Opération Déluge d'Al-Aqsa: la défaite du vainqueur

Touffu, brouillon et souvent à charge, ce gros essai n'éclaire guère le conflit Israël/Palestine ravivé à Gaza le 7 octobre 2023 par le Hamas
De
Jacques Baud
Max Milo
Parution le 13 mars 2024
464 pages
24,90 €
Notre recommandation
2/5

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Thème

Brossée par le propos introductif de l'auteur, l'intention de ce livre paraît très ambitieuse : inscrire l'attaque militaire conduite le 7 octobre 2023 par le Hamas au sud d'Israël, dans le prolongement des quelques 94 résolutions de l'ONU « condamnant Israël », depuis 1948 jusqu'à ce jour (citées en annexe 2, pp. 439-457). En une vingtaine de pages articulées autour de deux importantes résolutions de l'ONU, le premier chapitre résume « la question palestinienne » (sur ce sujet, je renvoie à l'excellent essai de Philippe Simonnot : Le siècle Balfour, 1917-2017, P.-G. De Roux, Paris (2018) ; et à ma recension in :Communication, n° 37, nov. 2019) : la résolution n°181 de novembre 1947 prévoyait déjà la partition de la Palestine en deux Etats, Israël & Palestine, ainsi qu'un statut international pour Jérusalem ; et celle qui suivit la « Guerre des six jours » de juin 1967 (résolution n°242) demandait le retrait des troupes israéliennes ainsi que la fin des hostilités et des revendications territoriales. 

Les deux chapitres suivants rappellent - d'une façon partiale, critique d'Israël et plutôt favorable aux requêtes palestiniennes - au chapitre 2, la politique d'occupation et de colonisation de l’État d'Israël qu'un rapport commandité par l'ONU qualifia en 2017 comme « un régime d'apartheid » (sic, p. 53) ; puis, au chapitre 3, que ni le renseignement ni la doctrine israélienne ne furent jusqu'à présent en mesure de comprendre ni de contrer efficacement la « résistance palestinienne ».

Long d'une centaine de pages, le chapitre 4 décrit la situation politique et militaire de la bande de Gaza ainsi que la nébuleuse de sa « résistance » qui est composée de très nombreuses brigades sunnites, chiites et même soi-disant séculières. Toutes ces factions armées affichent une bannière islamique ; constituées de clans opposés, elles sont surtout très concurrentes entre elles!

Traitées aux chapitres 5 & 6, l'attaque du Hamas et la riposte d'Israël sont largement commentées au long de ces 150 pages avec beaucoup (parfois trop) de détails. On note en passant qu'un fascicule du 24 janvier 2024 (16 pages conçues par le Hamas) baptisa ex post l'opération du 7 octobre 2023 « Déluge d'Al Aqsa » - titre choisi pour ce livre - et la décrivit comme une réponse à l'expansion des colonies juives et comme une réplique au projet orthodoxe de remplacer la mosquée du troisième lieu saint de l'islam par « un troisième temple de Jérusalem » (pp. 215-216) ! Les cent pages suivantes (chapitre 6) analysent et commentent les « réactions inutilement brutales », voire génocidaires, du gouvernement israélien (pp. 323 sq). 

Depuis le 7 octobre 2023, J. Baud estime que les opérations militaires israéliennes, surnommées « épée de fer », furent chaotiques, déficientes, contre-productives et surtout contraires au droit international. Impliqué lui-même dans l'administration de l'ONU, l'auteur regrette évidemment (p. 356 sq.) que la vingtaine de pays qui contribuent très inégalement depuis 1949, à l'office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (acronyme anglais : UN-RWA) aient suspendu leur soutien à cet organisme en fin janvier 2024, en raison de sa forte imbrication avec le Hamas (Les États-unis et la France, à parité, comme l'Allemagne et la Suisse, aussi à parité, financent l'essentiel de cet office de l'ONU (tableau p. 361).

Les trois derniers chapitres de ce livre reviennent enfin sur la politique extérieure de l’État d'Israël, regrettant la « trop faible implication » de l'Europe communautaire au Proche-Orient ainsi que les « hésitations » (sic) du monde arabe sur ce délicat dossier. L'auteur égratigne enfin la diplomatie des Etats-unis et celle des autres pays occidentaux qui soutiennent Israël depuis sa création, au détriment du peuple palestinien, dit-il. Et il conclut, sans surprise : « pourquoi nous trompons-nous si souvent », en Israël comme en Ukraine (p. 426) ?

Points forts

L'auteur exploite une abondante documentation, manifestement rassemblée depuis des années à l'occasion des missions qui lui ont été confiées dans le cadre des Nations unies, tant au siège de New York qu'à l'occasion d'opérations (dites :« de maintien de la paix ») en Afrique, au Proche Orient et en Europe de l'est. Pour ce qui concerne la phase actuelle du conflit israélo-palestinien, il exploite beaucoup de médias d'actualité et de communiqués officiels. Les très nombreuses notes de bas de page font référence à des sites internet de langue anglaise, la plupart édités aux Etats-unis ou en Israël, ainsi qu'à l'administration des Nations unies. 

Quelques réserves

Apparemment rédigé très vite, ce gros ouvrage s'encombre d'anecdotes: détail des insignes portés par de multiples factions islamistes, commentaires décousus des tactiques de terrain, images et croquis d'équipements, d'armes de combat ou d'observation etc. Tout cela encombre le texte sans vraiment éclairer le conflit qui mine la Palestine depuis plus d'un siècle. Trop d'illustrations et d'inserts, issus probablement de rapports d'études auxquels l'auteur a contribué ou qu'il a pu compulser, ne permettent pas au lecteur de former son jugement ni d'interpréter la situation de cette région du monde agitée depuis des générations par des troubles permanents.

L'Orient est bien plus compliqué que ne l'imaginent les Occidentaux rationnels : les dizaines d’incidentes qui encombrent ce livre, parsemé de redites, d'aller-retour historiques et d'avis péremptoires (laudatifs des rebelles et des Nations unies, critiques des Occidentaux) accentuent son tour polémique et nuit à sa lisibilité. L'auteur compile beaucoup, affirme souvent, n'exprimer guère de doute : pense-t-il ainsi calmer la grande guerre de religion qui déchire le Proche-Orient ?

Encore un mot...

Contrairement à ce que prétend son auteur, ce livre embrouille plus le conflit palestinien qu'il n'en prépare l'issue ; c'est donc une occasion manquée !

Une phrase

[Trempée dans le vinaigre, une accusation qui ne manque pas de sel :] « Autrefois, nous pouvions aller massacrer des indigènes à l'autre bout du monde ... aujourd’hui ... notre société éprouve de la compassion pour ces indigènes … en décalage croissant avec des élites qui nous gouvernent … qui ne sont jamais sorties du sol national » ! Page 401

L'auteur

Né en 1955, Jacques Baud est un citoyen helvétique. Il fut membre de l'Armée suisse et plusieurs fois chargé de mission par des organismes onusiens comme le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR,) en Afrique, notamment. Auteur prolifique depuis plus de vingt ans, J. Baud a publié plusieurs essais récents chez Max Milo, touchant à la Russie, à l'Ukraine, au renseignement, aux conflits asymétriques » et aux fausses nouvelles. Personnage clivant, il fut qualifié par un journal romand comme : « Le plus bavard des espions suisses » (Le Matin, 13 mars 2003) ; il est parfois taxé d'une sympathie marquée pour les pouvoirs russe et syrien actuels ! 

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