Philip Roth

Une lecture pas indispensable sur un auteur incontournable !
De
Blake Bailey
Traduction de Josée KAMOUN
nrf Gallimard collection Biographies
Parution en octobre 2022
992 pages
34 €
Notre recommandation
2/5

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Thème

Philip Roth, le flamboyant prodige de la littérature américaine, œil ironique et critique caustique, aussi intransigeant avec les autres que lucide sur lui-même, avait juré de ne jamais autoriser de biographie « officielle ». Mais l’Homme qui aimait beaucoup les femmes est rattrapé par l’une d’elle, l’actrice Claire Bloom dont il s’est séparé : dans les mémoires qu’elle publie, elle brosse le portrait du romancier en grand misogyne. Elle n’est pas la première ; ces procès en misogynie ont accompagné la vie et la carrière de Roth, de même que les procès en antisémitisme. Deux accusations injustes selon lui, voire abjectes, qui ont toujours suscité son indignation. Cette fois, il se décide à ne plus laisser aux autres le droit exclusif de parler de lui ; en 2012, il se choisit un biographe, et non des moindres : Blake Bailey.  Pendant plusieurs années, celui-ci aura accès aux archives de l’écrivain avec qui il travaillera main dans la main. « Ne me réhabilitez pas, dira Roth, rendez-moi intéressant, c’est tout. »

Philip Roth mourra en 2018, trois ans avant la publication. Il aurait été atterré par le scandale qui l’accompagna. 

Tout dérape au moment de la sortie du livre, à la manière d’un roman où une sale affaire fait s’écrouler le monde d’un intellectuel reconnu. On pense à Disgrâce, de Coetzee, et même, dans une certaine mesure, par un tour que se jouent fiction et réalité, à La Tache, écrit par Roth lui-même. Le réputé biographe tombe sous des allégations de harcèlement et de viols au printemps 2021. Des blogs, bientôt relayés par la presse écrite, dénoncent sa conduite du temps où il enseignait à La Nouvelle-Orléans. L’agence Story Factory qui le représente le lâche, l’éditeur W.W.Norton & Co retire le livre de la vente. Ce qui devait être un énorme succès tourne à la faillite sordide. Par chance, Skyhorse Publishing sauvera la mise en commercialisant les versions poche, numérique et audio…

Points forts

Cette somme biographique ambitionne d’éclairer sur près de mille pages ce que Roth lui-même écrivait en 1974 : « Mes romans naissent de l’interaction de ce que j’ai écrit précédemment, de mon histoire personnelle récente et non encore assimilée, et des circonstances de ma vie immédiate et quotidienne ainsi que des livres que je lis et sur lesquels je fais cours. » (p 467)

On suit de manière chronologique le roman d’un gamin de Newark né en 1933, issu d’une famille juive immigrée qui s’est efforcée de s’assimiler et dont il s’affranchira par la littérature, original et remarqué très tôt, puis devenu le grand observateur de l’américanité de l’après-guerre aux côtés d’une génération d’écrivains qu’il fréquenta  - Bellow, Malamud, Styron...  Admirateur de James et de Flaubert, on le voit travailler ces influences réalistes infatigablement dans ses propres œuvres, obsédé par la transposition littéraire du réel ; s’interroger sur la trace de la culture juive qui fit d’abord de lui un « gentil petit Juif » avant que l’écriture de Goodbye Columbus ne soulève l’indignation de la communauté et que « l’entrée dans le répugnant » ne lève ses inhibitions avec Portnoy et son complexe, petite bombe qui lui offre à la fois la liberté créative et la récompense empoisonnée de la célébrité. On le voit aussi « adorer l’adultère » à la ville, passer d’une conquête à l’autre, rater ses deux mariages, et analyser les rapports érotiques dans ses livres ; marcher sur les traces de Kafka et s’ouvrir des horizons derrière le rideau de fer auprès des artistes dissidents tel Kundera… Jusqu’à son dernier livre, Nemesis, alors qu’il annonce arrêter l’écriture dans une interview donnée au magazine Le Point en septembre 2012 et quelques semaines plus tard aux Inrockuptibles.

