L’art de la guerre russe, comment l’Occident a conduit l’Ukraine à l’échec

Une analyse controversée de l’opération militaire russe en Ukraine
De
Jacques Baud
Max Milo
Parution le 8 janvier 2024
368 pages
24,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Si les points de vue et les commentaires déchaînent des passions violentes dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février 2022 a jusqu’ici suscité peu d’ouvrages. Les experts en stratégie et les analystes du sérail ont plutôt publié des ouvrages généraux sur l’évolution géostratégique du monde et ses nouveaux dangers. Il était donc utile d’aborder un livre qui se concentre sur l’art de la guerre russe - et non l’art russe de la guerre - et livre un point de vue décentré par rapport au centre de gravité occidental englobant la défense de l’Ukraine, victime de l’agression russe. 

Le sous-titre : « comment l’Occident a conduit l’Ukraine à l’échec » connaît une actualité brûlante puisque l’échec de la contre-offensive ukrainienne et les limites de ses ressources amplifiées par l’incertitude quant au soutien américain à l’Ukraine dans la durée comme aux pays européens de l’OTAN alimentent depuis quelques jours la peur d’une menace russe majeure et le besoin d’un réarmement accéléré du vieux continent.

Points forts

Dans un opus très documenté et partiellement convainquant, Jacques Baud, excellent professionnel rencontré sur un théâtre d’opération en Afrique, reste cohérent avec sa thèse de départ fondée sur trois points : l’Occident, inculte aux plans stratégique et opératif, ne veut rien comprendre à la stratégie de son adversaire russe, devenu l’ennemi mortel à abattre ; la stratégie militaire adoptée par la Russie ne correspond en rien au narratif  dévalorisant de médias et d’experts  à charge ; ce faisant, l’Occident, après avoir en partie suscité « l’opération spéciale » russe lancée par Poutine,  a encouragé l’Ukraine à poursuivre militairement une guerre ingagnable, au prix de son seul sang, alors que l’origine du conflit est stratégique et sa solution essentiellement politique.

Après avoir explicité, du point de vue de l’analyste, la vision stratégique et opérative russe, l’auteur détaille l’organisation, les forces en présence, les équipements, la conduite des opérations en adoptant la logique russe, présentée comme calculée et globalement maîtrisée, et les effets tactiques et informationnels des modes d’actions russes et ukrainiens en confrontation sur le terrain d’une « guerre à l’ancienne » intégrant une nouvelle dimension technologique et numérique. 

Sans craindre parfois les répétitions et quelques rapprochements approximatifs, Jacques Baud évoque la guerre idéologique, entre propagande et désinformation, des deux camps, souligne le caractère jusqu’au-boutiste de l’Occident dans le discours, ses promesses de soutien intenables et non suivies d’effets, la dépendance ukrainienne croissante, et, in fine, faute d’ouverture visible à la négociation, l’impasse militaire atteinte au moment où la Russie semble faire preuve d’une résilience et d’une capacité à durer inenvisageables dans le camp ukraino-occidental alors que, dans de nombreux domaines et sur bien d’autres théâtres, l’ensemble de la sécurité mondiale est en pleine ébullition.

Quelques réserves

S’inscrivant dans un ensemble de plusieurs ouvrages sur la guerre en Ukraine, cet ouvrage a les défauts de ses limites : l’orientation idéologique de l’auteur même s’il s’appuie majoritairement sur des faits et des références notamment ukrainiennes, et le point de vue adopté : exposer la vision stratégique et militaire russe du conflit qui manque tant dans le panorama médiatique, à quasi sens unique, il faut bien le reconnaître même si la Russie de Poutine est incontestablement l’agresseur de l’Ukraine et doit être dénoncée comme telle.  

Pour ma part, j’aurais bien aimé en introduction un rappel, même synthétique, sur les fondements historiques, stratégiques russo-soviétiques (glacis à l’ouest, accès aux mers chaudes au sud), culturels, militaires et politiques, notamment depuis la chute du Mur et la décomposition de l’Union Soviétique, qui expliquent la stratégie poutinienne et son choix d’une offensive militaire contre son voisin ukrainien au printemps 2022. Il en va de même, en conclusion, sur les perspectives ouvertes à l’Europe si le camp occidental ne veut pas s’enfermer dans une nouvelle « guerre de trente ans » avec la Russie et ses alliés qui risque d’affaiblir et de marginaliser une Europe en état de faiblesse stratégique et militaire.

Encore un mot...

Un livre d’expert intéressant et documenté à croiser avec d’autres sources pour se faire une idée plus complète des enjeux multiples de la guerre en cours sur le front de l’Ukraine. 

Une phrase

  • ” C’est pourquoi, en août 2023, l’incapacité de l’Ukraine à concrétiser sa contre-offensive fait craindre aux Occidentaux qu’ils « perdent le contrôle de leur narratif »”. (p. 16).
  • “ On est à nouveau dans un schéma de conduite des opérations par la politique (et par la communication) et non par des militaires”. (p. 205).
  • “ Les Occidentaux, Américains en tête, n’ont jamais réfléchi de manière stratégique dans ce conflit”. (p. 245).

L'auteur

Ancien colonel du renseignement stratégique de l’armée suisse, Jacques Baud est un expert des pays de l’Est et un ancien chef de la doctrine des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Il a étudié l’art militaire soviétique et sa guerre en Afghanistan et a participé à des programmes internationaux (Darfour, Ukraine, Afrique) dont il a tiré plusieurs ouvrages sur le renseignement, la guerre et ses fake news et le terrorisme.

Depuis la guerre en Ukraine, il a publié quatre livres : Poutine, maître du jeu ?(2022), Opération Z, Ukraine entre guerre et paix, et L’art de la guerre russe (2024), le dernier paru. Ses points de vue opposés au courant mainstream occidental l’ont rangé dans la case « pro russe » voire complotiste.

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