Le Nœud au mouchoir

Réédition des écrits de Henri Béraud pendant l’Occupation. Pouvait-on condamner un écrivain pour ses opinions, si contestables soient-elles ?
De
Henri Béraud
Déterna
Parution en mars 2023
220 pages
25 €
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4/5

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 Héritier de Paul-Louis Courier et d’Henri Rochefort, Henri Béraud (1885-1958) avait la polémique dans le sang. Son pamphlet anglophobe, Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ? (1935), dénonçait l’impérialisme britannique. Ses articles au vitriol publiés en 1936 dans Gringoire contribuèrent au suicide de Roger Salengro, le ministre de l’Intérieur du Front Populaire. Le Nœud au mouchoir est de la même veine. Cet ouvrage publié pour la première fois en juin 1944 (!), dont la quasi-totalité des exemplaires seront détruits quelques semaines plus tard, contient sous une forme thématique la plupart des articles écrits par Béraud sous l’Occupation, articles qui lui vaudront d’être condamné à mort à la Libération pour intelligence avec l’ennemi.

On n’y trouvera pourtant nul passage favorable à la collaboration. On y trouvera en revanche tous les motifs ayant conduit Béraud à poursuivre l’Angleterre de sa vindicte tout au long des années noires. « Tout Paris sait bien que ce jugement est inique, écrivait Mauriac au lendemain du verdict (Le Figaro, 4/01/1945). Qu’on déshonore et qu’on exécute comme traître un écrivain français qui n’a pas trahi et qu’on le dénonce comme ami des Allemands alors qu’il les haïssait ouvertement, c’est une injustice contre laquelle aucune puissance au monde ne me défendra de protester ». Le général de Gaulle dut en convenir ; il accorda sa grâce à Albert Naud, l’avocat de Béraud, venu la solliciter.

Points forts

 Outre le style qu’il est permis de savourer, l’intérêt historique de cette réédition n’est pas mince. À sa lecture, on comprend mieux la confusion (sinon l’aveuglement) dans laquelle nombre de Français, pourtant patriotes, furent plongés sous l’Occupation. Béraud a beau stigmatiser les collaborateurs qui « voient dans le malheur général une occasion de profit », les « Thénardier de l’armistice » qui se « complaisent dans les attitudes serviles et se délectent de leur propre humiliation », « les masochistes de la défaite » qui « se répandent en courbettes devant l’étranger », il n’en reste pas moins obnubilé par la « perfide Albion », à laquelle il ne pardonne rien : ni le soutien mollasson aux armées françaises durant les combats de mai-juin 1940, ni l’attaque de Mers-el-Kébir, ni les bombardements des villes françaises à compter du mois de mars 1942, ni de profiter des circonstances pour faire main basse sur quelques colonies de « l’Empire français ». En conséquence, inutile de préciser qu’il n’a aucune estime pour de Gaulle, réfugié à Londres, baptisé « général de Grand-Guignol » ou bien encore « M. Moi-de-Gaulle ». Le Nœud au mouchoir fournit ainsi des clefs indispensables à la compréhension des comportements et des choix de nombreux Français.

Quelques réserves

Cette réédition aurait sans doute mérité un accompagnement critique et des repères chronologiques afin de permettre au lecteur de connaître précisément les dates de l’écriture de ces différents textes et le contexte dans lequel ils ont été écrits.

Encore un mot...

 … sous forme de question : pouvait-on condamner un écrivain pour ses opinions, si contestables soient-elles ?

Une phrase

 L’Angleterre « avec ses rois, ses ministres, ses généraux, ses banquiers, ses armateurs, ses vieilles filles, ses clergymen, ses coloniaux, ses mylords, ses clochards, compose depuis toujours une nation dévorante et funeste, un monstrueux parasite, un chancre à l’échelle du monde, obligé, par sa nature même et sa position géographique, à vivre du bien, du travail et de la chair d’autrui. "

L'auteur

Henri Béraud, et ce n’est pas là la moindre de ses qualités, est d’abord et avant tout un Lyonnais qui a su raconter avec tendresse son enfance heureuse de « gone » dans le quartier de Saint-Nizier où son père exerçait la profession de boulanger, rue Ferrandière, dans un livre magnifique, La Gerbe d’Or, du nom de l’enseigne de la boulangerie paternelle.

Béraud est aussi le seul écrivain français à pouvoir se vanter de l’attribution du Prix Goncourt pour deux romans différents publiés la même année, Le Vitriol de Lune et Le Martyre de l’obèse (1922).

Commentaires

Jean-Luc Demarty
jeu 06/04/2023 - 15:23

Après l’exhumation de Jean de la Ville de Mirmont, j’adresse à nouveau mes félicitations à Culture-Tops, à l’éditeur Deterna et à Marc Buffard pour avoir réhabilité littérairement un écrivain important de l’entre deux guerres, Henri Béraud et un de ses livres, introuvable jusqu’à cette réédition. Je confirme que ses souvenirs d’enfance de la Gerbe d’or sont magnifiques. Pour les bibliophiles il en existe une très belle édition de 1931, illustrée d’eaux-fortes d’Edmond Ceria, tirée à 160 exemplaires.
Par contre, si Béraud fut un maréchaliste non collaborationniste pendant l’occupation, il avait basculé, après le 6 février 1934, à l’extrême droite frénétiquement antisémite. Ses livres importants datent tous des années 1920, période pendant laquelle il était très marqué à gauche, pas nécessairement un gage de qualité littéraire, avec un étonnant « Mon ami Robespierre ». Je laisse le soin aux lecteurs de faire des parallèles avec des destins intellectuels et politiques d’aujourd’hui.

Jean-Luc Demarty

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