
L’autre Amérique
Publication le 7 mai 2025
233 pages
20 euros
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Thème
L’autre Amérique, c’est celle de Roosevelt. Elle est comme une longue parenthèse (1932-1944) refermée avec les années Reagan. Judith Perrignon s’appuie sur les archives méticuleuses de Henry Morgenthau Jr, le secrétaire au Trésor de FDR et les expertises d’historiens américains, pour faire revivre cette rupture unique dans la vie du pays et brosser ce qu’a été le New Deal. Face à la Grande Dépression, Roosevelt répond à un désir de puissance fédérale exprimé par le peuple. Dans l’esprit de ce patricien démocrate, le New Deal n’est pas un programme social-démocrate ou de justice égalitaire.
C’est une réponse politique d’inspiration keynésienne au libre marché débridé : distribution d’argent public emprunté pour restaurer la prospérité économique, rééquilibrage des relations sociales et sécurité financière renforcée pour les salariés. Son interventionnisme vaudra à FDR d’être traité de dictateur par les milieux d’affaires de la Liberty League. L’auteur illustre aussi les ruptures à l’œuvre en politique étrangère : fin de l’ingérence unilatérale, hostilité au colonialisme et abandon progressif de l’isolationnisme, les EU devenant « l’arsenal de la démocratie ».
Points forts
L’autre Amérique est un travail de journaliste sérieux et documenté qui éclaire l’actualité. Les extraits du journal de Morgenthau rendent le récit très vivant et les auteurs académiques cités apportent des remises en perspective éclairantes. L’auteure restitue sur le vif les coulisses des décisions, les hésitations des acteurs. Les éléments de rupture, mais aussi de continuité, de la vie politique et économique des États-Unis sont bien tracés. Pour les ruptures, on peut citer l’abandon progressif des régulations pour prévenir les excès du capitalisme US, par exemple la remise en cause du Glass-Steagall Act de 1934 sur la séparation des activités des banques, sous les administrations Clinton et Trump. Le concept de Président, de commandant en chef aux pouvoirs élargis qui sied si bien à Trump et à ses prédécesseurs illustre, lui, la continuité.
J. Perrignon dresse aussi le portrait sensible d’un homme courageux, d’un progressiste qui a peut-être sauvé le capitalisme américain et qui a combattu le suprématisme blanc et l’antisémitisme jusqu’à entraîner la nation dans la guerre contre le fascisme.
Quelques réserves
Ce livre n’est pas dépourvu d’idéologie (l’auteure évoque par ailleurs la « dictature des milliardaires » aux EU) et l’hostilité de l’auteure aux fossoyeurs du New Deal est notable. S’appuyant sur l’histoire, J. Perrignon a certainement souhaité rappeler que la combinaison d’un capitalisme débridé et inégalitaire, d’un régime politique qui néglige ses checks and balances et d’une société qui n’en finit pas avec son passé raciste, n’était pas soutenable. En somme, un message que le cycle inauguré dans les années 1980 pourrait prendre fin.
Encore un mot...
Sur cette période avant et pendant la Grande Dépression et sur une note romanesque, on se permettra de renvoyer le lecteur à deux chroniques de Culture-Tops (lire ci-dessous : Bronstein dans le Bronx de Robert Littell et Les Traqueurs de Charles Frazier).
Une phrase
« Il y a toujours eu, aux États-Unis, deux pays en un. Franklin Roosevelt le savait. Il était né blanc, riche, pur archétype de la classe dominante et aurait pu faire fructifier son statut d’héritier. Il fallut l’effondrement de l’économie et du système capitaliste, l’effondrement des villes et des campagnes, pour qu’il puisse vivre comme dans la rédaction qu’il écrivit adolescent, rappelez-vous, « étant nés dans une situation avantageuse, les Roosevelt n’auraient aucune excuse de ne pas faire leur devoir auprès de la collectivité ». Il est ainsi devenu celui qu’il avait rêvé d’être ». (p. 228)
L'auteur
Judith Perrignon a débuté sa carrière comme journaliste. Elle est aussi essayiste et écrivaine.
Elle a cosigné de nombreux livres parmi lesquels La nuit au Fouquet’s (avec Ariane Chemin, Fayard, 2007) ou L’amour après (avec M. Loridan-Ivens, Grasset 2018), dont Culture Tops a rendu compte. Elle signe seule son œuvre depuis, notamment, Notre guerre civile (Grasset, 2023).
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