Paris criminel, 1572

La Saint-Barthélemy, un pogrom de son temps. Un récit exigeant mais passionnant
De
Denis Crouzet
Les Belles Lettres
Parution le 4 octobre 2024
368 pages
25 euros
Notre recommandation
4/5

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Thème

Denis Crouzet revisite le massacre de la Saint-Barthélemy. L’édit de pacification de 1570 a débouché sur une paix religieuse précaire. Coligny est de retour à la cour. La faction catholique critique le libéralisme religieux du Roi. Les huguenots poussent pour une intervention aux Pays-Bas quand Philippe II d’Espagne engage le royaume à lutter contre les hérétiques. Le mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois est censé sceller la réconciliation. Pour se prémunir d’une tentative sécessionniste après l’attentat contre Coligny, Charles IX décide de l’élimination de l’amiral et des chefs huguenots.

Paris bascule dans la violence totale quand le peuple, convaincu de l’existence d’un commandement royal d’élimination des protestants, entre en scène. On relèvera 7 000 morts, la plupart atrocement massacrés. Le terreau de ce massacre est multiforme. S’y mêlent l’existence d’une culture criminelle dans le royaume, un esprit de vendetta qui anime les Guise et Coligny et un historique de pulsions violentes chez les Médicis. Mais on trouve également une composante biblique. La Saint-Barthélemy, c’est un massacre légitime conduit par la providence divine, une théophanie ou la transcription gestuelle de l’élimination des adorateurs du Veau d’or.

Quelle est la nature de la tuerie ? Pas un vicinicide ou massacre de proximité où une minorité, qui aurait d’abord ciblé les capitaines huguenots, aurait embarqué le peuple qui aurait entendu la voix de Dieu et celle du Roi. Non, la Saint-Barthélemy est un pogrom, soutient l’auteur, un massacre populaire dans un cadre pensé comme licite, une purification collective où les calvinistes sont les juifs meurtriers du Christ, des Satan. Les tueries nazies de Lviv en 1941 ou celles des Tutsis en 1994 s’inscrivent dans le prolongement du crime collectif de 1572. 

Points forts

Paris criminel 1572 est un ouvrage d’historien dense et savant, une somme passionnante. L’auteur multiplie les approches sur les causes et la nature de ce massacre qui échappe toujours à l’entendement humain. Il ne délaisse pas les aspects politiques (le contexte des guerres de religion, la poussée calviniste, le jeu de rôle du duo Charles IX- Catherine de Médicis, le coup “d’Estat” royal, la faiblesse du pouvoir). Il éclaire aussi les angles psychanalytiques (la violence intériorisée des Médicis suite à la conjuration des Pazzi), religieux (les références bibliques qui animent les bourgeois de Paris), et psycho-sociaux (la cupidité des pilleurs sous couvert de religion).

L’auteur développe aussi une réflexion intéressante sur la nature du Prince et du pouvoir – néoplatonicienne dans la recherche de la Concorde ou tacitiste où la violence corrige le désordre. Crouzet conclut de manière convaincante que le massacre de 1572 a tout du pogrom. Des dynamiques semblables ont été à l’œuvre lors de massacres antérieurs et postérieurs (y compris le 7 octobre 2023 en Israël). L’historien fait preuve d’humilité. Il emploie le conditionnel la plupart du temps. Il reconnaît que les faits échappent à toute certitude, qu’ils constituent toujours une “énigme fondamentale”. Les sources documentaires sont instables et insuffisantes, rappelle-t-il. 

Quelques réserves

  • La langue de ce livre d’universitaire est parfois jargonnante, le propos obscur ou trop étiré. Un époussetage éditorial aurait servi la facilité de lecture. 

  • On note aussi le soin peut-être excessif que met l’auteur à régler son compte à la théorie portée par l’historien Jérémie Foa et son prisme d’une « micro histoire » qui placerait la focale sur les « vies minuscules », conduisant à évoquer un « massacre de proximité, commis par des voisins sur leurs voisins ». 

  • Enfin, on regrette que le point de vue protestant ne soit jamais mentionné. 

Encore un mot...

Denis Crouzet explore avec rigueur et humilité comment un coup d’Etat contre la menace huguenote s’est transformé en pogrom avec la complicité d’un Paris catholique et criminel.

Une phrase

 « J’ai alors rencontré, avec des glissements dans l’effroi, un monde intensément criminel, aussi bien à la Cour qu’en Ville, un monde d’assassins, les uns emportés vers le crime par une attention donnée à “la nécessité du temps” et à une philosophie de l’Amour, les autres se soumettant au devoir de tuer que la Transcendance semblait leur ordonner et se présentant pour certains comme des saints ». (p. 321)

L'auteur

Denis Crouzet est un universitaire, spécialiste de la violence et des troubles de religion au XVIème siècle. Dans sa production, on notera :

  • Les guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610 (Seyssel, Champ Vallon, 2055).                        
  • Le Haut Cœur de Catherine de Médicis : Une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy (Albin Michel, 2005).

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