
Marseille 1940. Quand la littérature s’évade
Parution le 5 février 2025
496 pages
28 €
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Thème
On peine à imaginer aujourd’hui, dans un pays libéral et démocratique, les mesures prises par le gouvernement français pendant les journées tragiques de 1940, pour restreindre les libertés publiques. Les étrangers ont été les premières victimes de ces mesures liberticides, puisque tous les ressortissants des pays ennemis, l’Allemagne, l’Autriche, même annexée par le Reich, ont été privés de la liberté élémentaire d’aller et de venir, internés dans des camps, interdits de quitter le territoire français. Ces dispositions s’appliquaient sans considération des personnes en cause, aussi bien aux Allemands loyaux au troisième Reich, qu’à ceux qui avaient tout à redouter du régime nazi, les Juifs, les socialistes, les écrivains antifascistes…
Uwe Wittstock relate le destin de ces artistes, pris dans une nasse administrative, sous la menace d’être livré à la Gestapo, qui tentaient par tous les moyens de fuir. Il s’attache au rôle joué par Varian Fry, un journaliste américain dévoué à la cause qui, de Marseille, monta des filières d’évasion et sauva la vie de centaines de personnes, de Heinrich Mann, le frère de Thomas Mann, à Hannah Arendt, Max Ernst ou André Breton.
Points forts
On retrouve la patte du journaliste dans cette évocation kaléidoscopique de la fuite éperdue de ces intellectuels. C’est vivant: le lecteur saute de l’un à l’autre, avant de revenir au premier… C’est très bien informé; Wittstock fournit une multitude de détails sur la vie de ses personnages, puisés aux meilleures sources. Il campe certains fuyards dans le flot qui inonde les routes de France en mai-juin 1940, ou dans les camps d’internement mis en place par le gouvernement de la République, comme le fameux camp des Milles, ou sur les sentiers qui traversent les Pyrénées.
Marseille, dans la chaleur étouffante de l’été 1940, puis l’extrême fraîcheur des hivers subséquents, est le décor de l’activité inépuisable de Varian Fry, le personnage central du livre. Journaliste, il lève de l’argent aux Etats Unis afin de financer ses efforts destinés à mettre toutes ces célébrités à l’abri outre atlantique. Wittstock décrit bien la difficulté de la tâche, puisque les gouvernements, tant français qu’américain, multiplient les obstacles pour l’empêcher de mener son programme humanitaire à bien. Le Département d’État se montre inflexible, malgré le soutien d’Eleanor Roosevelt, l’épouse du président américain, à Fry et à son équipe.
Le lecteur ne peut manquer de ressentir honte et tristesse devant l’attitude du Gouvernement français qui manifeste au moins autant d’insensibilité. S'agissait-il de l’application ordinaire d’une routine administrative sans conscience ou d’une lâcheté devant la perspective de confrontation avec la Gestapo? N’est pas Jean Moulin qui veut!
Quelques réserves
On peut être agacé par ce morcellement de l’histoire en des historiettes individuelles qui s’entrecroisent en permanence. Le lecteur a parfois du mal à suivre, d’autant que tous les écrivains, par exemple, pour célèbres qu’ils fussent à l’époque n’ont pas laissé de traces marquantes dans la mémoire littéraire des lecteurs français: Werfel, Mehring, Feuchtwanger…
Encore un mot...
On peut lire Marseille 1940. Quand la littérature s’évade comme un roman, et avec autant de plaisir et de suspens, cette évocation d’une période trouble de la République qui, dès avant la confiscation du pouvoir par Vichy, trahit ces exilés politiques qui ont cru dans sa protectio
Une phrase
« Marseille, mi-août 1940.
Deux mois. Feuchtwanger n’a passé que deux mois dans les camps où d’autres réfugiés sont retenus depuis bientôt un an. Le 21 mai, il est descendu du taxi devant la porte des Milles, le 21 juillet, près de Saint-Nicolas, il s’est laissé tomber sur la banquette arrière de la voiture de Miles Standish. Une période qu’il a tenté de supporter stoïquement. Mais l’état catastrophique des latrines, la crasse et la peur permanente de la Gestapo l’ont conduit au bord de la dépression nerveuse. Il a vu mourir Walter Hasenclever, s’est retrouvé dans des wagons à bestiaux pleins à craquer jusqu'à ce que les oedèmes transforment ses jambes en saucisses, et il a survécu à la dysenterie. » Page 194
L'auteur
On retiendra que, journaliste et historien, Uwe Wittstock, né en Allemagne en 1955, a publié quelques ouvrages sur la période, notamment Février 1933. L’hiver de la littérature (Seuil, 2023) qui analyse la prise de pouvoir par les nazis vue par les intellectuels et les artistes de l’époque. Il fut le correspondant du journal Die Welt à Paris. Il a la réputation de veiller scrupuleusement à l’exactitude des faits, ce que l’on retrouve dans Marseille 1940. Quand la littérature s’évade.
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