Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française

Qu'en est-il de la « puissance française » et de notre dissuasion nucléaire censée empêcher la guerre ?
De
Jean-Dominique Merchet
Robert Laffont
Parution le 18 janvier 2024
220 pages
18 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Oubliée depuis longtemps, la guerre revient à la « une » de nos médias. Sommes-nous prêts à l'assumer le jour où elle se présenterait ?  Ce livre pose de vraies questions politiques auxquelles il n'est pas facile de répondre.

L'histoire ne se répète pas, mais elle bégaie parfois ! C'est ce que l'auteur, expert des questions de défense depuis plus 40 ans, veut nous faire comprendre. Ce texte est très actuel, vif et informé ; il nous remémore les mésaventures guerrières qui ont caractérisé l'histoire du peuple français : il est loin le temps où les armées françaises s'illustraient en vainqueurs sur les champs de bataille ! Au contraire, dit Merchet, la plupart des combats de ces deux derniers siècles, où que ce soit dans le monde, ont engendré des pertes, des déboires et de l'amertume : « l'armée française a-t-elle (encore) le goût de la victoire ? » titre le chapitre 7 de cet essai...


Rares furent, en effet, les affrontements armés dont les Français pourraient être fiers de nos jours ; ce ne sont guère que des défaites que l'on commémore, jamais plus des victoires parce qu'il n'y en a eu guère ! Avant nous, les Français furent fiers de leur Ligne Maginot, une “défense imprenable”, paraissait-il ! Aujourd'hui, c'est la “dissuasion nucléaire", stratégie qui vise à “éviter l'affrontement”, qui inspire les stratèges français depuis plus d'un demi-siècle. Peut-on encore y croire après l'invasion de l'Ukraine par les Russes ?

Points forts

S'exprimant avec clarté et dans un français de bon aloi (qui n'est pas si courant!) l'auteur s'adresse au grand public. Et il domine la question : sa plume ne tremble ni pour décrire et pour expliquer nos forces (une dissuasion autonome et une armée de métier) ; ni pour souligner nos faiblesses qui sont patentes. A ce jour, explique-t-il, les armes françaises ne sont plus à la hauteur des tâches qui leur incomberaient en cas de conflit : nous sommes incapables de soutenir longtemps un combat intense, de haute technologie, étendu à l'espace terrestre, maritime, voire spatial !

Merchet souligne une autre faiblesse de notre défense: comme nos voisins d'Europe occidentale, même ceux qui disposent d'une industrie plus compétitive que la notre (l'Allemagne fédérale, par exemple), notre pays est incapable de produire, de concevoir, de mettre en œuvre et d'entretenir un système de défense complet et résilient.

A vouloir tout faire, il est probable que l'on ne ferait rien de crédible sur la durée. Ce constat n'est pas gai, mais il est vraisemblable bien que déplaisant à entendre. Il imposerait : soit un regroupement de forces qui ne s'est jamais concrétisé entre grands pays européens, soit une alliance solide qui n'a jamais existé, sinon par l’entremise de l'OTAN, alliance qui repose, toutes les interventions françaises à l'extérieur l'ont montré depuis des lustres, sur le soutien logistique des armées américaines dont nous ne savons pas faire l'économie !

Quelques réserves

Que nous l'acceptions ou pas, Merchet souligne qu'une défense purement nationale n'est plus à l'ordre du jour ; héritée du passé, cette notion doit être révisée écrit-il. Mais par quoi la remplacer pour nous tirer d'un mauvais pas le jour où un adversaire décidé -lisez : les Russes, évidemment !- décideraient de nous clouer le bec ? L’auteur n'aborde guère ce point ! 

Certes, il constate avec justesse qu'aucun effort européen n'a vraiment abouti ni à former une industrie de défense commune, ni à organiser nos forces, sinon en passant par l'OTAN. Dont acte. Mais que faire si une menace qui n'impliquerait pas l'Amérique pesait sur nous ?         Là est le vrai problème qui concerne surtout les Européens atlantiques comme nous ; un problème auquel aucun des nouveaux membres de l'Union européenne n'est en vérité sensible et que Merchet passe pratiquement sous silence !

Depuis la réunification allemande, la préoccupation germanique s'est progressivement tournée vers l'est, comme au temps de la Prusse : Adenauer était atlantiste, Kohl aussi, peut-être par intérêt (afin de réussir l'extraordinaire défi de la Treuhand : relever l'ancienne DDR) ; il a bénéficié du soutien de la France qui ne lui a pas manqué ! Puis, une fois ce pari réussi, l'Allemagne s'est occupée de la Mittle-Europa, bien plus que de l'ouest atlantique !

 

Il en va de même des Etats-unis dont le souci principal est d'encercler l'ours russe par ses alliances au nord (Norvégiens), par ses bases militaires qui les cantonnent au sud, par l'allié turc et par l' Asie centrale : Kazakhs, Ouzbeks, Turkmènes, Azéris etc. comptent plus à cet égard que Français ou Belges !

Pour qui connaît et comprend les priorités de l'Amérique actuelle, leur défi européen n'est plus sur la côte atlantique : ils veulent saper l'influence russe en Asie centrale, là où les Russes se sont embourbés (Tchétchénie et  Afghanistan) et où se situent, au surplus, des réserves énergétiques qui pourraient leur échapper si les anciennes républiques soviétiques renversaient leur alliance au profit de l'Amérique !

Ferments de discorde au sein de l'Union européenne, trop de tropismes divergents séparent l'Europe orientale des pays fondateurs de la CEE: pour eux le danger russe est le danger principal ; alors que pour nous, la poudrière des Balkans, l'influence religieuse et l'hostilité du tyran turc à notre égard sont des dangers réels, une quasi-cinquième colonne qui menace notre société ; à tort ou à raison, les Américains n'en craignent pas les effets.

Le parapluie américain, l'OTAN, n'est donc plus une « alliance atlantique » ; mais une alliance anti-russe qui unit les Américains et l'Est et le Nord européen ! De ce fait, l’organisation d'une défense européenne commune est absolument improbable. On aurait espéré que Jean-Dominique Merchet pousse son raisonnement à ce terme !

Encore un mot...

Jean-Dominique Merchet écrit avec finesse : « on observe en Ukraine (que) les armes nucléaires ne servent plus à empêcher la guerre : elle l'autorise, au contraire, en la maintenant sous un certain seuil ! » (p.60)  [Ce constat est bien expliqué dans ce livre]

Une phrase

[Je suis tenté de retenir ces mots nostalgiques, porteurs d'un espoir qui point au fil de ce livre enrichi d'une longue expérience :]

« A l'heure de la guerre en Ukraine, il serait temps de réparer l'oubli en rendant hommage aux militaires français de la Guerre froide. Ils ont gagné cette guerre, mais perdu la bataille de la mémoire ! »

L'auteur

Jean-Dominique Merchet est un journaliste chevronné ; il couvre les questions de défense au journal L'Opinion auquel il est lié depuis sa création. Il est mis souvent à contribution depuis deux ans pour analyser le conflit ouvert en Europe orientale. Parmi ses œuvres récentes, Défense européenne, la grande illusion (Larousse, 2009) et Macron Bonaparte (Stock 2017) trouvent un écho dans ce nouvel essai.

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