L’empire des sables

Colonisation française: du réquisitoire à la réalité
De
Emmanuel Garnier
Editions Perrin
Notre recommandation
4/5

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Thème

On a peine à croire que l’immensité des sables mythiques de L’Escadron blanc de Joseph Peyré, de la Mauritanie de Psichari, des Méharées de Théodore Monod et même du film Fort Saganne soient devenus un unique théâtre d’opération pour les forcenés de l’islamisme mondialisé.  Et pourtant, c’est bien de ce Sahel-là qu’il est question dans ce livre -bien au-delà de la seule histoire-, venu à point nommé combler un vide.

Si le désert et l’expérience méhariste ont inspiré les solitudes, élevé les âmes, suscité de passionnants mémoires, la singulière expérience coloniale française d’un siècle, avant les indépendances africaines, n’avait pas livré une telle synthèse. Mission remplie.

Points forts

Dans la largeur de cet empire septentrional de l’Afrique, Emmanuel Garnier trouve ici matière à exploiter sa passion d’historien pour les risques naturels, militaires et sanitaires. Inspiré par Marc Bloch, il s’est appuyé sur le capital documentaire des militaires. Troupiers et médecins ont vécu la rude aventure quotidienne de la survie, de la soif, du vent de sable, des puits enfouis, des traces effacées, d’une nature hostile et sans pitié pour la faiblesse, l’imprudence ou les impasses. De ces archives administratives ingrates et routinières, Emmanuel Garnier a extrait et fondu, dans une belle langue à la fois sobre et riche, un minerai passionnant de faits, de savoirs, de techniques, de gestes humains pleins d’authenticité et de sincérité.

Sur un terrain dont l’étendue tend vers l’infini, « sur ordre », des poignées de « coloniaux » et leurs supplétifs ont su entreprendre la conquête, dessiner une mission, soigner les troupes et les populations et, in fine, établir une paix toute en équilibres subtils dans ces confins où le pillage, la guerre et l’esclavage régnaie.nt en maîtres. 

Sans indulgence pour certaines erreurs, Emmanuel Garnier décrit l’endurance, la lucidité, l’adaptabilité, l’intelligence des situations respectueuse des cultures, l’autonomie de l’œuvre sanitaire des médecins du « bout de la piste ». Loin des clichés primaires de l’anticolonialisme, elles ont été les recettes oubliées d’une aventure qui a fasciné les hommes blancs du désert, largement délivrés de la tutelle politique.  

Ces leçons de choses intemporelles inspireraient utilement les gouvernements africains en butte aux révoltes de leurs nomades comme les détachements occidentaux revenus y chasser le terrorisme.

Quelques réserves

Qu’il évoque le soleil de plomb du jour ou la fraîcheur étoilée de la nuit, l’historien ne s’éloigne pas de son sujet, de sa piste historique. Sans s’égarer dans le moralisme, la philosophie ou la contemplation, il vit ce désert habité par la trace des caravanes, la lueur des feux de nuit, l’histoire de ses rudes tribus. Les effets de la colonisation mêlés aux permanences millénaires suffisent à sa tâche et au plaisir du lecteur.

Encore un mot...

Eclairer, instruire, révéler un univers mystérieux, vide surtout des a priori et de l’ignorance, constituait un beau défi. Le présent serait moins bête s’il allait, comme l’auteur, à la source.

Voilà un livre bleu de ciel et ocre de sable, rouge de sang et de sacrifice, d’efforts et de patience, qui manquait. Presque un ouvrage de salut public, à qui, une fois refermé, on a envie de dire merci.

Une phrase

Ou plutôt deux:

- "La soif est une compagne fidèle et tenace du méhariste"

- "Puis le guerrier du désert se mue en une espèce d’érudit doté d’un savoir proprement encyclopédique."

L'auteur

Emmanuel Garnier est directeur de recherche au CNRS, professeur et chercheur universitaire invité à Cambridge, Genève et au MIT. Ses travaux portent sur l’histoire des risques naturels, militaires et sanitaires en Europe, en Asie et en Afrique.

Il avait préalablement publié trois ouvrages : Terre de conquête, les forêts vosgiennes sous l’Ancien régime (2004), Les dérangements du temps, 500 ans de chaud et froid en Europe (2010) et Genève face à la catastrophe, un retour d’expérience pour une meilleure résilience urbaine (2016).

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