Ma vie avec Mauriac

En désirant la vie des autres, qu’attendons-nous ? Le reflet d’un miroir sans tain ou leur succession ?
De
Bernard Cazeneuve
Gallimard
Parution en mars 2023,
113 pages
16 euros
Notre recommandation
3/5

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Passionnés par la lecture et la célébrité, deux hommes ambitieux, l’un né en 1885, l’autre en 1963 seront tous deux connus mais à des degrés bien différents. Le premier est François Mauriac, brillantissime écrivain, poète et romancier appartenant à une famille de la haute bourgeoisie girondine, fortunée et contente d’elle-même. Le second, Bernard Cazeneuve, avocat, homme politique choisi comme premier ministre par François Hollande en 2016, publie en mars 2023 un livre sur François Mauriac. Quel est son but ? « J’ai cherché à dire combien sont singulières les ondes qui passent entre des êtres qui ne rencontreront jamais et dont on ne sait rien des liens qui auraient pu les unir, si les hasards de la vie les avaient placés sur le même chemin… J’avais sept ans en 1970 lorsque Mauriac est mort. » (p.9 de Ma vie avec Mauriac).

Ce singulier intérêt de Cazeneuve pour Mauriac fait renaître ce dernier à une époque où nombre de ses poésies, de ses romans et l’ensemble de ses œuvres étaient déjà un peu oubliés. A quel résultat voulait parvenir Bernard Cazeneuve ? Pas seulement à recréer le personnage de Mauriac mais à aller plus loin encore que Sartre ou ses ennemis qui, chacun à leur manière, s’étaient efforcés de dévoiler l’homme qu’il était réellement. Se refusant à l’attaquer ainsi, Cazeneuve voit en lui l’homme du clair-obscur, gardant ses secrets comme autant de pièges dans lesquels il ne tombera pas. Si le girondin catholique et fier de l’être le demeura jusqu’à sa mort, l’auteur de Ma vie avec Mauriac ne manqua pas de rappeler à ses lecteurs les raisons qui avaient poussé Mauriac à quitter Bordeaux pour vivre pleinement à Paris : « Dans le mouvement qui le poussa à s’arracher à son milieu pour rejoindre Paris, il y eut sans doute comme l’ultime manifestation de la révolte d’un être qui conquit, dans la douleur, le chemin de sa propre liberté …On découvrit alors que celui que l’on moquait parfois comme le plus régionaliste des écrivains était en quête permanente de cette part d’universel qui unit les êtres les uns aux autres, jusque dans le malheur et la noirceur de leurs destins » (p. 80) 

Points forts

Est-ce la politique ou la recherche d’un homme aussi discret et cultivé que Bernard Cazeneuve qui donne à Ma vie avec Mauriac ce ton subtil ? La conjugaison de deux talents, celui de l’ancien premier ministre et celui de l’écrivain François Mauriac est une réussite. Quelles en sont les parallèles ? Appartenant à une famille républicaine, laïque et déracinée, Bernard Cazeneuve a quitté l’Algérie dans les années soixante. Sa qualité d’homme politique a fait ses preuves sous François Hollande. Quant à François Mauriac, né dans une famille girondine fortunée, il deviendra très vite l’un des écrivains français les plus lus du vingtième siècle ; il sera nommé académicien en 1938 à l’âge de 53 ans. Son couronnement interviendra avec le prix Nobel de littérature qui lui est donné en 1952. 

Quelques réserves

Si la lenteur n’est pas absente de ce livre, l’auteur l’a pratiquée afin de n’être pas taxé de jalousie. 

Encore un mot...

S’attaquer à François Mauriac, décédé à l’âge de 85 ans, alors que l’on est sexagénaire en 2023 est audacieux quand on n’est encore ni académicien ni prix Nobel de littérature. Cazeneuve l’a fait avec une réelle mesure qu’aucun reproche de cet ordre ne pourra lui être opposé tant sa délicatesse est parfaite de la première page à la dernière de son livre.

