Les 100 premiers jours de Hitler

Le récit argumenté du ralliement d’une grande majorité des Allemands au Troisième Reich
De
Peter Fritzsche
Tallandier
Préfacier Johann Chapoutot
Traducteur Patrick Hersant
Parution le 4 mai 2023
442 pages
24,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

L’ouvrage est la traduction française d’un livre paru aux Etats-Unis en mars 2020. Après la description de la prise du pouvoir par Hitler, la démonstration plutôt convaincante du ralliement à celui-ci d’une grande majorité des Allemands, y compris de la plupart de ses opposants de début 1933, constitue la thèse centrale du livre.

La désignation de Hitler comme chancelier par le Président Hindenburg le 30 janvier 1933 n’était nullement inévitable. Aucune pression de la rue, comme la marche sur Rome des partisans de Mussolini en 1922, ne s’exerçait. Elle résulte du ralliement à Hitler de la droite nationaliste incarnée par Hugenberg et Von Papen, proches de Hindenburg, par haine de la République de Weimar qu’ils voulaient abattre à tout prix. Ils ont préféré cette solution à de nouvelles élections souhaitées par Hitler, après le recul de 4 points de 37 à 33 % du parti nazi aux élections de novembre 1932 par rapport à celles de juillet. Ce ralliement ne leur donnait qu’une majorité relative au Reichstag. Toutefois, depuis la fin de la grande coalition en mars 1930, les différents chanceliers de plus en plus à droite gouvernaient, avec des coalitions minoritaires, par décrets d’urgence autorisés par la Constitution de Weimar.

L’auteur décrit, à partir de nombreux exemples individuels, le lien bien connu entre l’explosion de la crise économique de 1929 et la montée du nazisme, au détriment des partis de la droite traditionnelle qui se sont effondrés. Apparemment, élément moins connu, Hitler était persuadé de gagner l’élection présidentielle de mars/avril 1932, qu’il a perdue par un écart de 17 points avec Hindenburg. 

La plupart des politiciens de la République de Weimar n’ont pas compris la signification de la désignation de Hitler comme chancelier. Ils ont cru, comme Kurt Schumacher, important dirigeant social-démocrate et futur chef du SPD après la guerre, que Hitler serait la marionnette de la droite traditionnelle dont c’était le plan initial. Après un simulacre de recherche de majorité, Hitler a demandé à Hindenburg, seulement trois jours après sa désignation, de dissoudre le Reichstag, la quatrième fois en deux ans et demi.

Dès la nuit du 30 janvier les SA défilent dans les rues de Berlin. Ils pénètrent dans le Berlin rouge tenu par les communistes du KPD. Un chef d’escadron SA et un policier démocrate qui l’accompagnait en service sont tués par balle. L’auteur ne sera jamais retrouvé. Les communistes seront accusés. L’incendie du Reichstag du 27 février 1933 constitue un autre événement inespéré en faveur de Hitler avant les élections du 5 mars 1933, tellement inespéré que des provocations des nazis eux-mêmes sont davantage probables que des actions communistes.

Hitler en profite immédiatement pour faire adopter le 28 février 1933 un décret-loi d’urgence qui limite considérablement les libertés publiques. Durant le mois de la campagne électorale, Hitler profite de sa position de chancelier pour utiliser de manière éhontée les moyens de l’appareil d'État au profit de son parti, discours radiophoniques et meetings gigantesques. Le résultat de cette élection manipulée donne 44 % des voix au parti Nazi, ce qui lui donne une courte majorité de 52 % avec ses alliés de la droite nationaliste. 

Dès les premiers jours qui suivent l'élection, les nazis agressent et emprisonnent leurs opposants de gauche, même élus, qui représentaient encore 37 % de l’électorat lors des dernières élections régulières de novembre 1932, leur interdisant toute activité politique locale. Les pleins pouvoirs à Hitler sont votés par le Reichstag le 23 mars 1933. La majorité requise des deux tiers est aisément atteinte avec l’exclusion des députés communistes. Seuls les sociaux-démocrates s’y sont opposés. Le ralliement du Zentrum catholique sous la promesse non tenue d’un concordat aurait également assuré cette majorité avec la présence des communistes.

Les ralliements des 48 % d’Allemands opposés à Hitler deviennent nombreux, notamment dans l'Église protestante. Le premier mai, fête du travail, rendu pour la première fois fériée, est un coup de génie de la propagande de Goebbels. Le ralliement de Heinrich George, un des plus célèbres acteurs de l’époque, proche des communistes est un énorme symbole. Il ira jusqu’à tourner dans le fameux film antisémite de 1940, Le Juif Süss. L’auteur décrit de nombreux témoignages personnels de ralliement dans toutes les couches de la société.

