Maurice Barrès le grand inconnu 1862-1923
Parution le 20 avril 2023
686 pages
27 €
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L’auteur analyse d’abord l’œuvre de Barrès dans son intégralité. La place de la mère Claire est telle qu’à sa mort en 1901, Barrès décide de ne pas se présenter aux élections législatives de 1902, la seule fois entre sa première élection en 1889 et sa mort en 1923. La conquête de Paris par le jeune lorrain, à 22 ans à partir de 1884 est impressionnante. A partir de sa revue éphémère Les Taches d'encre, Barrès a immédiatement accès à des écrivains qui comptent, Mallarmé, Huysmans, Bourget, France, Goncourt, Moréas. Il devient un journaliste en vue qui déjà vit correctement de sa plume, impertinent et provocateur, comme en témoigne sa préface de 1889 au roman sulfureux de Rachilde Monsieur Vénus.
A 27 ans Barrès mène de front avec succès sa carrière journalistique, littéraire avec la publication des deux premiers romans de la trilogie du Culte du moi, Sous l’œil des barbares en 1888 et Un homme libre en 1889 qui deviennent la bible de toute une génération, et politique avec son élection comme député boulangiste de Nancy en 1889. L’auteur considère à raison que Le Jardin de Bérénice, troisième roman de la trilogie paru en 1891 est un chef d’œuvre dont l’écriture est saluée par Paul Valéry peu suspect de sympathie pour Barrès. L’auteur défend également le roman L'ennemi des lois publié en 1893, complètement oublié aujourd’hui, et l’essai Du sang, de la volupté et de la mort publié en 1894 et contenant de magnifiques pages sur l’Espagne et l’Italie.
A cette date on entre dans la période antisémite de Barrès qui s’achève en 1906 avec l’acquittement et la réhabilitation de Dreyfus que Barrès accepte, à la différence de nombre des autres membres de la Ligue de la Patrie Française. A l’origine, pendant sa période boulangiste, l’antisémitisme de Barrès est de gauche, économique et social, comme celui de Proudhon, Fourier et son disciple Toussenel, trop occulté aujourd’hui. L’affaire Dreyfus le fait basculer dans un antisémitisme nationaliste au nom de la défense de l’Armée et de l’Eglise. C’est la période de la trilogie du Roman de l’énergie nationale publiée au pic de l’affaire Dreyfus entre 1897 et 1902. L’auteur avec Aragon considère que c’est le premier cycle romanesque authentiquement politique, pourtant bien oublié aujourd’hui, dont il voit le premier tome Les Déracinés comme un chef-d'œuvre.
En réalité l’antisémitisme de Barrès pendant l’affaire Dreyfus est de circonstance et d’opportunité politique et non systémique comme celui d’Edouard Drumont, de Lucien Daudet et de Jules Soury. Cela ne le rend pas moins inexcusable mais explique comment Barrès a pu en sortir. Il ne faut pas oublier que la moitié des écrivains, des peintres et des musiciens de l’époque étaient antisémites. Au fond de lui-même Barrès n’est pas certain de la culpabilité de Dreyfus, mais dans le doute, la défense de l’Armée l’emporte.
L’auteur nous fait redécouvrir l'essai Amori et dolori sacrum. La mort de Venise publié en 1903, avec ses pages superbes sur Venise. Il réhabilite également Colette Baudoche, deuxième tome de la trilogie des Bastions de l’Est, publié en 1909, récit de l’amour impossible et refusé d’une jeune fille de Metz pour un Allemand respectable qui a probablement inspiré Le Silence de la Mer de Vercors. Après l’élection à l’Académie française en 1906 vient alors le temps des chefs-d'œuvre éblouissants La Colline inspirée et Un Jardin sur l’Oronte publiés respectivement en 1913 et en 1922.
L’auteur fournit également des éléments biographiques peu connus sur Barrès. Ainsi son amitié amoureuse avec Anna de Noailles de 1902 à 1908, qui après le divorce d’Anna en 1917 est un élément important. Il est probable qu’ils furent amants, sans que cela soit certain. La rupture du fait de Barrès est mal vécue par Anna qui se venge en marivaudant avec le neveu très prometteur de Barrès, Charles Demange, qui fou d’un amour non partagé, se suicide en 1909 à 25 ans.
