de vie " revendiqué par l' écrivain pragois.

Points forts

Une écriture habitée, sensible, très littéraire qui restitue les doutes, les angoisses de Kafka, sa profonde solitude, avec -chose rare-  ce mouvement soudain de l' âme qui fait surgir l' acte même de la création littéraire dans une sorte d' incandescence jubilatoire. Le lecteur bascule alors dans les tréfonds de l' œuvre et découvre, écrit Reiner Stach, " un monde inhospitalier " mais unique dans la littérature. Sur la méthode Kafka, le biographe , qui est aussi un grand écrivain, nous rappelle au passage que Kafka partait toujours d' un fait réel, jamais d' une idée. 

 Le portrait de Felice Bauer constitue une sorte de réhabilitation: contrairement à certains biographes qui considéraient Felice comme un simple miroir où Franz Kafka pouvait projeter ses phantasmes et ses rêves, Stach redonne du cœur et de la chair à cette fiancée berlinoise. Felice est indépendante, elle travaille, voyage seule, bref une femme moderne et libre...

 Question : pourquoi ces deux êtres pudiques, qui se sont cherchés dans le rêve et l' imaginaire n' ont-ils pu se rencontrer réellement, s' aimer humainement ? 

Quelques réserves

Aucune réserve. On attend la suite avec gourmandise !

Encore un mot...

Les fameuses impossibilités de Kafka nous bouleversent et nous  accompagnent nous aussi : comment écrire, comment ne pas écrire?  

“Cet acte d' écrire est d' ailleurs le vrai centre de sa vie”, remarque Stach, dans une introduction lumineuse. 

Certes Brod était convaincu du talent de son ami Franz mais il ne le  comprenait pas. Pour notre part, à défaut de le comprendre, nous souhaiterions simplement le prendre dans nos bras, le protéger, lui dire finalement que rien n' est grave. 

Laissons lui la parole encore une  fois: " On ne devrait lire que les livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d' un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire."

Une phrase

  • “ Ce qui enthousiasma Kafka en premier lieu, c' était l' état mental dans lequel il avait réussi à se maintenir jusqu'à la dernière phrase, entre oubli de soi et hallucination d' une part, et concentration et contrôle d' autre part. Le Verdict était fruit de cohérence, ce simple fait semblait à Kafka un indice essentiel de la perfection et l' authenticité de sa création.” (page 198) 
  • “ Empathie, tel est le sésame du biographe. L' empathie supplée aux défaillances de l' expérience et de la psychologie. Même la vie la mieux reconstituée empiriquement reste une énigme tant que le biographe n' éveille pas chez son lecteur la volonté et la capacité de se projeter dans un caractère, une situation, un milieu.” ( page 34)

L'auteur

Reiner Stach est un écrivain et éditeur allemand, spécialiste éminent de l'œuvre de Kafka. Cette biographie (tardivement traduite en France) a été écrite  entre 1996 et 2014. Elle donnera lieu à une adaptation télévisuelle.

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