Une phrase

  • « Fragment d’une rencontre : 
    J’avais sept ans lorsque Mauriac est mort…Mon enfance était solitaire et le monde me semblait hostile…La vie d’un autre, immense, rencontrait la mienne qui n’était qu’à son commencement. Ce tumulte faisait naître en moi un univers particulier …Lorsque la passion de la politique commença à s’emparer de moi, le Bloc-Notes devint une source inépuisable d’informations » (p. 9,10 et 11)
  • « L’unité d’une vie ne se décrète pas. Elle n’est pas œuvre de volonté. C’est au fil du temps, imperceptiblement, que les contradictions s’estompent et que la sagesse finit par nous mettre en paix avec nous-même. Dans ce processus complexe de construction de la personnalité, des événements servent parfois de détonateur. Ils peuvent avoir la cruauté d’un arrachement et revêtir la forme d’un deuil. » (p. 14) 
  • « Avec au cœur cette obsession de la vérité et ce refus de la concession médiocre, il (Mauriac) fait tomber les masques des pharisiens et s’en prend à la vanité d’un personnel politique devenu grotesque. Sans jamais se départir de cette ironie qui le fera redouter de ses cibles, il brosse des portraits peu flatteurs de parlementaires, de ministres et de chefs de parti, pour lesquels l’action publique s’accomplit dans un dérisoire théâtre d’ombres. » (p. 89)

L'auteur

Bernard Cazeneuve, avocat et homme politique français, fut Premier ministre de décembre 2016 à mai 2017 sous la présidence de François Hollande. 

Avant d’avoir été l’auteur de Ma vie avec Mauriac, Cazeneuve avait fait le portrait du général de Gaulle, de Mendès- France et de Mitterrand et a écrit de très nombreux livres dont, Le sens de notre nation (2022, Stock), À l'épreuve de la violence (2019), Chaque jour compte (2017, Stock), Karachi, l’enquête impossible (2011, Calmann Lévy), Première manche (1991). 

Quel est le point de vue de Bernard Cazeneuve sur les romans de François Mauriac?  

A l'âge de 9 ans, il dit avoir lu Le nœud de Vipères, puis 6 romans (L'Agneau,Thérèse Desqueyroux, Le mystère Frontenac, Génitrix, Les anges noirs). Cazeneuve semble n'avoir eu aucun attrait pour ses pièces de Théâtre "où ses personnages étrangement, peinaient à prendre leur envol."  Si la carrière de Mauriac se poursuit durant l'occupation de la Seconde Guerre mondiale, Bernard Cazeneuve ne manque pas de citer son point de vue dans Le cahier noir, puis dans Le baillon dénoué. Ce n'est pas un hasard si, dans son dernier chapitre Des arbres et des pierres, Bernard Cazeneuve conclut : "On aurait donc grand tort de vouloir séparer le romancier du chroniqueur et l'homme de lettres du journalisme. La singularité du regard que François Mauriac porte sur les personnages de ses romans, les jugements sans appel qui accablent parfois quelques-unes des figures les plus illustres de la IVème République, au fil des pages de son Bloc-Notes, puisent aux sources d'une seule et même inspiration, celle de l'écrivain cherchant à pénétrer tous les ressorts de l'âme humaine." (p.88)

Commentaires

François Duffour
mer 03/05/2023 - 08:55

L’auteur, Bernard Cazeneuve, n’évoque pas Mauriac pour se comparer à lui. Il ne s’y hasarderait pas. Il analyse son œuvre de manière aussi savante que subtile pour tenter de comprendre l’homme et circonscrire sa part de vérité.
Et sans doute , en ce sens, réfléchir à sa communauté de pensée avec un homme et un auteur qu’il n’a pas connu, sinon à travers ses livres, une communauté sincère qui défie le temps et les générations. Quel plus bel hommage rendre à un écrivain que d’exprimer combien son œuvre a touché un enfant né à deux générations de distance? De toute évidence et au-delà de l’appétit littéraire insatiable de l’auteur, sont goût pour Mauriac s’inspire de la vertu ou de la simple rigueur morale qui inspire les deux hommes, dépasse et transgresse leurs origines et fidélités respectives, un grand bourgeois chrétien et un fils du peuple baptisé sans autre perspective.
Un travail remarquable, exhaustif et sensible, au service d’un idéal humain, d’un magistère intellectuel et moral…
Si tous les hommes politiques pouvaient avoir encore cette hauteur de vue, le pays irait sans doute beaucoup mieux!

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