
Premier voyage en Grèce
Traduction de Lucien d'Azay
Les Belles Lettres
Publication en mai 2025
240 pages
23,50€
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Thème
Constantin Cavafy est grec, il est même considéré comme l'un des poètes majeurs de la littérature grecque du début du XXè siècle. Cependant, né à Alexandrie en 1863, ayant vécu en Angleterre durant plusieurs années, il appartient à la diaspora et n'est "retourné au pays" (selon l'expression consacrée) qu'à l'âge de 38 ans, en 1901. C'est donc le récit de ce premier contact avec la Grèce, terre de sa langue maternelle, qui fait le sujet de ce "journal de voyage", présenté ici dans une nouvelle édition pour la première fois en intégralité en français par Lucien d'Azay, suivi de Notes sur la poésie et l'éthique et de deux articles de presse de Cavafy plus un de L. d'Azay. Au milieu du livre, est proposé un cahier de photographies en noir et blanc de Nikos Aliagas.
Et si le mot "journal" est confirmé par Cavafy lui-même dès la toute première phrase : "Le journal que je me propose de tenir ici ne relatera que des faits, aucune impression ni idée", on est plutôt en présence d'un carnet de notes où il mentionne ce qu'il fait, les lieux qu'il visite, les personnes qu'il rencontre, mais sans aucun commentaire... si ce n'est la température du moment et l'heure du coucher ! Le voyage commence le 13 juin où il embarque à Alexandrie, frôle la Crète sans rien y voir puis Délos (où la quarantaine est imposée) et enfin Athènes le 17 juin. Le retour à Alexandrie, par Brindisi, ayant lieu le 5 août, il aura duré 7 semaines (à peine un mois et demi). Quelles ont été les principales occupations de l'auteur pendant ces jours-là ? Les promenades, les visites à des amis, les rencontres avec bon nombre d'intellectuels pour parler littérature (mais on ne sait jamais laquelle), les dîners et les soirées autour d'un verre, un peu de théâtre et de concerts, souvent des pauses dans la pâtisserie réputée d'Athènes... rien de bien spectaculaire en vérité , seulement la vie quotidienne avec ses menus plaisirs mais toujours la curiosité, la facétie, l'inquiétude, la courtoisie...
Points forts
Les 38 pages qui composent la préface de Lucien d'Azay sont essentielles pour entrer dans l'univers du poète, pour comprendre comment le voyage en Grèce fut un retour aux sources de sa culture "d'homme héllénique". On y découvre un auteur très discret bien que renommé, "champion de l'effacement de soi", et un écrivain méticuleux, corrigeant et remaniant sans cesse ses textes.
Les notes, établies par Lucien d'Azay, sont finalement presque plus intéressantes que le texte lui-même ! Elles précisent tout sur les lieux évoqués, les personnes rencontrées, les bâtiments, les journaux, les écrivains, les personnalités politiques etc.
Les deux articles de presse signés Cavafy méritaient en effet d'accompagner ce "Journal" tant ils font partager les points de vue de Cavafy. Le premier démontre qu'il fut un fervent partisan de la restitution des marbres d'Athènes pillés par Lord Elgin. Le second décrit son admiration pour le premier musée d'antiquités égypto-gréco-romaines d'Alexandrie inauguré en 1892.
Les photographies de Nikos Aliagas, l'animateur-chanteur bien connu à la télévision française, regroupées dans un cahier central intitulé "Instants d'éternité", sont splendides, émouvantes, lumineuses bien sûr puisque la lumière y tient le rôle principal. Certes, ces photos nous sont contemporaines, prises bien après l'époque de Cavafy, "pourtant, précise Nikos Aliagas, la lumière est sans doute la même, les regards, les mains serrées, les soupirs expirés au détour d'une ruelle, la fierté d'un jeune homme, le visage ridé du sage, les murs décrépis d'un établissement d'antan, tout me relie au regard de Cavafy... ".
