Le Chevalier de Saint-George. Né esclave, musicien et escrimeur au temps des Lumières

Biographie d’un homme à la destinée hors du commun. Plaisant, mais démonstratif et hésitant entre plusieurs thèmes et styles
De
Claude Ribbe
Tallandier
Parution en Novembre 2022
280 pages
20,90 €
Notre recommandation
2/5

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Thème

Le sous-titre dit tout : comment un garçon né de l’union, forcément illégitime, d’un planteur de la Guadeloupe et d’une esclave noire, deviendra un musicien virtuose à la Cour de Versailles, le meilleur bretteur de son temps, et enfin le colonel d’un régiment de l’An II défendant la jeune Révolution aux frontières de la France.

Points forts

La lecture est plaisante, en tous cas lorsque sont racontées les péripéties de la vie du Chevalier. Dans un siècle qui a connu des personnages hors normes (pensons à Cagliostro, Casanova, Da Ponte) il ne dépare pas et les épisodes s’enchaînent sans temps mort.

On croise une ribambelle de personnages : le Chevalier d’Eon (en habit féminin) avec qui il combattra à l’épée, Choderlos de Laclos qui avant d’écrire Les Liaisons Dangereuses lui fournira un livret lyrique, Marie-Antoinette à qui il donnera des leçons de musique, Philippe-Egalité dont il sera maître des chasses, Mirabeau, le Prince de Galles, sans oublier le futur général Alexandre Dumas…

L’auteur a la bonne idée de donner en annexe une liste des œuvres composées par Saint-George et de leurs enregistrements, ce qui permet grâce à Internet de les écouter et de découvrir une musique très XVIIIème qui lorgne vers Haydn et Mozart.

Quelques réserves

Ce livre n’est pas homogène et donne le sentiment d’hésiter entre plusieurs genres, tous honorables mais parmi lesquels il aurait fallu faire un choix :

  • Le livre d’histoire universitaire, factuel, précis et documenté ; en témoignent les nombreuses notes en annexe, bienvenues pour comprendre les équivalences de monnaie, la localisation des bâtiments, les éléments biographiques de certains protagonistes…
  • Le roman : les trois premiers chapitres, qui traitent d’ailleurs d’un fait divers étranger au Chevalier, sont rédigés dans un style totalement différent, avec des dialogues dont on imagine bien qu’ils sont recréés par l’auteur, et sont en complet décalage avec la suite de l’ouvrage.
  • Enfin, l’essai politique touchant au pamphlet ; même si elle n’est pas la plus longue, on nous pardonnera de trouver cette partie la plus indigeste.

Il s’agit sans doute d’apporter une contribution à l’œuvre des déboulonneurs de statues aujourd’hui au travail, s’agissant de la période coloniale. Personne ne contestera que la traite négrière a été une abomination, mais est-il besoin d’insister lourdement sur le fait que les beaux immeubles de Bordeaux ont été bâtis avec l’argent de ce commerce, sur le racisme que l’auteur décèle partout, y compris chez Voltaire ? Il nous semble que la pensée de ce dernier est infiniment plus complexe et que Candide comporte une féroce dénonciation de l’esclavage (« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »). Quant à Napoléon, la cause est entendue qu’il n’a fait qu’une seule chose dans sa vie, le rétablissement de l’esclavage.

L’emploi polémique de termes tels que « seuil de tolérance » et « grand remplacement » nous semble pour le moins anachronique.

Le Chevalier de Saint-George est un peu abandonné en chemin, voire carrément oublié dans le dernier chapitre qui évoque Toussaint Louverture et la révolte de Saint Domingue, survenue après sa mort.

Une chose est sûre, et l’auteur l’indique lui-même par ailleurs : son héros voulait être un homme comme les autres et un musicien vivant de son art, certainement pas l’étendard d’une cause de libération qui n’a émergée qu’aux siècles suivants.

Encore un mot...

Pour ceux qui pensent que l’Histoire est faite par des êtres de chair et de sang et ne se résume pas à des considérations politiques, économiques ou sociales, de telles biographies sont utiles. En outre, la redécouverte d’un artiste de valeur mérite toute notre attention, de même que le récit picaresque de ses aventures, qui vaut largement une fiction.

C’est quand l’auteur sort de ce projet et se montre trop démonstratif qu’il prête le flanc à la critique ; on se dira qu’il a peut-être hérité de l’esprit batailleur de Saint-George et tant que cela ne finit pas par un duel ...

Une phrase

« Dans les manuels d’histoire, qui disent bien peu de choses du chevalier de Saint-George et du million d’esclaves déportés dans les colonies françaises, Voltaire est honoré comme le plus brillant des humanistes et Napoléon, comme le plus glorieux des hommes d’Etat. Le mot « mulâtre » hérité de la terminologie négrière, est encore utilisé pour qualifier Saint-George et Alexandre Dumas.

Heureusement, il reste la musique du chevalier. Bien sûr, d’aucuns se sentiront obligés de la comparer à ce qui leur paraît inaccessible. Croyant bien faire, ils parleront de « Mozart noir ». D’autres auront le plus grand mal à admettre qu’un musicien classique puisse avoir des ancêtres originaires d’Afrique. « Il est difficile de se garantir de la folie en voyant des prodiges » avouait déjà Melchior Von Grimm à propos de Mozart, justement. De ce fait, Saint-George sera l’un des rares compositeurs de son époque auquel certains se permettront parfois d’attribuer le qualificatif de « mineur ».

Pourtant, il laisse des partitions remarquables dont l’apparente affabilité n’est que prétexte aux audaces et inventions d’un grand maître. Elles restent tout aussi inimitables que le personnage même du chevalier, dont le plus brillant exploit est de s’être affranchi de sa condition et d’avoir pu, grâce à ses dons, lutter contre des préjugés qui, hélas, lui ont survécu ». (pp. 244-245).

L'auteur

Claude Ribbe, né en 1954, est décrit comme « écrivain, historien, philosophe » et la liste de ses livres précédents illustre l’optique donnée à ses recherches :

  • Le crime de Napoléon (2005, réédition au Cherche Midi en 2013) 
  • Les Nègres de la République (Alphée, 2007)

Ceci explique les considérations ci-dessus soulignées et qui encore une fois peuvent susciter le débat et nourrir le procès en anachronisme.

 

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