Okhrana, La police secrète des tsars,1883-1917

Une histoire détaillée d’une organisation peu connue. Un livre qui fera date sur le sujet
De
Alexandre Sumpf
Le Cerf
Paru septembre 2022
444 pages
24€
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’auteur décrit l’activité de l’Okhrana et de son bureau de l’étranger, l’Okhranka, localisé à Paris. Cette police secrète des tsars a été créée en 1883 à la suite de l’assassinat du tsar réformateur Alexandre II en mars 1881, après 11 tentatives infructueuses.

Initialement destinée à protéger la monarchie, l’Okhrana s’est transformée en un système de surveillance généralisée : 1,4 million de fiches individuelles en 1907. Les personnes jugées dangereuses étaient reléguées dans des provinces lointaines. Les activistes les plus dangereux étaient déportés en Sibérie, souvent condamnés au travail forcé. Pour échapper à la condamnation certains se voyaient proposer de devenir des agents infiltrés dans les organisations révolutionnaires en Russie et à l’étranger. L’infiltration et le faux, comme le fameux « Protocole des Sages de Sion », forgerie antisémite à son apogée de popularité entre les deux guerres mondiales, sont les spécialités de l’Okhrana.

Malgré des moyens importants l’Okhrana est l’histoire d’un échec. Elle n’a pu empêcher ni la fin du tsarisme ni l’assassinat de ministres russes importants. Le Ministre de l’Intérieur Plehve a été assassiné en 1904 par la branche terroriste du parti des Socialistes Révolutionnaires (SR), pourtant dirigée par Azev, le plus fameux agent infiltré. Le Premier Ministre Stolypine a été également assassiné en 1911 par un agent double qui avait la confiance de la police secrète.

Points forts

L’auteur a dépouillé un monceau d’archives en Russie, en France et aux Etats –Unis. Il en résulte incontestablement un ouvrage de référence sur une organisation peu connue et encore moins étudiée. La description est minutieuse. Le fonctionnement de l’Okhranka à Paris est dépeint avec un grand luxe de détails, avec l’objectif principal de surveillance et de contrôle des opposants exilés, en général révolutionnaires. Ses dirigeants, ses membres, qu’ils soient fonctionnaires russes, agents infiltrés ou même anciens policiers français, sont recensés de manière quasi exhaustive.

L’activité de l’Okhrana est bien mise en perspective dans le contexte des relations franco-russes de l’époque, avec l’alliance bilatérale lancée en 1892 et ratifiée par le dernier tsar, Nicolas II, en 1896. De ce fait une coopération paradoxale, mais logique s’est développée entre l’Okhranka et la Sûreté générale française. Dans ce contexte, le rôle de la presse française, souvent vénale, est bien mis en valeur. 

Le livre offre un angle inattendu sur la contre police des opposants au régime tsariste. Ainsi son chef Bourtsev a été actif dans toute l’Europe et a réduit l’efficacité de l’Okhranka. En particulier il a démasqué Azev. Ne pouvant s’entendre avec les bolcheviks, il a fui la Russie après la révolution.

Enfin la continuité avec la Tchéka, la première police politique bolchevique, beaucoup plus sauvage, est bien mise en valeur.

Quelques réserves

L’accumulation de noms, parfois subalternes, rend la lecture un peu fastidieuse. C’est la rançon du caractère universitaire du livre. On a parfois l’impression que l’auteur veut prouver qu’il a bien dépouillé les dizaines de milliers de pages d’archives auxquelles il fait référence dans son excellente bibliographie.

On regrettera le peu de place accordée à la manipulation et à la désinformation, comme le « Protocole des Sages de Sion ».

Un index des noms propres aurait été bienvenu.

Encore un mot...

Le livre d'Alexandre Sumpf est très bon. Il fera date sur le sujet. Il reste à voir si le grand public est capable de s’intéresser à un ouvrage presque universitaire.

Un des grands mérites de la conclusion du livre est de montrer la continuité de l’appareil de répression tsariste avec le soviétique encore plus brutal.

L’empire de la servilité et du mensonge décrit brillamment par le marquis de Custine dans « La Russie en 1839 » sous le tsar absolutiste Nicolas I, le seul dont le portrait orne le bureau du Président Poutine, est finalement d’une grande continuité jusqu’à aujourd’hui. La période de l’Okhrana n’en est qu’un des épisodes.

Une phrase

« La structuration toujours plus poussée des révolutionnaires exige la professionnalisation de la police politique, qui doit développer de nouvelles méthodes et former ses agents » page 42

« Un gigantesque fichier de 1400 tiroirs classé par ordre alphabétique offre environ 1,5 million de fiches en 1907 » page 53

« La collaboration discrète entre les polices se poursuit au gré des besoins… » page 151

« Cinq ans après l’épilogue de l’affaire Dreyfus, ici semblent à nouveau se coaliser l’antisémitisme patriotique et religieux de droite, et l’antisémitisme économique de gauche, dans la dénonciation d’un ennemi commun aux deux nations : le révolutionnaire juif, donc profiteur cosmopolite parlant allemand… » page 222

« Inutile de débattre pour savoir qui de l’Okhrana ou de la Tcheka, a été l’organisation la plus impitoyable, arbitraire et terroriste. La violence bolchevique pendant la guerre civile, puis stalinienne pendant la Grande Terreur suffisent à elles seules pour clore la discussion » page 402

L'auteur

Normalien de la rue d’Ulm, agrégé et docteur en histoire Alexandre Sumpf est un jeune spécialiste de l’histoire de la Russie et de l’URSS depuis le milieu du XIXème siècle. Il est déjà l’auteur d’une dizaine de livres dont La Grande Guerre oubliée 1914-1918  en 2014 et une biographie de Raspoutine en 2016. Il s’intéresse également beaucoup au cinéma dans sa relation à l’histoire.

Nul doute que son histoire de l’Okhrana va accroître sa réputation dans son domaine, peut-être davantage dans la communauté des historiens que dans le grand public.

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