Mandela, une philosophie en actes

Un essai intéressant qui appelle néanmoins pas mal de réserves…
De
Jean-Paul Jouary
Livre de Poche - Inédit - 1ère édition novembre 2014
290 pages,
7.20 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

L'objectif n'est pas de retracer les étapes ou les événements jalonnant la vie de Mandela (1918-2013), mais de discerner les idées philosophiques et l'éthique qu'il a mises en actes tant durant ses vingt-sept années d'enfermement que durant les cinq années de sa présidence (élu en 1994). L'idée majeure est celle-ci : refuser la vengeance au profit de la "réconciliation", notion que Mandela a acquise dès l'enfance où se pratiquait dans sa tribu l'ubuntu, un principe invitant à privilégier, en toutes circonstances, l'intérêt commun sur celui de la seule individualité. Il s'agissait de sortir de l'apartheid pour reconstruire un avenir commun d'où ne seraient exclus ni les Blancs ni les Noirs ni les autres...

D'où le talent de Mandela à pratiquer l'écoute de l'autre et le dialogue, -dialogue qu'il place au coeur de sa pensée et de sa pratique aussi bien au bagne qu'au sommet de l'Etat ;  d'où sa création, avec l'évêque Desmond Tutu et les responsables de l'ANC, d'une Commission "Vérité et Réconciliation" ; d'où sa surprenante manière de rédiger une Constitution : "La Constitution de 1996 est incompréhensible, précise Jean-Paul Jouary, si l'on n'explore pas préalablement ce principe [de réconciliation]". De plus, l'auteur s'attache à développer la démarche de sagesse adoptée par Mandela : pour être pleinement ouvert aux autres, il est nécessaire de maîtriser pleinement sa propre vie intérieure : "Il découvre en prison que pour vaincre l'apartheid, il faut se vaincre soi-même".

 Sur le site Culture-Tops, on peut lire aussi 

https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/livres/les-lettres-de-prison

https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/livresbdmangas/johannesburg

Points forts

 - Que Mandela soit un homme d'exception, nul n'en disconvient, aussi est-ce avec curiosité et intérêt que l'on entame cet ouvrage sur la philosophie qui a inspiré sa résistance et son action.

 - L'auteur entend cerner la nouveauté de la pensée politique de Mandela qui, si on l'en croit, "a bâti une authentique théorie du dépassement de la barbarie sociale".  La parenté qu'il souligne avec la non-violence de Gandhi et les références aux grandes traditions philosophiques, antiques (Socrate, Aristote, Epicure) ou "modernes" (Hegel, Schiller, Sartre, et surtout Rousseau) sont bienvenues.

 - Comprendre le travail de cette fameuse Commission "Vérité et Réconciliation" qui a recueilli les témoignages des "victimes" et les récits des "bourreaux" au motif que l'expression des émotions et des sentiments rompra le cycle infernal de la haine. Si seulement la parole publique pouvait engendrer la résolution des conflits... On se prend à l'espérer !

- L'auteur bénéficie d'un avantage : bien connaître la philosophie politique de Karl Marx (il a lui-même appartenu au Parti communiste qu'il a quitté en 2000). Aussi tout le chapitre intitulé "Marxiste ?" expliquant pourquoi Mandela s'inspire de Marx sans pour autant se reconnaître communiste, est-il l'une des démonstrations les mieux réussies de son essai.

Quelques réserves

 - Plusieurs points gênent néanmoins le lecteur.

D'abord,  à vouloir à tout prix convaincre de la magnifique pensée de son sujet, le ton adopté devient proche de l'hagiographie, même si l'auteur prend soin d'expliquer (p.19) qu'il va "démystifier le grand homme et comprendre de quoi est faite sa grandeur".

De plus, bien qu'il s'agisse d'un détail d'écriture, les 150 premières pages (sur 285 p.) agacent par l'incessante répétition de phrases telles que "on verra" ou "on examinera" ou "on étudiera cela plus tard" (ou plus loin), "il faudra y revenir"... Une ou deux fois, ça passe ; trente ou quarante fois finit par lasser.

 - Autre point gênant : l'auteur laisse clairement percevoir ses positions politiques personnelles :  la démocratie représentative où le peuple est dépossédé de son droit à la parole (sauf occasionnellement) ne peut rien engendrer de bon hormis inégalités, égoïsme et individualisme. La vie tribale communautaire lui paraît bien supérieure à "l'individualisme forcené du capitalisme", tant les "traditions locales sont éminemment civilisées".

 On ne s'attend évidemment pas à ce qu'il défende l'Apartheid (indéfendable), mais il semble, à le lire, que les Blancs n'aient rien apporté que violences, spoliations, meurtres et autres méfaits "monstrueux" (le mot est employé à plusieurs reprises). De même que (p. 155) "les coloniaux" en Indochine, à Madagascar et en Algérie, n'auraient perpétré que massacres "à grande échelle" !  N'est-ce pas relire l'Histoire, en mettant un peu vite tous les Blancs du mauvais côté, comme s'il n'existait que des gentils de l'autre côté  ?

 - On aurait aimé un peu plus de précisions historiques sur l'ANC (African National Congress) : l'auteur sous-entend a priori que son lecteur connaît ce parti politique, son idéologie et ses vicissitudes. 

 -  On ne trouve aucune évocation de la situation actuelle. Puisque Mandela a établi une nouvelle Constitution en 1996, quels fruits a-t-elle portés près de vingt ans plus tard ? Il suffit de lire la presse ou mieux encore les articles de Bernard Lugan, spécialiste de l'Afrique du Sud, pour constater que les conflits tribaux et émeutes xénophobes ont repris toute leur vigueur, que l'économie est en panne, le chômage et la pauvreté au plus haut, etc... La prometteuse innovation de Mandela ne serait-elle finalement qu'une  utopie ? L'auteur n'interroge jamais la réalité d'aujourd'hui. 

- Surprenant chapitre que le dernier (mais est-ce un "point faible ou fort" ?) : lister les points communs entre Mandela et le pape François : mêmes démarches envers les laissés-pour compte, mêmes reproches envers le capitalisme financier, même volonté de dialogue et de réconciliation, même sens de la communication par des actes porteurs de sens…  

Encore un mot...

Sans partager toutes les opinions de l'auteur, on peut lire cet essai  avec attention et intérêt, malgré les réserves.  

Une phrase

Belle explication du "dialogue" façon Mandela (p.230 et suiv.)
"Même si l'on a la certitude d'être dans le vrai, pour dialoguer vraiment, il faut considérer que plus personne n'a raison, abandonner cette prétention, sans quoi il n'y a plus dialogue mais effort pour vaincre l'autre, lui faire admettre sa défaite"... Socrate ne disait rien d'autre.

L'auteur

Agrégé et docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires (professeur de chaire supérieure),auteur de plusieurs ouvrages de philosophie politique et philosophie des sciences : L'art de prendre son temps, essai de philosophie politique, Philosopher, et si c'était facile ? Je vote donc je pense...etc. Il s'intéresse également à l'art paléolithique. On lui doit des études comme Rousseau citoyen du futur, plusieurs essais sur Diderot dont Diderot face à Galilée et Descartes, ainsi qu'une pièce de théâtre : la Sagesse du chien (sur le cynisme).

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