Le deuil de la mélancolie

Onfray intime, direct, pas toujours très objectif, mais attachant
De
Michel Onfray
Editions Robert Laffont - 128 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Michel Onfray a eu un infarctus en 1988 et a fait un AVC peu après. Ce court livre relate comment un certain nombre de médecins et, il est vrai, un nombre inquiétant, au moins trois, n’a pas su voir qu’il faisait de nouveau un AVC, en janvier 2018, alors que de nombreux signes avant-coureurs pouvaient le laisser penser. Il sera malgré tout finalement diagnostiqué mais il laissera d’assez  importantes séquelles visuelles au philosophe. 

 Comment plusieurs médecins et parmi eux un cardiologue hyper renommé, peuvent-ils ne pas voir l’évidence à ce point, ou ne pas, ne serait-ce que par simple précaution, l’envisager? Comment réagiront-ils à l’annonce du véritable mal qui touchait Michel Onfray, mis face, il faut bien le dire, à leur incompétence au moins momentanée?

Ce récit autobiographique est aussi l’occasion d’une réflexion touchante sur la maladie, l’hospitalisation, la fin de vie et le deuil. Michel Onfray a malheureusement bien connu toutes ces choses de la vie et de la mort, durant les années où il a soutenu Marie Claude, sa « compagne de trente-sept années de vie commune », qui finira par décéder d’un cancer.

Points forts

  • Plus qu’un point fort j’aimerais évoquer un moment très fort que livre Michel Onfray lorsqu’il produit la lettre qu’il na pas eu la force de lire et qu’un ami a lu pour lui à l’enterrement de sa compagne. Pas de lyrisme lourd, un texte intime mais qui ne nous met pas en position de voyeur, poétique et beau juste comme il faut, qui révèle la vie et la beauté d’âme de celle qu’il aimait, dans la simplicité de sa vie de tous les jours, dans l’amour de son métier de professeure, de ses élèves, de la danse; par sa « générosité », sa « bienveillance » et sa « douceur » il explique combien elle aura éclairé sa vie, combien elle lui manquera. 
  • Ce livre est, à mon avis, courageux car on connaît beaucoup « d’ennemis », ce sont ses propre mots, à Michel Onfray qui ose se livrer, de manière assez intime, notamment sur la difficile gestion du « deuil » qui a fait suite au décès de sa compagne. Il ne « faisait pas son deuil » mais c’est  son « deuil qui le faisait ». Ce deuil le faisait pour ainsi dire mourir à petit feu, et il a, petit à petit, très probablement, sournoisement provoqué son AVC, à cause de l’hygiène de vie relativement malsaine qu’il induisait. Certains crieront certainement au déballage d’un ego démesuré, ce qui n’a, en fait, rien à voir avec cela me semble-t-il. Comme tout récit autobiographique réussi, il invite à une réflexion plus large.

Quelques réserves

Cependant ce texte a les défauts de ses qualités. En effet, d’aucuns pourront trouver ce livre exhibitionniste, certes, mais ils pourront surtout le voir comme une charge inutile contre les médecins, qui, même s’ils pêchent trop souvent par vanité, cherchent malgré tout à soigner les malades et à rassurer un grand nombre de semi-hypocondriaques soit disant à l’article de la mort, malades imaginaires auxquels ils ont affaire plusieurs fois par jour. On peut comprendre que Michel Onfray ne soit pas indulgent car il a manqué tout simplement de mourir et la réaction de l’un d’entre eux, lorsqu’il apprendra la véritable cause de son malaise, est d’une incroyable présomption, d’une infinie mauvaise foi, sans aucune remise en question. En effet c’est tout simplement inadmissible à quel point le fameux ponte ment. On peut comprendre qu’il faille dénoncer ce genre de fatuité, surtout lorsqu’il s’agit de médecins qui ont nos vies entre leurs mains, mais ne faut-il pas aussi prendre garde à ce que l’on écrit lorsque ceci peut être compris, certes à tort, mais tout de même facilement, comme une mise au pilori des médecins et de la médecine, à l’heure où  de plus en plus de gens se font leur propre diagnostique sur internet pour se soigner eux-mêmes et se méfient dangereusement des vaccins jusqu’à risquer la vie de leurs enfants? Ce livre est très personnel et très chargé en émotion, ainsi Michel Onfray n’y va pas de main morte, pour le meilleur et peut-être aussi pour le pire.

Encore un mot...

 « Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort. » Nietzsche, « Le crépuscule des idoles ». C’est une version nuancée de cette citation devenue un adage que le philosophe fondateur de l’université populaire de Caen nous invite à penser à travers ce livre étonnement intime et beau, avec ici et là, un doux-amer manque d’objectivité. Mais ça reste quand même un beau livre... 

Une phrase

 « J’avais envisagé de partir avec elle; pour elle, puis pour moi. Et je me retrouvais là, infidèle à ma promesse, secoué comme une charogne dans le courant du fleuve depuis des années, des mois, des semaines, des jours, des heures et échoué là, exsangue, vidé, épuisé, prostré. Comme une chose parmi les choses, un objet au milieu des objets, tel un géranium cuit par le soleil fané dans le cimetière… Il fallut vivre tout de même… »

L'auteur

Michel Onfray fait partie des philosophes français très médiatisés qui prennent régulièrement part aux débats du moment, à la télévision, à la radio; il a même sa propre chaîne Youtube. Il produit un nombre énorme de travaux, notamment sa gigantesque « contre histoire de la philosophie » dont le contenu a été diffusé sur France Culture et existe en livre audio.

Commentaires

François
mar 16/10/2018 - 23:53

Étant moi-même acteur de la pratique médicale, je peux m'imaginer la "gène" ressentie face à sa propre erreur médicale. Est ce de l'héroïsme que de la reconnaître face à sa victime ? Ou une simple et honnête reconnaissance de dette ? Facile à dire...mais:
L'usage avait placé le soignant sur un piédestal, et le doute du patient est toujours son grand ennemi.
Comme on ne saurait aimer un être sans l'avoir placé sur un piédestal, plus grande est notre rancœur de le voir tel qu'il est, humain, simplement humain.
Bizarrement, c'est la religion qui nous apprend à aimer même nos ennemis... Un tour de force que vous vous refusez à accomplir, cher Michel, et qui vous apaiserait certainement.
Je ne suis pas croyant, mais je n'en refuse pas la pratique... Et relire Lucrèce dans cette optique serait peut être un bon début.
Pour le reste, on peut citer ce mécréant de Voltaire "Mon Dieu, protégez moi de mes amis, car de mes ennemis, je m'en charge moi-même...."

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