La révolution des Sciences - 1789 ou le sacre des savants

Une passionnante réhabilitation de l'œuvre des savants sous la révolution de 1789
De
Jean Luc Chappey
Edition Les Librairies Vuibert
316 pages 21,90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Devenu Empereur, Napoléon Bonaparte avait eu besoin de légitimer la refondation de l'Etat Français. Les savants en particulier, la Science en général, figurent parmi les facteurs ou victimes de ce qu'il qualifia comme les "désordres de la Révolution". Le Professeur Jean Luc Chappey dans cet essai, tend à démontrer que la Science en général - et les savants en particulier, ont considérablement contribué au fourmillement disruptif et fertile de la Révolution. Lavoisier, qui en fut finalement victime, Condorcet, Cuvier, Monge, Bacler d'Albe - chimistes, mathématiciens, biologiste, médecins, cartographes  -soucieux de contribuer à cet homme nouveau fondé sur une connaissance universelle du monde, vont apporter leur pierre à la construction Républicaine.

Et de montrer, à travers leurs vies et leurs œuvres, de la statistique à la linguistique, de l'industrialisation des productions pour les besoins de la guerre à la découverte, grâce aux conquêtes (Italie, Egypte) d'une altérité éclairée par les Lumières, de l'histoire naturelle à la refonte de l'éducation, que ces savants ont joué un rôle majeur dans le développement des sciences fondamentales et appliquées, humaines et sociales, en France et plus largement en Europe, à la charnière des XVIII et XIXème siècles.

Points forts

* Un essai bien écrit, facile à lire, qui sait multiplier les acteurs et les références sans lasser.

* Une approche thématique très didactique (le développement de la chimie, des mathématiques et de la statistique, la réorganisation des savoirs, la guerre et ses conséquences, l'exploration des terres et inconnues et des cultures, la formation des utopies politiques) qui permet de bien comprendre en quoi le bouillonnement intellectuel et moral, le renversement des privilèges d'autorité ou de naissance, a fait naitre un nombre considérable d'idées et d'initiatives dont nous bénéficions encore aujourd'hui.

* Quelques exemples des "fruits" de cette effervescence : la confiscation des biens de nobles et du clergé a conduit à recueillir et "assembler" ( notamment au Jardin du Roy, devenu Jardin des Plantes et Muséum d'Histoire Naturelle) un nombre considérable de collections (minéraux, végétaux, animaux) ou de livres savants, contribuant à la classification des espèces et au partage des savoirs académiques ; les besoins de suivre et de diffuser les débats foisonnants des Assemblées a exigé le développement et le perfectionnement de la sténographie ; la volonté  de créer une république et un homme nouveau, ont conduit à développer un système de mesure unique, une langue et une grammaire enseignée à tous et non plus seulement aux élites, à établir les cartes et relever le cadastre des territoires, à développer les statistiques pour connaitre les ressources et besoins de l'Etat ; plus anecdotique, la fameuse Ile Seguin sise devant Boulogne Billancourt sur la Seine, célèbre pour ses usines Renault aujourd'hui disparues, doit son nom à un médecin et chimiste collaborateur de Lavoisier, qui y avait établi des tanneries utilisant un procédé original à l'acide sulfurique - très polluant - qu'il avait inventé ! Il fut aussi un des découvreurs de la morphine.

* On y découvre la naissance des sciences de l'homme, appelée d'abord "idéologie" puis "anthropologie" par Cabanis. Elle a alors pour fondement le rassemblement des connaissances qui permettra au législateur d'édicter les règles de "la bonne éducation du peuple", d'élaborer  "une écologie républicaine qui conduit à définir la relation des citoyens avec leur territoire".

* Un ouvrage très documenté, enrichit de notes de bas de pages accessibles et intéressantes et de 30 pages de bibliographie. Et fait assez rare, il associe dans ses remerciements collègues et étudiants qui ont participé aux recherches sur lesquelles il a construit son essai.

Quelques réserves

Cet essai regroupe deux sujets d'intérêt bien particulier : l'histoire de la Révolution française et de l'épistémologie, comme étude critique de la constitution des connaissances.  Si ces deux sujets vous laissent de marbre, fermez la chronique, passez à la case suivante !

Encore un mot...

Voici un essai qui permet vraiment d'apprendre, de réapprendre, ou encore de comprendre en s'amusant. Ce n'est pas la moindre de ses qualités, le fourmillement des exemples et des anecdotes qu'il contient donne un visage ou une explication à des lieux familiers, hôpitaux, iles, Ponts, Boulevards, qui portent le nom de ces illustres ou moins illustres, vertueux ou moins désintéressés personnages qui ont agité le monde scientifique et politique à cette époque. Ces pages apportent la preuve que la recherche historique n'est ni ennuyeuse, ni inutile. Elles attestent aussi que le pouvoir reconnu aux savants à cette époque a constitué une originalité injustement dévalorisée mais particulièrement fertile de la Révolution française. Ami(e)s des sciences, en lisant cet essai, je vous invite à un régal.

Une phrase

"Au printemps 1790, Thouin dresse une liste de 600 semences provenant de toutes les parties du monde. Il travaille à améliorer et acclimater les plantes, en particulier par les greffes et le triage des semis : ces recherches s'appuient sur ce qu'on définira plus tard comme l'hérédité des modifications acquises…" P 122

"Dès 1795, les voyages tant à l'intérieur de la République qu'au-delà de ses frontières, sont encouragés par les autorités politiques et intellectuelles . Il s'agit en effet de réunir par-là le plus de matériaux possible à la construction d'une vaste science générale de l'homme…" P 187 

"On assiste aujourd'hui à des analyses très critiques du rôle des savants pendant la révolution : ils sont accusés d'avoir contribué à la pollution des villes […] ou d'avoir légitimé de nouvelles formes de domination. A travers eux, c'est la Révolution française qui est visée.

[… ] Entre les experts appelés appelés à la réorganisation administrative de la France en 1789, les physiciens et les chimistes au cœur des institutions du gouvernement révolutionnaire entre 1793 et 1794 et les promoteurs de la Science générale de l'homme sous le Directoire, le terme de "savant" est identique mais ne désigne pas les mêmes acteurs, les mêmes organisations institutionnelles, ni les mêmes domaines de savoir. C'est là encore une des particularités de la période révolutionnaire…" P 283

L'auteur

Spécialiste de l'histoire politique, sociale et culturelle des savoirs aux XVIII et XIXe siècles, Jean Luc Chappey est professeur d'histoire des sciences à l'université Panthéon Sorbonne. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Révolution et l'Empire, il a publié en 2017 un essai sur "l'enfant sauvage", Victor, découvert dans l'Aveyron en 1799, sujet de fascination et de curiosité en son temps, thème du célèbre film de François Truffaut.

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