Leon Battista Alberti le magicien de la Renaissance

Portrait d'un génie universel du Quattrocento dont on ignore tout... ou presque ! Cette biographie lui rend enfin justice !
De
Yann Kerlau
Albin Michel
Janvier 23
245 pages
22.90€
Notre recommandation
4/5

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Thème

Leon Battista Alberti (1404-1472) est un humaniste florentin qui n'a pas été publié de son vivant, en raison de l'absence d'imprimeurs à Florence et à Rome. Seuls quelques papes et aristocrates ont pu lire certains de ses quarante-cinq essais et traités, quand ils leur étaient dédiés. 

Ce sont donc, à l'époque, ses dons d'orateur, son sens de la polémique, ses traits d'esprit  et ses  talents d'architecte qui le firent connaître dans le cercle des humanistes, des mécènes et des  artistes italiens. 

 A sa mort, certaines de ses œuvres furent enfin imprimées.  Et il fallut attendre le XIXè siècle pour que des auteurs, en majorité français (dont Balzac et Michelet), se penchent plus attentivement sur ce personnage et ses écrits. Quant à l’historien italien Eugenio Garin (1909-2004), il le définissait comme "l'un des humanistes les plus éclairés de son temps". 

Alberti n'eut qu'un but dans la vie qu'il résumait en trois verbes  "comprendre, créer, partager" et de multiples passions : mathématiques,  astronomie, botanique, philosophie, histoire, sociologie politique et familiale, littérature, grammaire, art, archéologie, Antiquité, musique, cryptologie, et de façon plus personnelle, athlétisme et équitation.

Points forts

  • Yann Kerlau rend à Alberti, homme d'exception, la place qu'il mérite dans le monde intellectuel : "La profondeur de ses oeuvres, et le fait qu'elles n'aient jamais été publiées de son vivant, je l'ai vécu comme une souffrance insupportable pour quelque écrivain qu'il soit. Comment ne pas crier à l'injustice ?... Peu importe que sept siècles nous séparent de lui."
  • La présentation de la vie politique et intellectuelle à Florence et dans les Villes-États  avec leurs grandes familles usant de tyrannie, bannissement,  rivalités, course au pouvoir... est parfaitement décrite.
  • Un autre mérite de l'auteur est de rédiger une biographie peu conventionnelle : il ne se contente pas de raconter la vie du personnage mais, en insistant sur l'héritage de la pensée d'Alberti, il élargit ses réflexions à toutes les époques, de l'Antiquité à nos jours. Ce qui l'amène à se référer à de nombreux auteurs, Théophraste, Dante, Pétrarque, Boccace, Erasme, Kant, Camus, Yourcenar...et bien d'autres.  Et à dresser le portrait de bon nombre d'artistes, dont Léonard de Vinci, Jérôme Bosch,  Michel-Ange, pour n'en citer que quelques-uns, tant Yann Kerlau aime partager sa propre passion pour l'art.  
  • Les illustrations du cahier central sont bienvenues, montrant à la fois des peintures et quelques réalisations architecturales inspirées du traité d'Alberti l’Art d’édifier (son chef-d’œuvre).

Quelques réserves

Faut-il émettre une réserve sur le sous-titre "le magicien de la Renaissance" ? Le mot magicien a de nos jours une connotation différente, et ce mot, à l'époque de la Renaissance, sous-entendait bien autre chose, magie noire ou alchimie, auxquelles Alberti ne semble pas s’être intéressé. Interrogé sur ce mot “magicien” lors de sa conférence donnée au Cercle Interallié fin janvier 2023, Yann Kerlau maintient que le talent visionnaire d’Alberti, son ouverture au monde spirituel et à d’autres religions, notamment le bouddhisme, sa profondeur de vue sur “un horizon illimité”, son intérêt pour des mondes qu’il n’a pas connus, tel la Chine, “tout cela tient de la magie !”

Bien qu'Alberti soit décrit par Yann Kerlau comme "bel" homme, grand cavalier, agréable convive (son traité Propos de table en témoigne), le portrait dressé ici manque un peu de "chair". On ne retient d'Alberti que l'image qu'il voulait donner de lui-même : sérieux, intellectuel, réservé (sans doute par prudence dans le milieu violent de l’époque), et ne vivant isolé que pour les travaux de l'esprit. On éprouve néanmoins de la compassion pour cet homme dont le destin fut constamment douloureux dès qu’il apprit, à l’âge de 17 ans, qu’il était un enfant “illégitime”, un bâtard…

Encore un mot...

Il faut un courage certain pour engager, durant plus de 3 ans, des recherches sur un personnage méconnu dont les œuvres -immenses- étaient évidemment rédigées... en latin ou en toscan !  

On prend un grand plaisir à lire et relire les citations des auteurs judicieusement choisis, au fil des siècles. 

Tous, anciens, modernes et contemporains, contribuent à alimenter la réflexion personnelle de Yann Kerlau  sur notre société actuelle.  Ce n'est pas le moindre des intérêts de cette biographie.

Une phrase

"Le goût du mystère fut chez Léon Battista un trait dominant. Il l'accompagna durant toute sa vie, ne donnant aux autres que des informations limitées : son patronyme, son milieu, l'ancienneté de sa famille. S'agissant de ses oeuvres, elles resteront réservées à ceux auxquels il les dédiait". (p. 175)

L'auteur

Yann Kerlau, avocat international, a occupé de hautes fonctions dans des "Maisons" de l'industrie du luxe. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, certains à caractère historique (dont Cromwell la morale des seigneurs ; Les Aga Khans,  L'Insoumise, la véritable histoire de Jeanne la Folle) ;  d'autres centrés sur le monde du luxe et de la mode (Les Dynasties du luxe, Les Secrets de la mode, Pierre Bergé sous toutes les coutures). 

Yann Kerlau est un chroniqueur régulier de Culture-Tops depuis 2016. Toutes les chroniques qu'il a rédigées au fil des ans (une centaine) restent disponibles sur notre site.  

A lire également :
- L'insoumise

 

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