La CONTESSA

De
Benedetta Craveri
Flammarion, parution le 20 octobre 2021
traduction de Dominique Vittoz
512 pages
26 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

La contessa, c’est Virginia Verasis comtesse de Castiglione, une femme qui a marqué son époque, la seconde moitié du XIX ème siècle, qui semble avoir joué un rôle éminent dans l’émergence de l’unité italienne et qui a échauffé l’imaginaire érotique de la “Belle époque“.

Forte de sa double culture, madame Craveri retrace le parcours de celle qui fut jetée dans le lit de Napoléon III pour le convaincre de soutenir l’unité de l’Italie autour de la monarchie piémontaise.

Points forts

Il y a plusieurs lectures possibles de l’ouvrage.

On peut d’abord admirer l’érudition et le travail de madame Craveri. L’auteur s’est en effet astreinte à une lecture exhaustive de la volumineuse correspondance de la Castiglione, enfin de ce qui a pu en être sauvé, ainsi que de celle des principaux protagonistes de cette histoire, notamment la longue litanie de ceux qui se sont succédé dans le lit de la belle comtesse. Ces lettres apportent un éclairage sur les évènements des années 1855 à 1875 ; elles dépeignent surtout une femme aussi rebelle que dénuée de scrupules.

L’Histoire retient en effet que séduits par la beauté exceptionnelle et le charme de la peu farouche comtesse, Cavour et Victor-Emmanuel II lui ont confié la mission de circonvenir Napoléon III, connu pour sa sensibilité aux grâces féminines, par tous moyens utiles, afin qu’il appuie militairement la lutte des Italiens contre la monarchie austro-hongroise, pour (re)constituer l’unité de ce pays, considéré jusque-là comme une “entité géographique“. A lire madame Craveri, on comprend que le rôle de la Castiglione fut plus limité que ce que l’on croit. De même son intervention auprès des Prussiens en 1870 ne semble pas avoir renversé le cours de la guerre.

Aussi est-ce le portrait d’une femme que ses contemporains appréciaient comme la réincarnation de Vénus qui retient l’attention. Madame Craveri nous la présente comme une femme libre dans ce XIXème siècle corseté de principes victoriens, libre, mais évidemment scandaleuse. Avide, narcissique, dépressive, la contessa semble plus utiliser ses nombreux amants pour combler ses besoins d’argent permanents que par plaisir sensuel. Elle fut tellement fière de sa beauté, de celle de ses mains, de ses pieds, qu’elle a laissé une formidable collection de portraits photographiques s’étendant de 1855 à 1895 qui ont contribué à construire sa légende, comme d’ailleurs sa fin de vie, recluse et misérable, dans un entresol de la rue Cambon.

Quelques réserves

Le portrait de la contessa est fouillé, mais le lecteur peut se demander si la production de toutes ces missives n’aurait pu être condensée, sans pour autant nuire à l’intelligibilité du propos.

Il se demande aussi dans quelle mesure l’éditeur a lu l’ouvrage qu’il vante dans le quatrième de couverture. Car au fond, il s’agit certes d’une femme libre, mais d’une rare méchanceté, d’une duplicité sans égale, d’une avidité sans limites, qui monnaye ses charmes pour financer son -seul- amant de cœur. Si l’on fait abstraction de son origine aristocratique et de son exceptionnelle beauté, son destin n’aurait pas été si différent de celui des cocottes de la Belle époque, Liane de Pougy ou Cléo de Mérode…

Encore un mot...

Si le souvenir de la Castiglione s’est estompé aujourd’hui, c’est le mérite de Madame Craveri d’avoir ressuscité cette légende du Second Empire et surtout d’avoir révélé la femme sous la figure historique.

Une phrase

« Dès le début des années 1870, un mémorialiste d’exception du Second Empire comme Arsène Houssaye, traversant le soir tard la place Vendôme, avait eu un coup de cœur en voyant « la silhouette d’une promeneuse attardée (…) précédée de deux petits chiens (…) deux boules de graisse », « couverte plutôt que vêtue, d’un manteau d’étoffe légère à capuchon fanfreluché ». “Attention, regarde de tous tes yeux, voilà la Castiglione“, avait-il murmuré à Ferdinand Bac arrivé depuis peu à Paris en lui expliquant que ce nom suffisait à évoquer toute une époque. » (p.418)

L'auteur

Benedetta Craveri est professeur de littérature française à Naples et membre de l’Academia dei Lincei. Elle a publié de nombreux ouvrages, avec une prédilection pour le XVIIIème siècle. Notamment le brillantissime Les Derniers Libertins (Flammarion, 2016) qui reflète le bonheur de vivre sous l’Ancien Régime finissant, cher à Talleyrand et interrompu par le couperet de la guillotine.

Elle a reçu de nombreux prix, pour le rayonnement de la langue et de la littérature françaises (2007), ainsi que le prix mondial Cino del Duca en 2017.

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