Pourquoi les intellectuels se trompent

Essai sur le caractère moutonnier et faillible du jugement de ceux qui se présentent comme des intellectuels et préfèrent « se tromper avec Sartre, plutôt que d'avoir raison avec Aron » !
De
Samuel Fitoussi
Édition de l'Observatoire,
Publication en mai 2025
272 pages
22 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Tout au long du XX° siècle, une partie majoritaire de l'intelligentsia d'Allemagne, d'Angleterre, de France et des Etats-unis, s'est entêtée à défendre et à promouvoir une vision marxiste du monde ainsi qu'à soutenir les régimes et les comportements politiques qui l'ont mis en oeuvre. Adoptant le qualificatif d'intellectuel, importé d'Union soviétique, cette minorité, agissante et dominante, toléra et justifia longtemps les excès et les déviances des pays communistes, et parfois le national-socialisme (cf. Carl Schmitt & Martin Heidegger, cités p. 11 ; ainsi que le chap. 2 : L'intelligence au service de la mauvaise foi !) 

Que des esprits vifs et subtils, brillants par leurs études et par leur production académique ou culturelle, aient propagé des idées absurdes, voire sanguinaires et liberticides, sans être ni contredits ni jugés pour leur aveuglement, paraît, à vrai dire : invraisemblable ! 

Cet essai s'efforce de dévoiler les mécanismes sociaux, psychologiques et politiques qui ont permis à ce paradoxe de durer jusqu'à nos jours, en s'appuyant récemment sur le phénomène que l'on dit : « de l'éveil » (wokism), et en refusant toute critique des croyances péremptoires que diffusent les théories du genre , l'écologisme militant ou le nouveau tiers-mondisme, désormais teinté d'islamisme !

Un portrait de Jean-Paul Sartre illustre la couverture de ce livre qui s'avère, en définitive, faire le procès d'un personnage génial, ambigu et pervers qui marqua autant la France que l'Occident pendant l'essentiel de sa vie. Cet éternel contempteur de la société qui l'a tant chéri, est ici démonté, ainsi que sa compagne Simone de Beauvoir. La génération qui les a suivis en prend pour son grade !

Points forts

Ce livre est clair, vivant et enlevé. Il est fidèle au style de l'essai grand-public américain, comporte de nombreux exemples tirés de publications en sciences sociales (psychologie expérimentale, communication et sciences politiques). Une importante bibliographie collationne les sources, en grande partie anglophones. Quelques grands auteurs français, tous quasiment classiques, inspirent aussi Samuel Fitoussi qui les cite tout au long de son livre : Raymond Aron, Raymond Boudon, Gustave Le Bon et Jean-François Revel, en particulier. Il en est de même de plusieurs auteurs anglo-américains auxquels cet ouvrage emprunte beaucoup : George Orwell, Steven Pinker, Roger Scruton et Thomas Sowell en particulier. 

Les questions sont bien documentées. Fitoussi utilise des cas, à partir d'une centaine de publications, d'enquêtes ou d'études conduites aux Etats-unis, sur des populations américaines. Cela lui donne un certain souffle ! 

Quelques réserves

J'en retiendrai deux : la première, la plus importante, questionne le tropisme américain de cet ouvrage ; l'autre concerne l'auteur qui reconnaît n'être pas si différent des intellectuels dont il stigmatise pourtant fort bien les travers ! ( cf.son entretien avec Le Regard libre, n°111, juin 2025, Neuchâtel (pp. 23-27) )

  • Première réserve : l'auteur a tiré grand parti d'études américaines qu'il cite presque à chaque page : sondages, études de terrain, plus ou moins orientées, souvent inspirées par des intentions cachées (p. ex. chap. 10, à propos de la Malléabilité de l'opinion). De même le chap. 5 (L'université, temple de l'irrationalité ?) souligne la faillite d'universités en dérive. Mais peut-on s'inspirer de l'Amérique et de ses remèdes éventuels ? Je ne le pense pas car, malgré des analogies patentes, ce qui se produit là-bas n'est guère transposable ici, à moins qu'une révolution improbable bouleverse l'institution française dont le monolithisme est aux antipodes des usages et de la variété des universités d'outre-Atlantique : « vérité en deçà de l'Atlantique, erreur au delà ! ».

  • Ma seconde réserve touche l'auteur : esprit vif, piquant et parfois mordant, sa plume court vite. Avec un courage indéniable, il se désolidarise de la meute dont il moque la duplicité. Critiquer, c'est bien ; construire, c'est mieux : ira-t-il au-delà de la satire ? Assumera-t-il le risque de rebâtir -avec d'autres- une université qui rétablisse la primauté de la raison sur l'anathème et qui donne, enfin, « tort à Sartre et raison à Aron » ?

Encore un mot...

L'auteur s'appuie beaucoup sur la Psychologie sociale américaine, une discipline qui doit beaucoup aux universités de ce grand pays dans lequel l'analyse du comportement humain (c'est à dire : le behaviorisme) cousine, depuis un siècle, avec la psychologie du conscient et de l'inconscient (c'est-à-dire : avec la psychanalyse). Or, dans ces deux disciplines, les conditions d'expérience sont tellement contraintes qu'il est très improbable de tirer des « conclusions générales d'une expérience en terrain  miné! ».

Une phrase

  • « Alors que les faits lui donnèrent presque systématiquement tort, Sartre resta toute sa vie le maître à penser de l'occident ! » P.31

  • « La lâcheté est valeureuse si elle se déguise en pacifisme ! » P.71

  • « La réalité est impuissante face à l'idéologie (et) l'aveuglement peut durer, alors que l'évidence crève les yeux ! » P 103

  • « L'absurdité idéologique pourrait être le fruit de (notre) prospérité ! » P.206

L'auteur

Samuel Fitoussi a 28 ans. Pourquoi les intellectuels se trompent est son second essai. Ce livre, comme son précédent (Woke Fiction, Cherche Midi, 2023, consacré à l'idéologie qui imprègne la production audiovisuelle actuelle), s'efforce de démontrer que l'élite n'est pas seulement faillible, mais qu'elle se trompe souvent, parfois lourdement !

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