L’activité politique de Barrès n’est pas l’objet principal du livre. Il comprend néanmoins quelques notations intéressantes moins connues. Ainsi après l’élection de 1889, Barrès échoue quatre fois de suite, mais de très peu de 45 à un peu plus de 200 voix. Le troisième échec est le plus paradoxal. Il a lieu à Nancy en 1898 en pleine affaire Dreyfus. Barrès est battu de 230 voix par un radical antisémite, Gervaise, qui avait reçu le soutien de la Ligue Antisémite de Jules Guérin et Edouard Drumont. Pourtant Barrès ne se décourage pas. Il est élu triomphalement à la cinquième tentative en 1906 à Paris dans la circonscription des Halles et sera réélu constamment jusqu’à sa mort en décembre 1923.
Points forts
L’érudition de l’auteur et sa finesse d’analyse sur Barrès sont éblouissantes. Il vit avec Barrès depuis qu’il a entendu son professeur de Khâgne lire en classe en 1984 un passage de Un Jardin sur l’Oronte. Il renouvelle la vision de Barrès et rend bien compte de la complexité de sa pensée et de sa personnalité.
Quelques réserves
Aucune réserve. Emmanuel Godo a incontestablement écrit le livre de référence sur Barrès qui donne envie de le lire ou le relire, y compris ses ouvrages les plus oubliés.
Encore un mot...
Il est incompréhensible qu’un écrivain de l’importance et de la qualité de Barrès, qui a influencé plusieurs générations d’écrivains, soit presque oublié aujourd’hui. Il est réduit à sa caricature de nationaliste étroit et antisémite qui ne correspond pas à la réalité. Son style magnifique a inspiré celui du Général de Gaulle dans les Mémoires de Guerre et aussi celui de François Mitterrand qu’on voit lire un extrait de La Colline Inspirée dans une archive de l’INA de 1970. Barrès est un des rares écrivains capables de penser contre lui-même, qualité rare.
Le pire pour un écrivain est de ne plus être lu. Il y a pire pour Barrès, présenté par l’historien israélien Zeev Sternhell comme l’inspirateur du fascisme, thèse contestée par la quasi-totalité des historiens français. Le patriotisme impeccable de son fils Philippe, héros de la Grande Guerre, rallié de la première heure à la France Libre, et de son petit fils Claude, héros de la Résistance à 17 ans, capitaine courageux tué en 1959 en Algérie, témoignent de l’inanité d’une telle thèse qui continue de hanter les ouvrages sur la France de l’historiographie anglo-saxonne.
Devant une telle injustice, c’est le devoir des éditions Gallimard de publier les œuvres de Maurice Barrès dans la Pléiade. Il est le seul écrivain important de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, avec Pierre Loti à ne pas figurer dans cette collection. Emmanuel Godo est l’universitaire tout trouvé pour diriger cette future publication.
Enfin pour les bibliophiles, toutes les œuvres importantes de Barrès ont été magnifiquement illustrées à tout petit tirage, par de superbes peintres et graveurs dans les années 1920/1930, Le Jardin de Bérénice par Malo Renault, Du sang, de la volupté et de la mort par Decaris, La Mort de Venise par Maurice Denis, Greco, le secret de Tolède par Brouet, La Colline Inspirée par Jacquemin et Paul-Emile Colin, Un Jardin sur l’Oronte par Hermine David, Othon Friesz et Sureda.
Une phrase
- « Oui, il y a de l’idéologie chez Barrès, et de l’idéologie datée ; elle est le fruit d’un constant souci de théoriser, mais jamais d’un désir d’endoctriner, au sens asservissant du terme. » page 12
- « Le nationalisme barrésien, répétons-le, n’est pas un système, mais un état d’esprit. » page 248
- « Barrès est tout sauf l’homme d’un système, et ceux qui lui reprochent son nationalisme, son antisémitisme biologique, son supposé crypto-fascisme, soit ne l’ont pas lu, soit ne l’ont pas lu jusqu‘au bout, soit sont eux-mêmes enfermés dans une systématicité qui les rend incapables de décrire les porte-à-faux barrésiens, son équilibrisme en constante relance, sa liberté géniale, sa grâce, sa poésie. » page 592
L'auteur
Emmanuel Godo est professeur de littérature en Khâgne au Lycée Henri IV. Il enseigne également à l’Université Catholique de Lille. Il est un spécialiste de Barrès auquel il a consacré sa thèse en 1995 sur Barrès et Venise. Il est poète, écrivain et essayiste. Il a écrit plus d’une vingtaine de livres. Il a écrit notamment des essais sur Victor Hugo, Claudel, Sartre, Huysmans, Nerval, Musset et Léon Bloy aux éditions du Cerf.
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