Le droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité

Une valeur qui est partout et peut-être nulle part. Une érudition éblouissante au service d'une traque philosophique
De
Alexandre de Vitry
Gallimard
Parution en février 2023
433 pages
24€
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4/5

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Thème

C'est une idée insaisissable, polymorphe, ambivalente, brûlure pour les uns, banquise pour les autres : la fraternité. La fraternité, parente pauvre des valeurs cardinales de la République, toujours proclamée, souvent oubliée, rejetée... 

Le mot latin frater venu du christianisme (la fraternitas chrétienne chez Tertullien) va irriguer la pensée révolutionnaire, jusqu'à se confondre parfois, avec celle de République. Mais ses métamorphoses sont nombreuses : fraternité ouverte et spirituelle chez les chrétiens, fraternité terrestre et juridique chez les confréries de tout poil, fraternité héroïque des frères d'armes, fraternité nationale et universelle pour les hommes de la Révolution. A partir de 1790, les arbres de la Liberté fleurissent sur les places de nos villages, la soif d'égalité taraude les sans- culottes, mais la fraternité, déjà, se précarise. Elle sera absente des grands textes comme celui de la Déclaration des Droits de l' Homme. Trop lyrique, trop festive, la fraternité comme un témoin aveugle, oublie de pourfendre privilèges et prébendes, ignore la lutte des classes chère à Karl Marx. En 1848, elle obtient enfin une reconnaissance constitutionnelle, qui sera consacrée plus tard, dans la Constitution de 1946 puis de 1958. 

Depuis l' origine pourtant, le frère désigne toujours un non frère, un faux- frère, bref un ennemi à abattre. Cette figure de Caïn va hanter les consciences révolutionnaires. " Sois mon frère ou je te tue" s' exclame Chamfort. 

Sur le plan littéraire, la métaphore fraternelle  aiguise aussi les couteaux de nos grands poètes. Baudelaire prône une fraternité resserrée, choisie, élevée, et méprise Les Misérables d'un Victor Hugo, qui rêve lui, d'une fraternité capable de sauver et de s' étendre à tout le genre humain...

Points forts

Une érudition éblouissante au service d'une traque philosophique. Ne dit-on pas  “filer une métaphore”? Alors, prenons cette  expression dans son sens littéral... Eh bien, dans cette " histoire conceptuelle de la métaphore fraternelle", Alexandre de Vitry nous embarque dans une traversée troublante. Comme le feu follet du bonheur dans le poème de Paul Fort, la fraternité humaine est à portée de main, mais elle glisse et nous échappe. Elle est à la fois partout et nulle part. 

Un coup de chapeau particulier à Romain Gary qui rassemble toutes les fraternités : chrétienne, sociale, républicaine et la fraternité des armes.

Quelques réserves

Qui trop embrasse... Des passages sur Sade et les francs maçons survolés un peu rapidement. Un chapitre un peu court sur le XXème siècle, où l' auteur évoque Malraux, Péguy, Orwell ou Aragon. Il y aura une suite, j' espère...

Encore un mot...

Comme chez Régis Debray dans son " Moment Fraternel", cet essai s' efforce de cerner la notion de sacré. Mais contrairement à Debray, qui convoque une fraternité laïque, Vitry magnifie la geste chrétienne, cette fraternité ascendante vers le divin et descendante vers les hommes. Pour l' Eglise, les frères, ce sont les plus petits.

Une phrase

" La fraternité s'éclipse, donc. Lorsque Chateaubriand en fait mention, dans Génie du christianisme en 1802, c'est soit pour la dénoncer, dans la lignée de Thermidor, en évoquant ces athées révolutionnaires qui " vous appelleraient mon frère en vous égorgeant ", soit pour la refonder en Christ, mais en Christ seulement, en célébrant la grande famille de Jésus-Christ, cette société de frères. "

L'auteur

Alexandre de Vitry est normalien, agrégé de lettres, maître de conférences en littérature française à la Faculté des lettres de Sorbonne Université. Il est l' auteur de plusieurs ouvrages, dont L’invention de Philippe Muray ( Carnets Nord, 2011) et Conspirations d'un solitaire : l'individualisme civique de Charles Péguy ( Belles lettres, 2015).

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