Le boycott actif des commerces juifs, organisé par les SA, démarre très vite. La loi du 7 avril 1933 pour la restauration de la fonction publique en exclut tous les Juifs. La définition de la judéité est particulièrement extensive. Il suffit d’avoir un seul grand-parent juif qui a été déclaré comme tel lors d’un acte de mariage ou de naissance. La société allemande, à l’antisémitisme larvé, n’est guère choquée. La loi du 7 avril 1933 est également utilisée pour exclure les Juifs de nombreux lieux publics, comme les piscines ou les bibliothèques. Les amitiés, même platoniques, entre juifs et non juifs sont stigmatisées publiquement. 

Les lois du 14 juillet 1933 sur les stérilisations conduiront à 400 000 stérilisations forcées entre 1934 et 1939. Les deux premiers camps de concentration sont créés dès mars 1933. Les deux référendums du 12 novembre 1933 adoptent à une écrasante majorité de plus de 90 % le recours à la liste électorale unique et la sortie de la Société des Nations, ponctuant la fin du cycle de la prise du pouvoir absolu.

L’ouvrage fait un long développement sur la perception de la montée de Hitler à l’extérieur de l’Allemagne en se concentrant surtout sur la France. L’auteur y voit la montée de l’antisémitisme et des partis fascistes. La conclusion fait un curieux parallèle entre les cent jours de Hitler, les cent jours de Napoléon, dans le cadre d’une pièce à succès jouée par Heinrich George, et les cent jours de Roosevelt.

Points forts

La principale qualité du livre est la description fine de l’évolution de la société allemande au travers de nombreux exemples et citations individuelles. La détermination et la capacité de manœuvre d' Hitler sont impressionnantes face à des adversaires et même des alliés qui l’ont gravement sous-estimé.

L'enchaînement des premières grandes lois et décisions de Hitler vers la prise du pouvoir absolu sont particulièrement bien décrites. La thèse du ralliement à Hitler de l’écrasante majorité du peuple allemand est solidement argumentée.

L’auteur démontre en creux que tout aurait pu se passer autrement sans l’aveugle complicité de la droite nationaliste et l’absence de volonté des autres partis de s’allier pour résister.

Quelques réserves

La quasi absence de l’épisode essentiel du vote des pleins pouvoirs à Hitler le 23 mars 1933 est difficilement compréhensible, notamment concernant le ralliement du Zentrum catholique.

Le chapitre concernant la France est discutable. Si la montée de l’antisémitisme est réelle, celle des partis fascistes est contestable. En effet l’auteur y place le Colonel de La Rocque et ses Croix-de-Feu, devenu le Parti Social Français. Il est aujourd’hui largement documenté par les historiens français de tout bord, et même par Robert Paxton, que ce courant politique était un parti conservateur et nationaliste traditionnel, respectueux de la légalité républicaine. De La Rocque n’était pas un antisémite et fut dès 1941 un résistant, arrêté en 1943 et déporté. Inexplicablement, une partie de l’historiographie anglo-saxonne continue de colporter cette légende noire.

Le livre est parfois verbeux, avec 50 à 100 pages en excès. En outre, sa structure pourrait être plus logique.

Encore un mot...

A l’heure de la montée des pouvoirs autoritaires ou populistes dans le monde d’aujourd’hui, il y a encore beaucoup à tirer de l’arrivée au pouvoir de Hitler qui n’aurait pas dû être irrésistible.

Ceux qui pourraient être tentés de leur servir de force d’appoint par aveuglement sectaire ou pour préserver l’existence de leur parti seront inexorablement dévorés. Ceux qui jouent la politique du pire ou qui pensent que ce ne sera qu’un mauvais moment à passer avant de revenir au pouvoir devraient méditer le sort de l’Allemagne en 1945, celui des opposants à Hitler, voire de ses alliés de circonstance.

Une phrase

  • « Les élections législatives du 5 mars 1933 ne sont pas libres, si ce terme recouvre la liberté de la presse et la liberté de réunion. La quasi-totalité des partis d’opposition, y compris le Parti catholique du centre, ont fait l’objet d’intimidations. » page 156
  • « Cette revalorisation de la liberté, de la solidarité et de la paix, au cours d’innombrables conversations entre Allemands, est un prodigieux effet des cent premiers jours du nazisme au pouvoir. » page 242
  • « La majorité s’accordait sur la nécessité de respecter les règles, et ce conformisme était soupesé, justifié, mis en œuvre par les citoyens ordinaires. Il n’y aurait eu ni consensus ni conformisme si les nationaux-socialistes n’avaient pas été en mesure de renforcer l’économie, ou du moins de s’attribuer les progrès réalisés dans ce domaine. » page 300
  • « Tout au long du Troisième Reich, la radio va imprégner le moindre aspect de la vie quotidienne. » page 335 
  • « La gestion du quotidien par les nazis offre une promesse de vie heureuse. » page 336

L'auteur

Peter Fritzsche est un historien universitaire américain, spécialiste de l’histoire allemande, particulièrement la période nazie. Il travaille également sur les questions comparatives de mémoire et d’identité dans l’Europe moderne. Il a écrit une dizaine de livres.

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