A travers toutes les saillies et les lettres rapportées par Bailey, on entend avec bonheur la lucidité et l’ironie de Philip Roth quant à son héritage et à l’histoire des années vécues, son désespoir et sa colère face au crétinisme de la société américaine, aux injustices de ses détracteurs comme de ses femmes, son exigence en matière d’écriture et de littérature. Autant de « voix » qui s’incarnent dans ses alter ego au fil des livres : Portnoy, Zuckerman, Kepesh…

Quelques réserves

Cette biographie amasse de l’information sans affirmer de point de vue ni chercher de fil rouge. Il y est beaucoup, beaucoup question d’affaires domestiques et assez peu de l’œuvre incroyable de Roth. Mais la personnalité unique, formidablement intelligente et drôle de cet écrivain perce à travers les citations dont on pourra butiner la saveur. 

Encore un mot...

Une lecture pas indispensable sur un auteur incontournable.

Une phrase

[ Au grand dam de ses admirateurs, Roth n’a jamais reçu le Nobel. Bailey rapporte un trait de l’écrivain à ce sujet qui témoigne de son humour caractéristique :  ] 

« Vers la fin de sa vie il allait se promener, à pas très lents, de son appartement du West Side jusqu’au Musée d’histoire naturelle, en s’arrêtant à chaque banc ou presque, dont celui de la cour du musée, à côté d’une colonne rose où s’inscrivait la liste des écrivains américains lauréats du prix Nobel. « Elle est vraiment moche, cette colonne, non ? » lui avait fait remarquer un ami. A quoi Roth avait répondu : « Oui, et de plus en plus moche avec les années. Pourquoi l’ont-ils mise là ? » Et de rire : « Rien que pour m’embêter. »  p 17

L'auteur

John Blake Bailey, né en juillet 1963 à Oklahoma City aux Etats-Unis, est écrivain et anciennement professeur à l’Université de La Nouvelle-Orléans. Il est l’auteur de biographies primées telles celles du romancier, novelliste et scénariste Richard Yates  (Noces rebelles, Fenêtre panoramique), du novelliste John Cheever (Déjeuner de famille) et celle de Charles Johnson. Comme Roth, les deux premiers s’intéressent à la vie des classes moyennes américaines d’après la Seconde Guerre mondiale.

Quelques mots sur à propos de la traductrice : Josée Kamoun est l’auteure d’une cinquantaine de traductions. Elle a traduit Irving, Malamud, Woolf, Ford, Kerouac, Coe, et pas moins de huit textes de Philip Roth avec lequel elle a pu travailler en binôme dans la maison du Connecticut du romancier. Traduit par ses soins, La Pastorale américaine a reçu le Prix du Meilleur Livre étranger en 2020.

Commentaires

Jean-yves simonnet
ven 17/02/2023 - 11:56

Ne me fera pas lire Philip Roth que je n’aime pas, pour des raisons toutes personnelles … mais remarquable travail, tant journalistique que critique proprement dit. La profondeur de la documentation, la distance juste et le ton apaisé ajoutent au sérieux de l'ensemble une touche bienvenue de maturité et de discrète séduction …
Jean-Yves simonnet

Véronique Roland
sam 18/02/2023 - 10:11

A noter que l’adaptation dramatique de « Nemesis » sera jouée à L’Odeon-Berthier dès début mars. Chronique à retrouver sur Culture Tops à ce moment-là.

Jean-yves Simonnet
dim 19/02/2023 - 15:12

Même si les humains ne peuvent que très peu contre les décisions des Dieux, il reste que chacun peu changer d’avis … A cet instar, c’est mu par une force tout ce qu il a de plus humaine que je me retrouve lisant Némésis— Le livre— de Philip Roth , pour mieux attendre son adaptation dramatique et sa critique annoncée.
C’ est qu’un fil d’ Ariane — qui doit etre un brin alchimiste — s’ est mêlé de l’affaire !

Résultat: me voici , parmi les ifs et les cyprès de vos lignes précédentes, á la sortie du labyrinthe qui me tenait captif et loin de cet auteur.

Pour faire court ; j ai changé d avis !
Et n’en déplaise à l’Olympe qui me jette un oeil courroucé , c’ est un voyage divin que j ai fait !

Jean Yves Simonnet

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