Kharkov 1942

Une bataille oubliée, le dernier grand désastre de l’armée rouge de la Seconde Guerre mondiale
De
Jean Lopez
Perrin - Ministère des Armées Collection Champs de bataille
Parution le 6 janvier 2022
316 pages
25 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

La troisième bataille de Kharkov du 12 au 27 mai 1942 constitue l’objet du livre, dans la remarquable et nouvelle collection « Champs de bataille » chez Perrin, dont il forme le deuxième volume. La première bataille de Kharkov en octobre 1941 fait partie des nombreux désastres de l’armée rouge dans le cadre de l’offensive allemande Barbarossa qui a débuté en juin 1941.

A la suite de la contre-offensive victorieuse de Joukov de décembre 1941 devant Moscou, chacun des deux camps, dans le cadre du défaut classique de sous-estimation de l’adversaire par les dictatures, considérait l’autre au bout du rouleau. Dans ce contexte, le maréchal Timochenko, vainqueur laborieux des Finlandais, et le général Bagramian ont convaincu le dictateur de lancer une grande offensive sur le Donbass(déjà) au Sud de Kharkov à la mi-janvier 1942. Cette deuxième bataille de Kharkov fut une demi-victoire qui, en deux semaines, aboutit seulement à la formation du saillant dit d’Izium, sur environ 100 km de profondeur à l’ouest de la rivière Donetsk, avec un pourtour d’environ 250 km.  Le coût humain fut très élevé avec 120.000 pertes côté soviétique contre 40.000 côté allemand.

En mars 1942 Timochenko, Khrouchtchev et Bagramian ont convaincu Staline de relancer l’offensive de janvier 1942 sur une plus grande échelle au nord de Kharkov et au sud, à partir du saillant d’Izium. Seul le maréchal Chapochnikov, très respecté par Staline, acteur des purges de 1937 qui aboutirent à l’exécution de son rival Toukhatchevski, fit preuve de scepticisme face aux risques d’encerclement. 

La troisième bataille de Kharkov fut lancée le 12 mai 1942 au nord et au sud de Kharkov. Les forces en présence étaient à peu près équivalentes. Au nord la progression soviétique fut plus lente que prévue à cause des panzers allemands. Au sud l’armée rouge fut surprise par une énorme contre-offensive allemande du général von Kleist qui démarra le 17 mai et n’avait rien d’improvisée. En effet Hitler avait décidé fin avril de lancer une grande offensive appelée Fridericus contre le saillant d’Izium, dont Staline avait refusé de voir les signaux précurseurs. Des forces allemandes considérables avaient été amassées au sud. Dès le 22 mai, la bataille au sud est perdue par l’armée rouge. Le 23 mai, Paulus, le vaincu de Stalingrad, fait la jonction avec von Kleist par le Nord achevant l’encerclement. La poche était constituée passant en quatre jours de 55 km sur 35 à 10 km sur 6.

Les pertes soviétiques sont énormes, 260.000 soldats hors de combat (tués et prisonniers), treize fois plus que les pertes allemandes. C’est un Stalingrad à l’envers complètement occulté par la propagande soviétique, tellement efficace que seuls les spécialistes connaissent aujourd’hui cette bataille. Les causes du désastre sont multiples : stratégie risquée définie par Staline, anticipation erronée d’une attaque sur Moscou, mauvaise coordination des forces, insuffisance des forces par rapport à l’objectif, sous-estimation grossière des forces allemandes surtout au Sud, supériorité de la Luftwaffe, médiocrité de Timochenko qui ne retrouvera jamais de commandement important.

 Curieusement Bagramian, Khrouchtchev et Malinovski reprendront vite leur carrière sans trop de dommages. Paradoxalement les soviétiques, avec Joukov, tirèrent les leçons de ce désastre avec la superbe opération Uranus qui encercla Paulus à Stalingrad à partir de novembre 1942, tandis que l’excès de confiance allemand et la mégalomanie d' Hitler conduisirent à sa défaite inéluctable en URSS dès 1943 avant la chute finale.

Points forts

Le livre est d’une exhaustivité impressionnante sur la troisième bataille de Kharkov, digne d’un cours de l’Ecole de Guerre. Aucun mouvement des différentes armées n’est ignoré. L’arrière-plan politique est couvert. Les enchaînements entre Barbarossa, Kharkov 2 et 3 sont bien décrits. On apprécie la conclusion sur l’occultation de la bataille bizarrement encore d’actualité. L’auteur mérite les félicitations pour avoir exhumé une bataille aussi importante inexplicablement oubliée.

Les cartes en couleur sont magnifiques de clarté complétées par un index utile des noms propres.

Quelques réserves

La technicité de l’ouvrage le rend peu accessible aux non spécialistes. Sa lecture est même ardue, compte tenu de l’accumulation d’informations, peut-être pas toutes essentielles.

Encore un mot...

On aurait pu espérer que les 6 batailles de Kharkov entre octobre 1941 et août 1943 soient les dernières. Malheureusement la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine a fait de cette zone un nouveau champ de bataille. L’actuelle bataille du Donbass a lieu pratiquement aux mêmes endroits que la troisième bataille de Kharkov le long de la rivière Donetsk. 

Le Président Poutine utilise les références historiques de la Seconde Guerre mondiale pour qualifier le régime démocratique ukrainien de nazi. Personne n’est dupe dans les pays démocratiques. La grande guerre patriotique est du côté ukrainien. Les agresseurs de février 2022 sont les équivalents de ceux de juin 1941. Il reste à espérer qu’ils seront également défaits.

Une phrase

  • « C’est une caractéristique du système [soviétique] et, qui perdurera jusqu’à sa chute : on ment comme on respire. » page 45
  • « En 1941 Staline pensait que les Allemands avaient choisi l’Ukraine et Bakou comme objectifs principaux : ce fut Moscou. En 1942 il croit que c’est Moscou : ce sera Bakou. Cette erreur, il la partage avec presque tous ses généraux.» pages 47 et 48
  • « C’est au niveau commandement intermédiaire, armées et corps d’armée, que les Allemands commencent à être meilleurs …Si l’on descend au niveau divisionnaire et en dessous, les officiers soviétiques sont globalement moins bons que leurs adversaires…La troupe est courageuse des deux côtés, disciplinée et dure au mal…Les sous-officiers, en règle générale, sont meilleurs chez les Allemands par la compétence technique, la forte autorité sur les hommes, la capacité à prendre des responsabilités, et la considération que leur témoignent les officiers. » pages 95,96,97,98
  • « Dans l’actuelle phase de différenciation, de distanciation avec la Russie, l’Ukraine n’a que faire d’une bataille menée en commun par des Russes et des Ukrainiens. » page 246

L'auteur

Jean Lopez est un journaliste et historien militaire respecté, spécialiste de stratégie et de la Seconde Guerre mondiale, en particulier du côté soviétique. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres, seul ou en collaboration. Il est l’auteur en collaboration d’une biographie remarquée de Joukov, de Barbarossa 1941 lauréat de nombreux prix, de l’histoire des grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale. Il est directeur et fondateur de la revue Guerre et Histoire et de la remarquable nouvelle collection Champs de bataille chez Perrin.

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