Letizia Bonaparte
Parution le 13 novembre 2025
495 pages
25.90€
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Thème
Le titre annonce clairement le sujet : il s'agit de présenter non seulement l'itinéraire et la vie de Letizia, née Ramolino, épouse Bonaparte, mais surtout sa personnalité, son caractère, ses qualités plutôt que ses défauts en rectifiant à plusieurs reprises l'image qui nous est restée de la mère de l'Empereur, image généralement formée à partir de propos négatifs de quelques historiens... qui ont insisté sur sa difficulté à parler un français correct, qui ont (trop) fréquemment souligné son "avarice"...
A la lecture de ces 26 chapitres, on découvre une femme forte face aux épreuves (la mort de trois enfants en bas-âge, l'exil vers la France, le veuvage, les conflits entre les frères et soeurs, l'ignorance du sort de Napoléon aux mains des Anglais, etc...), d'une femme fière non pas effacée mais sachant tenir sa place : celle d'une Madre capable de tout pour défendre son clan, ses fils et ses filles : "Assurer la cohésion des siens" est son souci permanent. On découvre aussi une femme qui sait recevoir pour établir des relations utiles, gérer ses affaires, meubler avec goût ses appartements (du moins son hôtel de Brienne), défendre son rang, le titre et les avantages auxquels elle a droit...
Et qui, aux dires de plusieurs témoins, avait un joli visage conservé même au temps de sa vieillesse. C'est pourquoi l'auteure, Laetitia de Witt, utilise dans l'intitulé de plusieurs chapitres des adjectifs positifs : une épouse épanouie, une génitrice et éducatrice (excellente), une veuve (courageuse) mais pas seule, une femme d'argent (certes mais bonne femme d'affaires finalement), une mère protectrice avant d'être Madame, mère "officielle", une mère "supportrice", une mère en temps de guerre, une mère consolatrice... et finalement, une mère (et grand-mère) survivante à plusieurs de ses descendants qui meurent avant elle... et jusqu'au bout, une femme digne qui a osé être elle-même. Si elle ne fut pas une femme de pouvoir, si elle n'a jamais cherché à imposer ses convictions et a préféré rester en coulisses, elle ne fut pas sans influence. En somme, le pilier de la famille. Une belle figure de gardienne du temple.
Points forts
Laetitia de Witt a l'art de rendre sympathiques les personnages dont elle trace la biographie tout en respectant la stricte vérité historique ; c'était déjà le cas pour le fils de l'Empereur, l'Aiglon, auquel elle a consacré son dernier ouvrage paru, c'est ici le cas pour la mère de l'Empereur. Cette sympathie rend la lecture agréable, les événements retracés ne sont jamais pesants étant simplement évoqués de façon à faire comprendre les positions et réactions des uns et des autres. En somme, le côté humain des personnes l'emporte sur le côté historico-politique...
Le souci du respect de la vérité historique oblige Laetitia de Witt à rappeler, à plusieurs reprises, que "par manques de sources, nous ne savons rien de... " ou à rectifier plusieurs images : "contrairement à l'idée reçue... ". Rares, par exemple, sont les lettres entre Madame Mère et Joséphine (deux lettres de Letizia conservées). Les Mémoires de Lucien, cadet de Napoléon, sont... embrouillées ou enjolivées ! Tous ces éléments obligent l'historienne à des nuances qu'elle ne manque jamais de mentionner.
Les portraits des enfants de Letizia, frères et soeurs de Napoléon, et de leurs conjoints respectifs, sont bien tracés eux aussi, et resitués dans leur contexte, certains mariages ayant reçu l'approbation de la Madre, d'autres lui ayant déplu, et l'auteur de bien expliquer les raisons des réticences maternelles, car tout ce qui modifiait l'équilibre de la famille importait au plus haut point.
Ce n'est pas sans émotion qu'on lit le désarroi de Letizia, déjà vieillissante, qui remue ciel et terre pour avoir des nouvelles de son fils enfermé à Sainte-Hélène, et qui, ignorant la date de sa mort, le croit encore en vie...
Le tableau généalogique (sur 2 pages) de la descendance de Letizia et Charles Bonaparte est tout à fait éclairant. De même que le cahier iconographique qui offre non seulement des portraits de Letizia (et en particulier le touchant dessin réalisé par sa petite-fille Charlotte), de son époux, de son frère le cardinal Fesch, mais aussi les portraits en médaillon de ses huit enfants. La qualité du travail de l'éditeur mérite, là, d'être soulignée.
Quelques réserves
Peut-on reprocher à Laetitia de Witt de présenter son aïeule sous son meilleur jour ? Pour ma part, j'ai plutôt apprécié ce "parti pris" positif car il révèle un souci de cohérence dans l'étude de la psychologie du personnage, la mère capable de tout pour défendre sa progéniture. C'est la ligne directrice adoptée par Laetitia de Witt dans ce portrait : elle ne la lâche jamais.
Encore un mot...
Comment lui est venue l'idée de consacrer une étude à la mère de Napoléon après celle portant sur le fils ? Laetitia de Witt s'en explique brièvement dans un bref avant-propos, se demandant pourquoi ses parents lui avaient donné un prénom presque identique à celui de son aïeule ? "Le prénom est passeur d'une transmission qui fait lien de filiation. Peut-être m'ont-ils rattachée, inconsciemment, à leurs racines communes, la Corse. Et c'est à Ajaccio, invitée à présenter l'Aiglon, qu'est né mon désir de lever le voile sur celle sans laquelle je n'existerais pas et qui, dans sa ville, fait encore, aux côtés de son fils, figure d'héroïne". Après ces deux ouvrages, que nous réserve-t-elle sur cette famille dont elle connaît bien des secrets ?
Une phrase
[A propos du mariage de Pauline et de Leclerc]
"Les amoureux (et les historiens après eux), sous-estiment l'influence de Letizia dans cette affaire. On touche ici à sa manière d'agir sans en avoir l'air. Se mettant en retrait, elle s'attache à passer pour insignifiante, ce qui lui permet de mieux observer pour mieux frapper." (p. 191)
L'auteur
Laetitia de Witt, titulaire d'un doctorat en histoire, n'en est pas à son premier ouvrage puisqu'elle a déjà fait paraître Le Prince Victor-Napoléon (Fayard, 2007), biographie remarquée de son arrière-grand-père, ainsi que L'Aiglon, le rêve brisé de Napoléon (Tallandier, 2020, Texto 2024, Prix de la Fondation Napoléon et Prix Combourg-Chateaubriand). C'est dire que descendante de la famille Bonaparte elle a grandi parmi les souvenirs napoléoniens "[qui] ont accompagné mon enfance sans que j'y prête une réelle attention". Le Prince Victor-Napoléon est le dernier fils de Jérôme, le frère cadet de Napoléon, et de Catherine de Wurtemberg, et c'est de lui que descend Laetitia de Witt.
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