Quelques réserves
Pour qui s'attendrait à partager avec l'un des plus grands auteurs du début du XXè siècle les beautés de la Grèce, la déception pourrait être grande. D'abord parce que, de la Grèce, il n'est question ici que d'Athènes, et de très peu d'autres lieux, rien sur les grands sites de l'Antiquité. Ensuite, parce que, on l'a dit, il s'agit de notes et le lecteur ne sait rien des impressions, enthousiasmes ou déceptions de l'auteur. Pourquoi Cavafy a-t-il délibérément choisi de ne rien communiquer de son ressenti ? Pourquoi s'est-il contenté de notes rapides comme s'il pensait à un développement ultérieur ?
Encore un mot...
Dans son Dictionnaire amoureux de la Grèce, Jacques Lacarrière consacre pas moins de 21 pages à Constantin Cavafy qu'il qualifie d'emblée comme "l'un des plus fascinants mais aussi des plus déconcertants [auteur] de la poésie grecque contemporaine", en ajoutant "son oeuvre n'a cessé d'être admirée tout en étant inimitable". Et, en reproduisant plusieurs poèmes, il donne à lire les différentes facettes de l'art poétique de l'Alexandrin, notamment le fameux "En attendant les Barbares".
Le livre Poèmes de Constantin Cavafy a été traduit et présenté par Marguerite Yourcenar (disponible dans la collection Poésie de Gallimard). Elle commence ainsi sa présentation : «Cavafy est l'un des poètes les plus célèbres de la Grèce moderne ; c'est aussi l'un des plus grands, le plus subtil en tout cas, le plus neuf peut-être, le plus nourri pourtant de l'inépuisable substance du passé."
Un mot encore sur le manuscrit du Premier voyage en Grèce : il est conservé à la Fondation Onassis, à Vaduz au Liechtenstein. Il consiste en 31 feuillets, rédigés le plus souvent sur des papiers à en-tête des hôtels fréquentés par Constantin Cavafy et son frère Alexandros. On peut le consulter en ligne sur le site des archives de la Fondation.
Une phrase
“Hier, Alexandros et moi, ainsi qu'Alexandros Ziros (qui était venu nous rejoindre à l'hôtel), sommes allés à Nouveau-Phalère pour retrouver Ghiannopoulos. Après de longues recherches nous avons découvert sa maison, mais il était sorti et nous avons laissé nos cartes de visite. Phalère est un bel endroit ; joli casino et joli bord de mer, le tout bien supérieur à San Stefano. Pendant le trajet (en tramway) nous avons vu le Zappeion, la statue de Byron, les colonnes de Zeus olympien et le Skopeftirion. Dans la soirée, je me suis promené dans les rues Ermou et Stadiou. Alexandros a retrouvé Ziros sur la place Syngama.” (N.B. tous les noms de lieux et de personnes sont précisés et présentés en notes). (p. 70 et 71)
“Ce matin, nous sommes allés voir, Alexandros et moi, un grand nombre de sites touristiques. Je n'en fournirai pas ici une description détaillée, mais je dirai que, d'une manière générale, tout ce que nous avons vu était charmant, grandiose ou intéressant.” (p. 74)
L'auteur
L'excellente chronologie à la fin de ce livre rappelle les principales étapes de la vie de Constantin Cavafy, qui, après la mort de son père, a connu des difficultés telles que sa famille a été obligée de s'installer en Angleterre (il avait 7 ans), il a vu sa mère et ses frères décéder. Lui-même, atteint d'un cancer du larynx, est mort à Alexandrie en 1933. Avant de visiter Athènes en 1901, il avait visité brièvement Paris et Londres. Il parlait couramment le français et l'anglais, n'hésitant pas à utiliser dans ses textes en grec des mots dans ces deux langues. Il retourna à Athènes en 1903, en 1905 et une dernière fois en 1932. A Alexandrie, il dut accepter pour gagner sa vie un poste de fonctionnaire au ministère des travaux publics. Il rédigea en tout 154 poèmes (le même nombre que les sonnets de Shakespeare) publiés autour des années 1910 et suivantes, dont la première édition fut publiée à Alexandrie en 1935.
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